samedi 26 janvier 2013

Qui est Dieu ?



Qui est Dieu ?



Celui qui lit cette question.



"Celui" - ou "celle" !- et non pas "cela". Car cet espace est certes impersonnel en ce sens qu'il est vide de tout ce qui permettrait d'y reconnaître Untel. Mais il n'est pas impersonnel au sens d'un parking de supermarché car il est animé, vivant, sensible, pensant, percevant, désirant, éprouvant, etc.



Ceci se traduit par des expériences de félicité, de renaissance, d'amour : un sentiment de bien-être indépendant du contexte, une intuition ineffable que "tout va bien", en un sens et à un niveau que l'on ne saurait guère expliquer. Et cela vaut sans doute mieux. Qui peut encore être convaincu ou même séduit par les mythes qui, autrefois, étaient censé réconcilier le Dieu-Amour avec l'existence du Mal ? Qui prend encore les théodicées au sérieux ?



Or, cette intuition indicible est un effet du cerveau et de mille autres circonstances. Et je dis qu'il en va - peut-être - de même pour le silence simple, la présence pure, l'être-sans-pensées. Ce qui est certain, c'est que l'être-conscient-sans-concept et les extases ne me disent absolument rien sur leur cause. Une conscience transcendante ? Non. Dieu ? Non. Je le sais parce que la science en apporte chaque jour un peu plus la preuve. Mais sans cela, j'aurais pu méditer mille ans, m'absorber durant un éon, "être" depuis des temps sans commencement, sans avoir la moindre idée de ce qui cause cette conscience limpide, sans rien savoir du cerveau.


Si l'on tient compte de nos connaissances, l'on peut seulement dire ceci : la conscience ne se réduit pas à des causes physiques. Mais qu'est-ce que cela signifie exactement ? Difficile de le dire à ce stade. C'est la thèse de David Chalmers, très proche du dualisme du Sâmkhya : il y a l'objet, la matière, le monde. Et il y a la conscience-témoin, qui n'est pas un objet, pas la matière, pas le monde. Cette modestie, cette retenue spéculative sont importantes me semble-t-il sur le plan moral et politique. C'est pourquoi j'y adhère. On ne peut pas ne pas avoir d'opinions du tout. Tâchons donc d'y penser. Soyons honnêtes.



Toutefois, je répète et je confirme, dans l'espoir de bien me faire comprendre, que, du point de vue de la première personne, ici-nulle-part, tout apparaît et disparaît dans la conscience. En ce sens, presque tout ce que dit la philosophie de la Reconnaissance est, pour moi, vrai. Personne ne pense. Ce "personne" est vivant, palpitant, lumineux, transparent. Bref, regardez-y vous-mêmes.



L'on pourrait se demander pourquoi je ne suis pas bouddhiste, dans l'une de ses versions minimalistes, actualisées, postmodernes. Il est clair que, pour moi comme pour d'autres, des traditions contemplatives bouddhistes comme le dzogchen, la mahâmudrâ ou (dans une mesure moindre) le zen sont d'une grande richesse et d'un grand secours : économes en conjectures, elles sont centrées, vraiment centrées sur la description de l'expérience. Elles sont uniques et précieuses en cela.


Mais j'estime tout de même qu'il leur manque quelque chose, peut-être quelque chose d'essentiel, une expérience vitale, ou une dimension de l'expérience mystique. C'est le genre d'expérience que j'ai décrit ailleurs comme "expérience du cœur" et que l'on peut décrire comme un "je suis je", un "je-je" pareil à une basse continue, souvent perçu comme une pulsation dans la poitrine. 
 


Bien entendu, je sais que le bouddhisme parle d'expériences qui entrent dans ce registre affectif : la compassion, la dévotion, et surtout la félicité-vacuité qui est peut-être ce qui s'en rapproche le plus. Je note d'ailleurs, au passage, que le caṇḍalīyoga consacré à l'éveil de cette expérience dans notre chair parle d'un A - première lettre de l'alphabet sanskrit - qui s'unit à un HA - la dernière lettre de ce même alphabet, pour former un AHAṂ, "je" en sanskrit. "Je suis l'alpha et l'oméga". Ou "Je suis est l'alpha et l'oméga". Peut-être est-ce un simple hasard, ou un symbolisme involontaire. C'est même probable.



