lundi 28 novembre 2011

Le dieu des petits riens



L’océan de déchaîne, le vent souffle dans… ? Dans rien. Pas une vague, pas un brin de vent. Transparence. Les mouvements extérieurs et intérieur ne font qu’un, comme si j’étais une immense caverne. Ils en sont d’autant plus vivaces, comme si un voile de buée s’était évaporé.

Les émotions, les souvenirs, les mouvements ne contredisent pas cette immensité de silence. Au contraire, ces vagues se répandent en lui et permettent de prendre conscience de cette étendue sans limites.
Imaginons que je sois face à un lac. Pas une ride. Et soudain, quelqu’un y lance une pierre, laquelle fait des vagues, qui s’étendent, en cercles concentriques. Je les suis du regard, naturellement. Et par là, je prends conscience de la surface du lac. L’espace s’ouvre, prend conscience de lui-même. Sans le caillou, je n’aurai pas pris conscience du lac. Les pensées, les mouvements intérieurs et extérieurs sont comme ces rides provoquées par la chute du caillou. En les suivant du regard, en se mettant à leur écoute, la consciente se dilate. Les pensées, les petits mouvements musculaires et autres démangeaisons[1], qui sont souvent perçues comme des perturbateurs de l’état de contemplation, permettent au contraire de rafraichir la conscience, laquelle a autrement tendance à s’endormir dans un objet, à se cristalliser dans un état, si subtil soit-il. Sans les vagues, je vois le lac, mais sans l’apprécier.
Voilà pourquoi un maître de méditation conseillait de briser délibérément l’état de fascination pour tel ou tel état par un cri, ou en tirant parti d’un lieu agité de bruits soudains. « Plus l’eau de la cascade tombe de haut, plus elle va vite. Plus un état de méditation est interrompu brusquement, meilleure est la contemplation ». Ces mouvements libèrent l’esprit de son habitude naturelle à se solidifier. Le choc, la vague, la pensée soudaine, l’émotion tranchent cette fascination et mettent à nu… la nudité même, l’absence de tout point de référence. « Les pensées sont la dimension absolue » - chaque pensée est comme un son qui nous ramène vers le silence. Mieux, chaque pensée est aussi transparente qu’une vague, aussi légère qu’une volute d’encens.

Et puis, sur cette plage, passent des groupes d’Indiens en pantalons-et-marcel crasseux. Ils ont l’air si malheureux, écrasés de soucis. La plupart ont fait des heures de bus dans l’espoir de rincer leur yeux fatigués avec quelques poitrines généreuses.
Le soir, je constate avec étonnement (et avec un certain malaise) que je suis le seul, au restaurant, à ne pas être en train de fumer un joint.
Pourquoi-donc personne ne contemple cet espace, gratuit et toujours présent ? Les gens préfèrent braver la police et rester dans une paillotte enfumée à blablater, plutôt que savourer le rien sans limites (mais, bien sûr, je ne vaux pas mieux que les autres).

C’est, peut-être que ce rien fait peur. Rien. Un « je » sans « je » identifiable. Un « je » sans moi, sans cartes, sans repères. Cette expérience est un étonnement sans fin, une chute sans fond. Mais quand on saute, il y a à la fois de la joie et de la terreur. On est bouche bée. De plus, est donné en elle un sentiment de toucher à la valeur absolue des choses (« Dieu »), au sens de l’existence (« La vie a un sens, voire un plan pour moi »). La tentation est alors grande de revenir en disant « j’ai trouvé le Sens, j’ai trouvé la consolation, Dieu, l’éveil ! ». Mais il y a un prix à payer. En cédant à ce désir de donner un sens à ce rien, on tue l’étonnement. Après, que l’on soit croyant, matérialiste ou autre, cela ne change rien au résultat. La magie disparait. Mais, d’un autre côté, force est de constater que l’on ne peut s’empêcher de mettre des mots, de vouloir ainsi comprendre et conclure. Alors ne nous gênons pas. Mais ne soyons pas dupes non plus.

