vendredi 27 juillet 2012

Ici, il n'y a personne




Dans ma vacuité, il n'y a rien de défini,
et ma luminosité ne peut être ni prouvée, ni réfutée.
Ma présence d'esprit (smriti) n'oublie jamais rien.
Mes apparences sont une manifestation immédiate.
Je ne puis être exprimé par la prolifération des mots,
ni engendré par un mantra, car je suis déjà parfait (siddha).
Je suis totalement indépendant des causes et des conditions
et, libre des filtres que sont les dogmes et les expériences,
je suis sans point de référence, sans dimension.

Je n'ai pas de représentation ni de symbole,
pas de forme visualisée ni de mantra,
pas de dogme, car je transcende les mots.
Je n'ai ni alliés, ni adversaires.

Dépourvu de corps, je ne suis pas perceptible :
pas de doctrine, pas de religion.
Ici, il n'y a personne, personne ne perçoit :
je n'existe pas, pas plus que mon entourage.

Il n'y a pas d'étendue, pas d'espace de la conscience,
pas de vertus, pas de manifestation des conséquences des péchés.
Pas de vie, rien à perdre,
pas d'accumulation ni rien à accumuler.
Ici, il n'y a ni bouddha ni être ordinaire,
nul lieu où se tenir, ni même de vacuité.
Pas de méthode à enseigner, personne pour l'entendre,
pas d'espace, pas de temps,
ni d'instant hors du temps.

Par conséquent, je ne suis rien du tout,
sans parties, indivisible,
je suis par-delà tout progrès,
penser et être identiques,
passé, présent et futur identiques :
il n'y a pas là de champs d'expérience ni de fondement ineffable.

Le tantra des six espaces

Qui, étant doué de conscience,
pourrait bien être en mesure de prouver ou réfuter
le sujet connaissant, l’agent, notre Soi,
le grand Seigneur prouvé d’emblée ?

Stances pour la reconnaissance du Seigneur comme étant soi-même

dimanche 22 juillet 2012

Ici c'est transparent, évident et incompréhensible

Dans la source - la vacuité de l'absence -
l'espace essentiel est le grand mystère,
présent depuis des temps sans commencement ;
éternellement, il fait jaillir le grand déploiement.
Il n'y a nul lieu où se cacher en lui,
rien à faire,
nulle qualité particulière ;
pas de receuillement, pas de progrès.
C'est une grande vacuité originelle,
une vaste ouverture plutôt qu'une absence,
sans intérieur ni extérieur,
sans haut ni bas,
sans direction ni destination.
Qui connaît cette réalité imprenable
s'est éveillé avant moi, Samantabhadra :
tel est le lieu de nulle part, le lieu de la conscience qui embrasse tout,
le séjour incréé, originel,
le séjour du premier éveillé, de l'éveillé originel.
Séjournant là depuis le commencement,
nous sommes le séjour de la parole secrète du Bouddha,
nous sommes le séjour de la présence totale, absolue.

Tantra de l'Amas de joyaux


Un beau documentaire sur une femme maître de dzogchen, la grande complétude. Elle s'est éteinte il y a quelques années semble-t-il :



dimanche 8 juillet 2012

Conférences shivaisme du Cachemire - printemps 2012

Yoni - Sud de l'Inde

Toutes les séances du printemps 2012 sont désormais disponibles ici en audio, avec leurs textes traduits du sanskrit. Le thème est celui de la mémoire. La mémoire prouve t-elle la permanence de la conscience ? Elles font partie du cycle II du programme de six années organisé dans le cadre d'un programme du Collège International de Philosophie (voir ci-contre à droite).

vendredi 6 juillet 2012

La Parade des cygnes

Circé-Mâyâ

Voici le début d'un traité tantrique composé à Bénares à l'époque de la révolution française, la Parade des cygnes (Hamsavilâsa). Il est unique par bien des côtés, et j'espère pouvoir en offrir une traduction :


La Parade des cygnes

Première danse

Ouvertures

Hommage à Śiva
Incarné par l'Androgyne !