Quoi qu'il en soit, malgré ces éléments, le bouddhisme ne met jamais le doigt sur cette expérience, ou cette dimension de l'expérience, en sa forme chimiquement pure. Le je suis est sans doute vécu ici et là, mais il n'est pas thématisé, pas pleinement reconnu comme tel. Ce qui s'explique aisément : le Soi ou l'identité du bouddhisme, c'est... le non-Soi. Difficile, dans ces conditions, d'explorer à fond l'expérience du je suis. Contrairement aux Upanishads ; au shivaïsme du Cachemire ; à Ramana M. ; à toute une pléthore de mystiques chrétiens.


Vous me direz, pourquoi accorder tant d'importance à cette expérience ? Alors même que l'on a toutes les raisons de croire qu'elle n'est qu'un produit du cerveau ? Alors même qu'elle n'est sans doute qu'un super-ego, base de tous les petits ego-s ? Alors même que les expériences du silence, de la lucidité transparente, abyssale, sont d'une profondeur insondable ? 


En gros, pour les motifs énoncés par la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijñā). Pas de conscience sans "je suis je". Sans ego, oui. Sans Je, non.


Il faudrait préciser, mais pour l'heure je laisse cela.

8 commentaires:

  1. L'expérience dont vous parlez n'est-elle pas ce "sentiment océanique" appelé à être dépassé, dans le bouddhisme ?

    Il me semble que les voies abruptes du bouddhisme (zen, dzogchen) visent un dépassement du sentiment "Je suis Je" pour n'arriver qu'à un "Je" dénué de toute individualité.

    Ou peut-être n'est-ce qu'un chemin différent pour arriver à la même perception de la réalité ?

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  2. Bonsoir et merci pour votre article qui m'a appris pas mal de choses.
    Concernant la théodicée, je ne vois pas pourquoi, on ne peut à l'heure actuelle, prendre cet élément comme intéressant, enrichissant.
    Wronski à son époque a voulu faire coïncider les sciences et Dieu, il y a à ce sujet plusieurs documents y relatants. Je ne pense pas que sciences et Dieu peuvent concourir à une meilleur compréhension de la spiritualité.
    Le cerveau ne dit pas grand chose sur la beauté, la connaissance, la spiritualité. Les neuro-sciences, nomment des lieux dans le cerveau où il y aurait les émotions, des zones, la raison, l'intuition, etc... Mais ces lieux ne sont pas des "réalisations" humaines.
    De quel Dieu parlez-vous?
    "La Vérité captive de Maxence Caron parle du Dieu chrétien,de la théodicée, de l'humanité sous un angle de vue offrant plus "d'espoir" en la vie.
    J'ai beaucoup aimé votre article, qui m'a permis de voir un peu où vous fixait votre pensée. Intéressant.
    J'ai aussi bien aimé votre passage sur "l'expérience du coeur" que je comprends aussi comme "voie cardiaque".
    Je ne crois pas que les mystiques chrétiens ont un véritables rapports avec le "non-dualisme".
    Ils ne sont pas mus de la même chose déjà à la base.
    Question de Dieu et d'histoire.
    On peut y voir une similitude.

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  3. La question de la théodicée est intéressante, oui. Il est enrichissant de s'y pencher, oui. Mais non, les réponses classiques ne peuvent plus être prises au sérieux. L'"Essai de théodicée" de Leibniz est sans doute la somme et le sommet atteint en ce domaine. Or, tout a été dit depuis bien longtemps, les ripostes comme les objections. Passionnante lecture, éloquente, intelligente, mais qui échoue à convaincre.

    Je parle de Dieu, celui de la Bible, de la Torah, du Coran, des Samhitâs vihnouites et des Âgamas shivaites.

    Le cerveau en dit chaque jour un peu plus sur la beauté et même sur la morale. Il ne manque pas de livres ni d'articles sur la question.