Cela étant, il me semble qu’une approche lucide, rationnelle (sans être rationaliste), agnostique, est peut-être une bonne façon d’entretenir la sensation du mystère. Un scepticisme ouvert, joyeux mais rigoureux, me va bien. Il n’y a rien Ici. De même, il n’y a pas de sens de l’existence, pas de providence, pas de Dieu ni de Déesse, pas de réincarnation, pas de maître parfait, pas d’éveillés sans ego, pas d’anges, pas d’évolution de la conscience cosmique, pas d’intelligence de l’univers, pas de télépathie, pas de sorties hors du corps, pas de tunnels, pas de guérisons, pas de miracles. Rien. A moins que l’on me prouve le contraire. Mais, jusqu’à présent, j’ai constaté que ces croyances sont des miroirs aux alouettes. Ici, plénitude du sens égal absence de tout sens. Le miracle d’être, de vivre, d’être conscient.

Il y a très longtemps, un homme avait dit à sa femme, qui lui demandait le secret de l’immortalité, « Une fois mort, il n’y a plus de conscience personnelle ». Comme un vase brisé. Elle s’en effraya. Son époux n’était-il pas un adepte de l’humour noir ?
Eh bien je crois que c’est cela, la « pratique », l’ascèse du rien.

Mais faut-il pour autant renoncer à rêver ? Faut-il cracher sur l’éphémère, sur l’humain, sur le personnel ? Non. Au contraire. La prise de conscience de la rareté et de la fragilité de la vie lui donne encore plus de valeur, de même que voir l’océan déchaîné à partir du rien, donne à ce spectacle encore plus de netteté.
L’autre jour, je voyais un bonhomme au visage angoissé, avec les cheveux ras et une petite barbe, discuter à tue-tête avec une dame qui l’accompagnait. Soudain, je reconnus en lui l’un des « éveillés » les plus en vue de la scène actuelle. Je me rappelais alors ses discours pince-sans-rire sur l’insignifiance de la personne, sur la nécessité d’abandonner toute « prétention à une histoire personnelle », sur le caractère décadent de l’individualisme, sa mise en scène de lui-même du genre « je suis ici sans y être, personne ne parle à personne, pas vu pas pris, je suis une montagne ». Et je contemplais son visage, sa démarche, ses gestes : tout, dans son comportement, trahissait la demande d’être aimé, reconnu, consolé, choyé, accepté. Et, paradoxalement, il n’en n’était que plus touchant. Plus humain. Et je me suis rappelé d’autres paradoxes du même genre. Tous ces prêtres de l’Impersonnel, avec leur sites personnels (www.moi.com), leur éveil impersonnel très personnel, leur style personnel, leur petits dérapages personnels, leur maisons d’éditions personnelles, leurs disciples personnels, leurs centres personnel, leurs séminaires personnels… Pourquoi ne pas accepter plutôt qu’au cœur de cet univers très impersonnel, au sein de cette immensité de conscience sans visage, jaillit la personne, avec ses petits et ses gros défauts ? La personne est le signe de l’impersonnel, de même que chaque pensée qui ramène (si on la suit du regard) vers l’infini.

Et j’observe de nouveau ces groupes d’Indiens. En fait, ce sont des pèlerins du dieu Ayappan, souvent avec leurs enfants. Ces gens sont souvent des conducteurs de rickshaw, des journaliers sans le sous. Ils font un long pèlerinage pour aller se faire pardonner - les coups donnés à leur femmes, à leurs enfants, leurs petites arnaques et leur salaires perdus dans l’alcool -, face à leur dieu, dans un temple perdu au fin fond de la jungle (et interdit aux femmes, tout de même). Quelle misère ! Et pourtant, quelle beauté. Banale, sale, mesquine. Et pourtant, ils vivent. Incroyable.
D’où ce qu’il y a de plus précieux : l’étonnement devant le décalage, le vertige devant ce tout-qui-est-rien, l’effroi mêlé d’émerveillement devant ce dieu des petites choses.

Je ne peux croire en Dieu que si je n’y crois pas.


Une vision tres personnelle de la meditation...:
Chacun cherche son os :



[1] Pour un ami : tous ces termes peuvent également être traduits en sanskrit par vṛtti.

vendredi 25 novembre 2011

La plage du Om

Le son rend hommage au silence


Trop de trompettes et de defiles militaristes chez ces brahmanes...
Me voici dans une hutte sous les cocotiers, non loin d'une celebre plage du Sud, en forme de "Om". Il y a aussi des brahmanes, mais a bonne distance, et des crepes au Nutella tout pres. L'ideal pour traduire le commentaire du Vijnana Bhairava !