Je loue les deux pieds du maître,
Le rouge et le blanc,
Posés sur le trône sacré
Fait de pierres précieuses en forme de cygne,
Sis en plein centre de la corole du lotus immaculé
A mille pétales, fécondé[1] par l'Immense. 1

Je célèbre le couple des pieds du maître,
Inaccessibles à la parole comme à la pensée,
Par-delà toute conjecture, mêlant leur éclat rouge et blanc :
Ils sont la majesté de la déesse de la Triple cité. 2

Je salue la sublime cité, sanctuaire de toutes les Puissances,
Avec son enceinte aux quatre portes,
Dotées de hautes tours[2]
De quinze et dix sortes. 3

Nous contemplons ce royaume bleu nuit
Débordant de la manifestation sans pareille de Śiva,
Demeure de félicité, de conscience et de vérité,
Cause première et dernière (de toute chose). 4

Écoute


Nous contemplons le meilleur
De la source de (toute chose),
Rayon de soleil de Dieu.
Puisse t-il épanouir notre intelligence !

Expliquons cette révélation ! Cette "source" instigatrice (de toute chose) est Dieu, le Suprême Śiva, lui qui incite (toute chose) en tant qu'il est le régent intérieur de tout. "Puisse t-il épanouir", puisse t-il inspirer "notre intelligence", notre intellect, à prendre la délivrance comme objet (de ses réflexions). "Le meilleur" est le meilleur du sublime Suprême Śiva, de ce Dieu qui se manifeste spontanément, qui est la source, qui est l'incitateur en tant qu'il est le régent intérieur de tout, le créateur du monde. Il est le "rayon de soleil" qui doit être goûté entièrement puisque tous les objets connaissables sont autant de moyens (pour le goûter), car ce rayon de soleil anéantit les deux effets de l'ignorance[3]. "Nous contemplons", c'est-à-dire "Puissions-nous contempler" l'éclat, la lumière spontanée qui est l'Immense tel qu'en lui-même[4].


[1] viloḍita : excité, troublé, enivré, rendu fou, charmé.
[2] gopuraiḥ.
[3] L'ignorance en tant qu'elle cache le réel (āvaraṇaśakti) et en tant qu'elle projette les phénomènes sur le Soi (vikṣepaśakti). Maṇḍana Miśra semble être l'auteur de cette distinction.
[4] parabrahmātmakam : car il y a au moins deux aspects de l'absolu (l'Immense) : l'absolu relatif à ses attributs, et l'absolu en tant qu'absolu, l'absolu suprême.

mercredi 4 juillet 2012

Est-ce que les autres existent ?


Tout est dans la conscience et tout est manifestation de la conscience. 

Mais alors que deviennent les autres ?
En effet, l'autre m'apparaît d'abord comme un objet, au même titre que la table ou la pomme. La conscience, la seule, est ici. "Là-bas", il n'y a que des apparences privées de conscience. Or la conscience n'est jamais objet de conscience. La "conscience d'autrui" est donc condamnée à rester inconnue. Par conséquent, je suis la seule conscience et les autres ne sont que des apparences, des choses, des sortes de zombies. Voilà une thèse bien connue dans la tradition philosophique occidentale : le solipsisme. 

C'est un vrai problème pour toute doctrine qui tient que les choses n'existent que pour l'esprit ou la conscience. La plupart des gens pensent que la communication entres les uns et les autres est possible parce qu'il existe un monde commun indépendant des consciences qui le perçoivent. Mais si un tel monde n'existe pas, quel est donc le terrain commun sur la base duquel nous pouvons accorder nos subjectivités ?

Le bouddhisme "idéaliste" (vijnâna-vâda) affirme par exemple que les choses n'existent que dans notre conscience, qu'il n'y a pas de monde extérieur à la conscience, comme dans un rêve. Mais il n'y a pas non plus de conscience commune à tous les sujets, pas de "conscience universelle". Pas d'objectivité commune (l"le monde"), pas de subjectivité ("la conscience universelle") non plus. Par conséquent, l'idéalisme bouddhique échoue à rendre compte de la communication entre les sujets ("l'intersubjectivité"). Chacun rêve en lui-même, en autiste. 
 Car en effet, comment dans ces conditions expliquer la relative efficacité de nos échanges ? En ce moment, pas exemple, vous lisez les mots que j'ai écrit, peu ou prou les mêmes. Comment expliquer les correspondances entre nos séries psychiques s'il n'y a ni monde commun objectif, ni conscience commune ? Cela fait tout de même beaucoup de coïncidences ! Quand Pierrot embrasse Colombine, c'est comme si Pierrot embrassait Colombine au même moment où Colombine rêvait qu'elle embrasse Pierrot... Est-ce crédible ? Et même cette idée de simultanéité ("au même moment") a t-elle un sens si chacun rêve en lui-même, sans un "super-rêve" commun ?