    Je suis d'accord que tous les mystiques ne sont pas non-dualistes. Mais ce terme de non-dualisme est à géométrie variable. En tous les cas, des auteurs comme Eckhart ou Ruysbroeck sont non-dualistes au même degré qu'Abhinavagupta et Utpaladeva. Il y a aussi la tradition du Pur Amour. J'ai consacré un blog à présenter quelques textes d'icelle. Dominique Tronc est en train de publier une anthologie sans précédent aux Deux Océans.

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  4. @Philippe
    Pour dépasser l'expérience du "je suis", il faudrait d'abord en parler, la décrire un tant soi peu... Or, il n'y a, à ma connaissance, rien de tel dans le dharma du Bouddha, dzogchen ou autre. L'expérience du Soi décrite dans le Upanishads n'y est jamais prise au sérieux. Ce qui ne veut pas dire que, indirectement, le Bouddha n'a rien à nous apprendre sur le Soi des Upanishads. Mais le fait est que le bouddhisme est resté étrangement silencieux sur le Vedânta. Il a été bavard, en revanche, sur le Sâmkhya. Mais le Soi du Sâmkhya est impersonnel - conscience pure, transparente, sans points de référence : il n'a du Soi que le nom. Quant à la Reconnaissance, elle n'est jamais mentionnée dans aucun texte bouddhiste. Aucune riposte. Donc aucun dépassement. Sauf à nous y pencher nous-mêmes.

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  5. J'ai vu sur la BBC2 hier soir un superbe documentaire "Wonders of Life" avec le professeur Brain Cox (qui a l'air d'un rockstar). L'évolution telle qu'elle a eu lieu y est expliquée comme un processus nécessaire. Les arguments sont très plausibles. La vie a été produite par des gradients de proton. Et c'est un univers mourant qui est à son origine. Si prises symboliquement, les explications mythologiques ne sont pas si loin de la cible. L'émission de hier sera rediffusée demain soir (29/1) 23h20 (heure anglaise). Voici un clip http://www.youtube.com/watch?v=uo6OCxwUPPg

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  6. Merci pour votre réponse.
    Je n'ai pas de "riposte", je dirais simplement avec ou sans preuve, cela ne change rien à la Vérité, que chaque Dieu est unique, il ne peut pas être le même pour tous les religions.
    Les preuves ce sont les écrits des auteurs d'une même branche qui parle aux âmes libres.
    Et, la science exacte et la science de Dieu, ne font pas bon ménage, chaque chose à sa place.
    La science ne peut rien expliquer.
    Il va sans dire qu'un Louis-Claude de Saint-Martin, un jacob Boëhme, un Fabre d'Olivet un Caro et j'en passe serait bien surpris d'être considéré sous un angle sans âme et sans l'esprit des choses.
    Les mystiques non-dualistes seraient aussi très étonné de se voir affublés de ce terme "non-dualiste" alors que leur vie a été tendu vers le Christ, qui est un tout autre chemin.
    Pour finir, je sais maintenant que vous avez un avis circonscrit et qu'il n'est nullement question sur votre blog d'échanges.
    Je m'étonne qu'il n'y a pas de formule de politesse dans vos écrits.

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  7. Bonjour

    ici Tenzin Wangyal Rinpoché parlant du dzogchen évoque non pas l'absence de soi mais l'essence du je, très proche de ce dont tu parles me semble-t-il.
    http://eveilphilosophie.canalblog.com/archives/2013/01/28/26269068.html

    jlr

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  8. Les différences entre les religions sont toujours une histoire de vocabulaire. Il n'y a pas deux réalités. Le vocabulaire change par réaction à un vocabulaire usé. Il est probable que les concepts du bouddhisme proviennent d'une réaction contre un hindouisme affaibli, dévoyé. De même, Maitre Eckhart parle d'une déité au delà de Dieu parce que son époque a chosifié Dieu. En réalité, le Père dans la Trinité convient très bien pour la réalité ultime et il n'est pas besoin d'une déité au delà. Et le Fils convient très bien pour la Réalité chosifiée c'est à dire incarnée.

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