Un extrait :


Le royaume du « je »
Dépasse celui de l’intellect.
Il imprègne tout cet univers.
Quand on le connaît,
C’est lui qui procure la liberté.
Il est la conscience,
La Puissance suprême inséparable du Seigneur suprême.
Il est aussi la Puissance de connaissance
En forme de mantra.
Le sens du « je »[1] est le mantra traditionnel,
Il incarne l’essence du (couple) Śiva-Śakti.

Et un document exceptionnel : sur la plage du Om, un corbeau dans la pose "bouche grande ouverte", posture sacree de l'etonnement (vismaya-mudra), aspect de la posture de Bhairava :


[1] Ahaṃ-kāra : désigne habituellement l’ego. Mais ici, l’ego ou sentiment « je », est la porte vers le Soi. Cela peut paraître étrange, mais cette idée est en fait présente dès la plus ancienne Upaniṣad.

jeudi 17 novembre 2011

Le village des gens d'ici

Comme je disais, le village est séparé en deux par un mur : d'un côté les brahmanes, de l'autre... les autres, les paysans. Cela étant, les brahmanes sont propriétaires de champs de noix d'arec, et les paysans travaillent pour eux. Les brahmanes vivent simplement, et ce qui est frappant, c'est que ce sont des intellectuels des campagnes, avec des traits archaïques comme les philosophes de la Grèce antique : ils vont pieds nus, le crâne à demi rasé, avec des boucles d'oreilles, ils parlent fort. Le système d'apartheid qu'ils ont inventé leur permet de vivre tranquillement et de se dévouer à la vie de l'esprit  - chose impossible quand vous vous épuisez dans les champs sous le dur soleil des tropiques. Mais la plupart ne vont pas jusque là : ils se contentent d'apprendre par cœur des rituels védiques et autres pièces, pour les pratiquer quand on le leur demande. La journée, ils récitent ou bien ils palabrent à l'ombre des grands figuiers.

Le temple de la plèbe est un figuier sacré :
(désolé, il refuse de se mettre à l'endroit !) A son pied, on trouve des serpents sculptés, car les cobras logent dans les racines des figuiers. Plus loin, les femmes décalottent les noix d'arec :

A côté du centre du village, il y a une termitière sacrée :
Bref, il est clair que ne n'est pas le même monde, bien que les brahmanes fantasment sur "les autres". Ces fantasmes nourrissent, c'est certain, l'imaginaire du tantrisme, peuplé de nymphes, de fées, de yoginîs et de "sauvages" qui ressemblent fort aux femmes des la plèbe. D'ailleurs, ce ne sont pas que des fantasmes : les brahmanes Namboudiris au Kerala avaient le droit de prendre n'importe laquelle de ces femmes.

Mais a côté de ces aspects humains, trop humains, le plus difficile à décrire, ce sont les odeurs : on passe sans cesse d'un parfum fruité à un relent de pourriture, en passant par le bois brûlé, la bouse et les odeurs d'huiles de cuisine. La terre elle-même semble parfumée, imprégnée au cœur.

mercredi 16 novembre 2011

Les deux villages

Je réalise que je suis dans deux villages, séparés par un mur.

Celui des brahmanes, avec ses grosses maisons, ses voitures, ses portables (malgré le fait que les brahmanes soient à la mode traditionnelle, avec leur boucles d'oreilles etc.), ses gens grands, gras, à la peau claire, aux yeux souvent bleus ou verts, ses vaches, ses temples de Vishnou et autres divinités "végétariennes".

Et le village des autres, avec ses maisons basses, ses gens petits, maigres, à la peau noire, aux traits d'aborigènes d'Australie, avec leurs chèvres, leurs chiens, et leur temples dédiées à des déesses buveuses de sang. La plus populaire, dans le Sud (donc ici), est Maryamman, qui protège en particulier de la vérole et autre maladies de peaux. C'est aussi la patronne des prostituées du célèbre temple de Saundatti à quatre cent kilomètres au nord d'ici. Mais le temple principal de la partie "plébéienne", c'est un arbre avec, à son pied, des pierres sculptées de serpents.