Pour les non-dualistes du Vedânta et de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), cette intersubjectivité est possible parce qu'il n'y a qu'une seule conscience. Nous sommes un seul être qui joue à être plusieurs personnes.

Et la reconnaissance d'autrui, que devient-elle ? Comment accédons-nous à la conscience d'autrui ? Nous savons que la conscience ne peut être objectivée : donc nous ne percevons pas la conscience d'autrui. Mais alors sommes-nous condamnés à ne jamais connaître la conscience des autres ?

La réponse de la Reconnaissance est que nos connaissons la conscience d'autrui exactement comme nous connaissons la notre. Car en réalité il n'y a qu'une seule et même conscience. Reconnaître autrui, ce n'est donc pas reconnaître une autre conscience que la notre, mais c'est bien plutôt reconnaître la conscience - celle dont nous avons la conscience la plus intime qui soit - chez autrui aussi. Reconnaître la conscience en l'autre, c'est reconnaître la même conscience en lui qu'en moi, et non pas "ma" conscience ici et "sa" conscience là-bas. Par conséquent, à chaque fois que nous entrons en contact avec autrui, nous reconnaissons, confusément, que nous sommes tous une seule et même conscience. Sauf, évidemment, dans le cas où autrui est traité seulement comme un objet (esclavage, etc.).
Cependant, cette reconnaissance quotidienne de la conscience en autrui est inaboutie, car notre identification aux corps, aux sensations, aux pensées et à l'inconscience est bien trop forte. Néanmoins, il reste que la reconnaissance d'autrui la plus banale est une reconnaissance partielle du Soi, un pressentiment confus de la conscience au-delà des limites de l'individu.

Donc les autres existent. Et la reconnaissance de cette altérité confirme que tout existe seulement dans la conscience, comme manifestation de la conscience. La dualité confirme la non-dualité au lieu de la contredire : c'est la "non-dualité ultime" (paramâdvaita).

PS : Je m'étonne que personne n'ai rien à redire à ce billet... En effet, il omet le moyen le plus évident - le plus banal - pour connaître autrui : l'inférence. De même, par exemple, que j'infère la présence du feu sur la colline à partir du feu que je vois, de même je puis inférer qu'autrui est doué de conscience à partir de ses mouvements, et singulièrement de ses paroles. Toutefois, selon la Reconnaissance, une telle inférence n'est pas strictement valide dans le cas de la conscience car, contrairement au feu, nous n'avons jamais vu la conscience comme nous avons vu le feu, c'est-à-dire à la manière d'un objet ("cela", "ce feu"). Cependant, nous avons de la conscience la perception la plus immédiate qui soit, une intuition pure, plus pure même que celle de n'importe quel objet. Il y a donc bien là une sorte d'inférence, mais d'un genre unique. Les philosophes de la Reconnaissance choisissent alors de dire que, grâce à ses actes et à ses paroles, l'on peut deviner la présence de la conscience en autrui aussi.

dimanche 1 juillet 2012

Et la douleur ?



"Quand ton corps tombe malade, ne te complais pas dans la maladie, mais reste dans l'état naturel. Regarde la sensation de douleur elle-même. Quand on demeure ainsi, (certes) la douleur ne disparaît pas. Cependant, tu réalisera ainsi l'état naturel, une conscience libre de toute pensée à propos du lieu de la douleur, de son origine, de son intensité, et de ce qui souffre. Dès lors, la maladie deviendra moins lourde et, d'une certain façon, elle perdra sa substance."

Lama Gangshar, Libérer naturellement tout ce qui arrive, un guide pratique sur le chemin profond
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