samedi 17 mars 2012

Comment aller droit à l'essentiel ?


Méditer, pour quoi faire ?

Pour calmer l'esprit. Une fois apaisé, il verra les choses telles qu'elles sont et les croyances sans fondement se dissiperont. Du coup, moins de souffrances. Telle est le pronostic du Bouddha et de bon nombre d'autres mystiques.

Imaginons l'esprit serein, pareil à une lampe abritée du vent, capable d'illuminer une fresque sans la déformer par sa propre agitation. 

Mais comment voir ? Que faut-il voir exactement ? Et comment ?

Dagpo Tashi Namgyal, un tibétain du XVIe siècle, expose la manière de voir les choses telles qu'elles sont dans son Rayon de lune, réputé être le plus détaillé manuel de la tradition dite de la "Mahāmudrā de la conscience naturellement présente en toute expérience" (sahaja-jñāna).

Vu qu'il est bouddhiste tibétain, on s'attend à un exposé de la méditation analytique du Madhyamaka. En effet, il est question de voir l'absence de substance dans les êtres et les choses : c'est la fameuse vacuité. 

Mais quand il entre dans le détail de cette méditation, ô surprise, on constate qu'il parle d'autre chose. Le Madhyamaka est mentionné, mais en passant, à côté de maîtres de l'école de la pratique du yoga (yoga-ācāra). Comme, par exemple, Dharmakīrti :

"En examinant les choses, on constate
Qu'elles n'ont pas d'existence réelle
Et sont dépourvues de nature intrinsèque
Aussi bien unique que multiple."[1]

Dharmakīrti fait ici allusion au raisonnement du "ni unité ni multiplicité" propre au Madhyamaka. C'est normal, car l'école de la pratique du yoga est venue plus tard que le Madhyamaka et l'a intégré. Le fondateur de cette dernière, Nāgārjuna, aurait vécu vers 150. Pour Dharmakīrti, on parle de 600-660. Mais cette intégration de la dialectique du Madhyamaka ne s'est pas faite sans recul critique.

En effet, alors que le Madhyamaka se concentre sur la chose et s'efforce de montrer que tout concept à son propos mène à des absurdités, l'école de la pratique du yoga ramène au sujet. Le monde est un rêve. Qui rêve ? C'est à chacun d'en faire l'expérience pour lui seul. C'est beaucoup plus simple, plus directe, et enraciné dans une expérience.

De même, Dagpo Tashi Namgyal résume la méditation analytique en l'incorporant dans une démarche différente de la dialectique du Madhyamaka. Au lieu d'analyser l'objet ou le sujet - mais considéré comme s'il était un objet comme les autres ! - il ramène son lecteur à ce qu'il y a de plus immédiat, de plus intime.

Il met ensuite en garde contre la dialectique du Madhyamaka avec notamment cette stance de Nāgārjuna souvent citée :

"Les Vainqueurs ont enseigné que la vacuité
Était l'émancipation de toutes les vues.
Ceux qui ont pour vue la vacuité,
Ceux-là, disent-ils, sont incurables."[2]

Puis il conclut avec un passage des Etapes de la méditation qui commence par nous enjoindre de "contempler le fait que les trois mondes ne sont qu'esprit."[3] Il n'y a donc que deux étapes dans ce Madhyamaka de l'expérience directe : premièrement, comprendre que tout est esprit ; deuxièmement voir l'esprit vide, pareil à un ciel transparent. Exit les raisonnements alambiqués du Madhyamaka.

La méditation analytique - comprenez la dialectique madhyamika - n'est donc pas indispensable. Elle représente même un danger, comme une formule magique qui peut agir contre son manipulateur imprudent.
Il conclut :

"La compréhension expérimentale que (1) les phénomènes sont l'esprit et que (2) la nature absolue de l'esprit, tel l'espace, échappe à l'observation est de loin supérieure à toute analyse conceptuelle de la vacuité"[4].

En clair, pas besoin de cette dialectique-là. Il suffit de retourner le regard vers ce qui regarde. Un fois entré dans la Tour des prodiges du Bouddha-Soleil, tout est dans tout.

A


[1] Ibid. p. 98.
[2] Ibid., p. 99.
[3] Ibid. p. 101.
[4] Ibid. p. 102.

4 commentaires:

  1. "Il suffit de retourner le regard vers ce qui regarde."

    Yes et il y a toute la vie pour expliquer et rationaliser cela.
    Ca il le faut selon moi.
    C'est mon engagement.

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  2. Bonjour David,

    « Il met ensuite en garde contre la dialectique du Madhyamaka avec notamment cette stance de Nāgārjuna souvent citée »

    Nāgārjuna, à qui est attribué la citation, avait inspiré le Madhyamaka. Elle met en garde contre la mauvaise compréhension du Madhyamaka. La dialectique conduit au Milieu, mais n’est pas le Milieu. Une des mauvaises compréhensions de la vacuité, qui avait été pointée par Candrakīrti, était de la considérer comme un néant.

    Ceux qui ont pour vue la vacuité, font déjà l’erreur d’avoir une vue, prennent la vacuité pour un objet (stong ‘dzin), l’approprient, entretiennent par là une dualité et n’ont pas d’objectif (altruiste).
    Quand on se retourne vers ce qui regarde, ou bien on voit ce qui regarde ou on ne le voit pas. Ce qui est alors vu et/ou non vu s’appelle « vacuité », mais on lui donne de nombreux autres noms. A partir de là, le même avertissement de Nāgārjuna est de mise. Cette « vision » n’est pas la fin, c’est un début.
    Joy

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  3. Des errements (gol sa) sont toujours possibles. Mais à mon sens, la méthode du retournement du regard permet une véritable rupture. Sur la base de cette expérience, il devient possible de discuter utilement. Au lieu de s'enfermer dans des querelles byzantines à la Candrakîrti.

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  4. Nous sommes d'accord. Les querelles byzantines sont des réponses à autant de questions d'adversaires réels ou imaginaires. Mettez ces réponses les unes à la suite des autres, essayez d'y trouver un fil conducteur, transmettez ces réponses contextuelles à une autre culture, traduisez les comme des paroles canoniques, vénérez les et on passe complètement à côté de la plaque. Les Kadampas mystiques, Gampopa et ses premiers descendants en revanche sont partis de l'expérience et ont créé leur propre langage pour en parler. Ce langage passera mieux, car il parle directement de l'expérience. Les éléments contextuels sont moins nombreux et ne gênent pas outre mesure. Evidemment, on peut trouver une manière de faire encore plus adaptée. Greg Goode en parle bien et sans jargon et la vision sans tête me semble aussi une bonne piste, une bonne introduction (ngo sprod). En soi, le livre de Dakpo Tashi Namgyal est excellent, mais il s'inscrit dans une trilogie qui est une tentative de sauver le chou, la chèvre et le loup.

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