Mais voici d'abord la partie "pure" du lieu.
Une maison de brahmane, avec une inscription en sanskrit :
Un coucher de soleil, avec l'autre moitié du quartier brahmane en face :
Le bateau (le grand baquet !) qui relie les deux villages, protégé par une déesse (à l'avant-plan), à qui l'on offre tout de même des fleurs d'Ibiscus rouge - substitut du sang menstruel (tout de même ! dès qu'il s'agit de sécurité, on ne lésine plus) :
La statue du grand maître de la non dualité - dont je vous épargnerais le nom - j'étudie avec l'un de ses disciples :
Et, last but not least, de jeunes garçons d'une organisation paramiliraire inspirée par ce brave Mussolini (ça fait moins exotique, mais ça fait partie du décor, surtout qu'ils trompettent du soir au matin devant ma fenêtre) :

dimanche 13 novembre 2011

The sanskrit village

 Au bord de la riviere auspicieuse (Bhadra)

Mon petit village sanskrit - peut etre le dernier ! - est pose au bord d'une riviere. Il est celebre car plusieurs centaines de brahmanes y vivent et y parlent sanskrit (dans un quartier tout de meme separe du reste du village par un mur...). J'y pratique donc le sanskrit et je lis des textes de Shankara (le grand penseur du Vedanta) avec des brahmanes. Chaque fin d'apres-midi, je vais me promener vers la riviere. Les brahmanes sont plutot sympathiques, meme si leur vision du monde - fondee sur la segregation raciale - est assez problematique. La nourriture est bonne (vegetalienne), les vaches omnipresentes.
Bref, c'est un peu comme un voyage dans le temps.

PS : il n'y a pas d'accents sur mon clavier.

lundi 7 novembre 2011

Sur le shivaïsme du Cachemire - séances automne 2011 à écouter



Les conférences sur le shivaïsme du cachemire reprendront en février 2012. 
La première aura lieu le lundi 13 février (date à confirmer), de 18h30 à 20h30, au Centre d’Études Critiques de Paris, 37 bis rue du Sentier, 75002 Paris

Nous continuerons de lire les Stances pour reconnaître le Seigneur en soi (Îshvara-pratyabhijnâ-kârikâ).
Après les objections bouddhistes (le Soi n'existe pas, ce n'est qu'une illusion), nous verrons la réponse de la Reconnaissance, notamment l'argument de la mémoire comme "voie royale d'accès au Soi".

En attendant, vous pouvez écouter les deux séances de l'automne 2011 et lire les textes qui vont avec (voir au bas de la page).

Avant de prendre l'avion pour rejoindre un petit village perdu au fin fond de l'Inde du Sud, quelques mots sur mes projets de traduction en cours :

1. Une traduction de la Parade des cygnes ( Hamsa-vilâsa) un pur chef-d’œuvre  dans lequel un couple de pratiquants tantriques du XVIIIe siècle célèbre une voie d'intériorité qui emploie l'art, le corps et la beauté. C'est aussi une anthologie et une fenêtre unique sur la vie intime du tantrisme à Bénares à l'époque de la Révolution française.

2. Une anthologie du Kâlî-krama. Cette tradition est la seule tradition tantrique non dualiste dès l'origine. Elle est considérée par les maîtres les plus réputés comme étant la crème de la crème du tantrisme. Il y aura de nombreux textes inédits, dont quelques extraits ont étés publiés sur ce blogue.

3. Une collection de traductions et de livres prenant pour fil conducteur le Vijnana-bhairava-tantra. Par exemple, il y a aura un recueil de textes de yoga inédits, un livre sur le sexualité tantrique, un autre sur les méditations sans formes. C'est un travail virtuellement sans fin, mais qui est déjà riche de plusieurs centaines de pages et qui débutera par la publication de deux commentaires inédits de ce texte unique, véritable trésor de la spiritualité universelle.

J'essaierais, si cela est possible de continuer à écrire sur le blogue depuis l'Inde.

Le bouddhisme est-il anti-intellectuel ?

Je me suis laissé dire qu'un des lamas dont je parlais dans ce billet a été révoqué. Ce qui m'étonne, c'est que l'autorité révocatrice - à savoir un prince-lama célèbre institué par un empereur chinois - est un adepte notoire des hôtels de luxe de New Delhi et autres lieux d'ascèse...

Mais ce qui m'interpelle aujourd'hui, c'est l'indigence intellectuelle du bouddhisme en France, et en particulier du bouddhisme tibétain. Alors qu'en anglais on peut lire des choses très intéressantes, à la fois sur l'histoire, les doctrines et leurs implications éthiques, en France le silence règne, en dehors de quelques exceptions remarquables et réjouissantes. 

Cependant, malgré cette différence, il faut bien dire que dans le monde entier, le bouddhisme et les milieux de l'éveil en général se caractérisent par leurs slogans clairement anti-intellectuels. Tout le monde tire à boulet rouge sur "le mental", la philosophie. "Intellectuel" ou "intello" sont devenus des insultes. Le mot d'ordre est "penser moins pour sentir plus", comme si le fin mot du Dharma se trouvait dans la sensation pure (est-ce que cela existe, une sensation pure, inconditionnée par aucune représentation individuelle, sociale, culturelle ?).

Pourtant, le bouddhisme, le Vedânta et même le tantrisme sont des traditions intellectuelles. Elles ont produits des réflexions rigoureuses, argumentées, des concepts élaborés, et cela jusqu'au cœur du vingtième siècle. De même, nombreuses sont les études et les traductions produites par des universitaires ou des chercheurs indépendants. De plus, les sympathisants bouddhistes sont généralement plus éduqués que la moyenne.

Alors comment expliquer ce désintérêt pour les choses de l'esprit ?

Plusieurs hypothèses :

1. Penser est chose difficile. Or, il est plus facile de dénigrer ce qui est difficile que de faire un effort pour le comprendre.

2. Nous vivons une époque où l'on a le sentiment (peut-être illusoire) que le savoir est facile d'accès. Or, ce qui est commun est perçu comme étant sans valeur.

3. Nous vivons dans le relativisme. "Tout est relatif" devient "A chacun son opinion". Cette dictature de l'opinion décourage toute velléité de réflexion.

4. La pensée post-moderne décourage la pensée rigoureuse. Par exemple, les admirateurs de Heidegger voient dans la raison la cause principale de tous les maux "modernes". Pareil pour les traditionalistes et autres admirateurs du totalitarisme.

5. Il y a un fort courant anti-occidental. Or, l'intellect est asocié à l'Occident. Donc l'anti-intellectualisme est une façon de manifester son refus de l'Occident.

6. Nous vivons dans des sociétés où les sens et le mental sont hyper-stimulés : par la pub, la com, les méls, les SMS, le Net, etc. L'anti-intellectualisme est un symptôme de fatigue nerveuse.

7. Nous confondons "avoir des pensées" (parasitaires, compulsives, mélancoliques, agitées, vaines) avec l'activité de penser, de réfléchir.

8. Nous confondons ce qui est pré- ou proto-rationnel (la sensation, le ressenti, le corps, l'instant présent) avec ce qui est supra-rationnel (l'expérience mystique). Nous prenons ce qui est régression pour un "retour à la conscience ordinaire".

9. Le bouddhisme est une pensée radicale, comme le Vedânta ou le Shivaïsme du Cachemire. Or, dans l'Histoire, toutes les pensées radicales ont engendrées d'autres pensées destinées à les étouffer. Penser est une activité potentiellement révolutionnaire, déstabilisante. Penser nous invite à aller au-delà de nos concepts. Alors nous préférons "aller au-delà des concepts", c'est plus facile, moins dangereux et, dans l'immédiat, cela paraît plus agréable. Nous nous persuadons que rejeter tous les concepts est merveilleux, même si c'est un concept idéologique.

10. En tant qu'être sociaux nous éprouvons le besoin de nous soumettre à la pensée d'un groupe, son idéologie. C'est rassurant. Dans un monde post-moderne perçu comme aride, soumis aux logiques de la consommation et de l'entreprise, nous croyons que le rejet de toute logique est une planche de salut.

Ainsi, même si le bouddhisme invite plutôt à un dépassement des concepts présents pour aller vers des concepts plus vastes, qu'à un retour à une état pré-conceptuel, nous préférons l'ignorer.

On lira avec intérêt cet article (facilement traduisible avec Google) publié sur un blogue à contre-courant.

dimanche 6 novembre 2011

Génie de l'Inde

Encore quelques vidéos. Elles sont en anglais, mais leur valeur est grande, pour nous faire apprécier la valeur de la culture indienne. A mon sens elle est, avec l'Occident et la Chine, l'une des sources de la Culture. Même si l'expérience mystique est universelle, même si la philosophie non duelle est de nulle part, elle s'enracine toujours dans un contexte sans lequel on ne peut la savourer à sa juste mesure.

Sur le Mahâbhârata, l'Histoire de toutes les histoires, "ce qui n'est pas ici n'est nulle part" :

Sur les nombres soi-disant "arabes" :

Une version rigolote et militante :

Extrait d'un doc de la BBC sur les maths :

Histoire de l'Inde :

Histoire et culture du Sud :

Génie de l'Inde :

Civilisation de l'Indus :

Sur la plus grande démocratie du monde :


PS : je ne suis pas l'un de ces fanatiques de l'Inde qui croient en "l'Inde éternelle". Mais il faut reconnaître que l'Inde est une civilisation (qui inclue le Pakistan, l'Afghanistan, l'Indonésie, entre autres) fabuleuse. Comme avec toutes les fables, il faut garder la tête froide, mais cela n'empêche pas d'admirer.

samedi 5 novembre 2011

Le fondateur du yoga moderne

Krishnamacharya est sans conteste la figure la plus importante du yoga moderne. Il a formé les maîtres les plus célèbres, comme Iyengar, Desikachar ou Pattabhis Jois. Il a vécut à  Mysore, patroné par le roi du lieu. 
Mais son yoga n'est pas simplement une tradition millénaire. En réalité, il a lui-même inventé un nouveau style, à partir de ce qu'il avait appris du hathayoga par le Shankaracharya de Shringeri (le même qui a réalisé l'édition des œuvres de Shankara en 1910, avec ses opuscules attribués à Shankara - ce que personne ne semble remettre en question en dépit du bon sens), plus plusieurs textes de yoga, plus l'influence de la lutte indienne (très populaire au Karnataka) et même la gymnastique des soldats anglais. Krishnamacharya avait d'ailleurs hérité d'un gymnase tout équipé dans le palais de Mysore.
Mais cet héritage posait deux problèmes à Krishnamacharya :
1) L'héritage tantrique. Le hathayoga est un système tantrique, enseigné à l'origine dans des textes tantriques. Son origine se trouve - avant de passer dans la tradition des Nâthas yogins - dans les traditions Shrîvidyâ et Kubjikâ. La Shrîvidyâ, en particulier, est une tradition centrée sur une magie sexuelle.
Or, Krishnamacharya était vishnouïte, de la tradition Pâncarâtra. C'est aussi une tradition tantrique à strictement parler, car basée sur l'initiation, les mantras, nyâsa, pûjâ, etc. Mais c'est une tradition tantrique sans aucun contenu sexuel, végétarienne et puritaine. C'est aussi la tradition du temple le plus populaire d'Inde (en nombre de visiteurs), le temple de Tirupati à Tirumalaï.
La solution, pour K., a consisté à dire qu'il avait reçu la révélation de son yoga par un certain Nâthamuni, un saint vishouïte ayant vécu au Xe siècle, mais qui n'a aucun rapport avec le hathayoga. K. a composé un texte sanskrit qui retranscrit ces révélations (texte traduit en français). A côté de ce texte en sanskrit, il a publié, en 1934, un livre en Kannada (sa langue natale), le Miel du yoga (Yoga-makaranda). Une traduction anglaise est disponible gratuitement.
2) K. n'avait pas vraiment de lignée très ancienne. Il était très doué, certes, mais il n'avait pas de maître nâthayogin, par exemple. De toute manière, cela aurait fait tâche dans son curriculum vishnouïte. Il a donc raconté une histoire - invraisemblable - selon laquelle il avait rencontré un maître mystérieux qui vivait - avec toute sa famille (!) - dans une grotte au bord du lac Manasarovar près du mont Kailash. Ce dernier lui aurait notamment transmis le Yogakorunta, texte inconnu au bataillon, dont le titre ne signifie rien. Mais il s'agit sans doute de la Gheranda-samhitâ, autre texte tantrique inavouable. A moins que ce texte n'existe pas du tout, et qu'il ait été un moyen de renforcer la légitimité d'un style nouveau. En effet, K. l'attribue à un certain Vâmana Rishi qui enseignerait là - comme par hasard - quelque chose qui ressemble fort au Vinyasa-krama yoga de K... Ce yoga - que l'on appelle aussi Ashtanga yoga - est un yoga classique, avec des postures, mais ces postures sont intégrées dans des séries de mouvements exécutés en accord avec le souffle. Cela étant, il est intéressant de noter que l'on retrouve cette idée de séries combinées au souffle dans le Yantra yoga enseigné par le maître dzogchen tibétain Namkhaï Norbu, yoga qui est censé remonter au VIIIe siècle.

Dans le montage ci-dessous, on voit le jeune Krishnamacharya et on entend les Yoga-sûtra de Patanjali. Ce texte n'a aucun rapport avec le hatha-yoga, mais cela ne gêne personne, il est partout enseigné comme étant la base du hathayoga. "Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse".

A ce propos, un livre à ne pas manquer, riche en révélations et en surprises...

Une culture en voie d'extinction

Un beau documentaire, sous titré en anglais, sur une grande chanteuse du genre dhrupad, Asghari Bhai. On entend aujourd'hui beaucoup de gens qui prétendent enseigner un "yoga de la voix". Le dhrupad est, à notre connaissance, le seul yoga du chant authentique, c'est-à-dire véritablement lié au tantrisme. Des textes comme le Sangîta-ratnâkara décrivent les différentes émotions esthétiques (rasa) correspondant aux différents chakras, et font référence aux quatre plans de la Parole, fondement des mantras. Cette femme est quasiment inconnue. Elle illustre bien le destin tragique des traditions authentiques de l'Inde. Même si le gouvernement fait quelques efforts, rien ne semble pouvoir arrêter le tsunami de stupidité des classes moyennes.

vendredi 4 novembre 2011

Ailleurs est Ici

Tout se déploie ici.

Car Dieu - la conscience ! -
fait apparaître hors (de lui) tous ces objets qui existent en (lui). 
Il le fait à la manière d’un yogin : 
par la force de son désir, sans (avoir besoin d’un) matériau.

Utpaladeva, Pour reconnaître le Seigneur en soi (Îshvara-pratyabhijnâ-kârikâ), 5, 7 

mardi 1 novembre 2011

L'art du poteau

Un autre aspect méconnu de la culture indienne : les exercices au poteau liés à la science de la lutte (malla-vidyâ). Inutile de dire que ce fut une source importante d'inspiration pour les fondateurs des yogas contemporains, principalement Krishnamacharya de Mysore.

Arts martiaux en Inde


Je suis allé en Inde pour la première fois en 1991. Je pratiquais alors le Varma kalai depuis deux ans. Après le Bac, je m'étais inscrit en tamoul à Langues'O. J'étais le seul élève de mes deux professeurs ! A la fin de l'année, je m'étais inscrit à un stage de Kalaripayattu organisé par Cécile Gordon, pionnière de ce style en France. Le stage n'avait pu se faire, mais j'étais parti en inde avec l'adresse du CVN Kalari Sangam à Trivandrum.  Quel choc ! A l'époque, pas d'Internet, le téléphone international marchait très, très mal. Je logeais dans une petite pièce au-dessus du Kalari. Le maître était médecin âyurvédique, d'une famille de guerriers Nair. Traditionnellement, ce sont souvent des dévots de la Déesse Tripurâ (exemple). D'ailleurs, le petit autel dans le coin à gauche du Kalari (voir la photo ci-dessus) était nommé "Sanctuaire de la Puissance" (shakti-pîtham). On lui rendait hommage avant chaque séance d’entraînement, le matin et le soir quand la chaleur était à peu près supportable. Nous étions nus avec un genre de bikini, le corps couvert d'huile de sésame. L'air était saturé de l'odeur de la terre rouge, cette terre si particulière, parfumée par la mousson... Je me souviens que je voyageais jour et nuit pour rencontrer des maîtres d'arts martiaux de différents styles à travers le Kerala, des médecins Sittars, des danseurs.

Voici un film sur le Varma Kalai, art martial tamoul quasiment inconnu :

Photos des différents styles présents en Inde (dont plusieurs arnaques) :

Le CVN Kalari Sangam (avec Satyam, le fils et successeur du maître) :

Autre document sur le Kalaripayattu :

Autre Kalari, où l'on voit les exercices de base :

Autre Kalari :

Autre Kalari :

Autre Kalari :

Evidement, certains ont fait le lien avec le yoga :
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