vendredi 27 septembre 2013

L'éveil d'un démon

 Shiva (et sa Shivette), un démon éveillé par l’Éveillé

Parce que je ne suis rien, je peux tout devenir. Pas d'essence, pas de limites, donc une infinité d'existences possibles.

L'homme, comme tout être doué de conscience, est donc "indéfiniment perfectible", il est un être qui se construit lui-même par ses pensées, ses paroles, ses actes. Au fond, il n'est que cette activité de construction. Que l'on peut aussi appeler "imagination".

Quand on réalise que l'on est pure imagination, celle-ci, percée à jour, perd son pouvoir de fascination. Même si l'on imaginait être un criminel, un taré, un raté. Ou un démon. 
Prenons le cas de Prahlâda. Seigneur des démons, il se prit néanmoins d'amour pour Vishnou. Celui-ci lui apparut, et l'éveilla à sa vraie nature. Suite à quoi, ce démon se mit à réfléchir ainsi :

"Il est certain, du moins, que je ne suis pas ce monde. Il est, en effet, extérieur (à moi) et dépourvu de conscience. Je ne suis pas non plus le corps, qui est dépourvu de conscience, car il est périssable. Il n'est (conscient) que par le va-et-vient de la respiration. Je ne suis pas un son, lui aussi dépourvu de conscience, vide d'existence, fait de vide, périssable dans l'instant, résultant d'une construction à travers le conduit de l'oreille, lui-même dépourvu de conscience. Je ne suis pas une sensation tactile, dépourvue de conscience, engendrée seulement par le contact avec la peau  qui est détruite d'instant en instant, dont l'expérience n'est qu'un don de la conscience. Je ne suis pas une forme, dépourvue de conscience, périssable, qui n'existe que dans le sujet qui la voit, qui repose dans la perception de son objet, qui périt d'instant en instant. Je ne suis pas une saveur, dépourvue de conscience, qui dépend de la langue, qui n'est quasiment rien, dont l'existence ne dure qu'un instant pour disparaître aussi tôt, tel un balancement (entre être et non-être), qui n'est qu'un frémissement et qui dépend de substances matérielles. Je ne suis pas une odeur, dépourvue de conscience, produit éphémère du nez, en lui-même parfaitement aveugle, fragile, de forme indéterminée. 

Je suis seulement pure conscience, sans "mien", sans cogitation, sereine, libérée de l'illusion des cinq sens, dépourvue de tout calcul et d'artifice. Je suis purement et simplement conscience sans objet, qui ne peut être un objet, je suis cette lumière qui met en lumière (les formes, les couleurs, les pensées, les odeurs, les saveurs et les sensations). J'imprègne l'extérieur comme l'intérieur, indivis, sans défauts, être pur. 

Ah ! Je reconnais à présent la vérité entière ! 
Je suis cette lumière, cette conscience sans constructions dualisantes, je suis le Soi omniprésent. 
Toutes ces choses, comme les vases et les vêtements par exemple, sont faites de moi. 
Tout ce qui apparaît, jusqu'au soleil, est manifesté par cette lampe d'ultime lumière (qui éclaire tout mais qui n'est pas elle-même éclairée par une autre lumière). 
C'est par moi que tout apparaît en ce monde, que s'activent cette merveille que sont les organes des sens, telles des gerbes d'étincelles manifestées par l'éclat interne du feu. 
Hommage, hommage encore à la grandeur, au Soi de conscience ! 
Hommage à lui qui se tient dans l'intime de toute chose, de tout état, libéré des objets. 
Hommage à cette conscience de soi. 
Hommage à cette conscience qui apparaît d'elle-même, sans cause ni condition, à elle qui repose dans l'état naturel. 
Je la salue, elle qui est sa propre force, sa propre autorité, je la salue, en moi-même par moi-même. 
Bien qu'elle soit présente, elle n'est installée nulle part. 
Bien qu'elle soit en mouvement, elle est immobile. 
Bien que sereine, elle est présente dans les activités quotidiennes. Bien qu'elle agisse, elle n'est pas conditionnée. 
Cela seul doit toujours être désiré, loué, absolument contemplé. 
Par elle, on est sauvé de la profonde confusion de la vieillesse et de la mort. 
Je n'ai aucun désir des jouissances, ni de leur abandon. Qu'arrive ce qui arrive ! 
Que disparaisse ce qui disparaît ! 
Quand l'esprit met fin à l'esprit et qu'il atteint l'absence d'ego, quand  chaque chose disparaît par cette chose même, alors je repose dans l'état naturel, en moi-même. 
Gloire à cela qui transcende toute révélation religieuse ! Gloire à ce qui est le sujet de toute révélation ! 
Gloire à cet être ! Gloire à ce non-être ! 
Gloire à cette quintessence de la paix !"

Après avoir pensé ainsi, il demeura longtemps dans une contemplation sans penser.

Le Yoga de Vasistha, II

Et là, Vishnou se dit : "Mince, si ce Prahlâda continue, tous les démons et même les dieux vont disparaître. Plus personne à qui faire des offrandes ! La Terre elle-même va se vider, et mourir...." Avec sa conque cosmique, il réveille donc Prahlâda et le convainc de continuer à se comporter en démon, pour maintenir le (dés)ordre cosmique. 
C'est ainsi que l'on peut être un démon, réaliser sa vraie nature, et continuer à se comporter en démon.


lundi 23 septembre 2013

Rythmes du silence



Comment quelque chose - rien en réalité - semble venir de rien - la réalité, en réalité :

 Vasishta dit au prince Râma, un adolescent dépressif :

"Homme fort ! Écoute comment l'Immense s'incarne. L'être du Soi n'est pas  fragmenté par les directions et les temps. Quand, par le jeu de ses possibilités, il se donne un corps, un cosmos mesuré par le temps et l'espace, il devient alors synonyme d'âme, d'être vivant, en vertu des traces résiduelles qui le parfument. Il devient l'esprit, qui balance entre la curiosité et l'aspiration au repos. La puissance de l'esprit est de penser, d'évaluer. Au début, elle imagine, en un instant, l'image limpide de l'espace, tendue vers cette saveur qui est le germe du son. Puis cet esprit devient une masse homogène parce qu'il est peu à peu parcouru de vibration en tout son être. Il imagine alors la vibration du vent, tendu vers cette saveur qui est le germe du toucher. Puis à nouveau, à partir de l'habitude d'imaginer l'espace et le vent, le feu est engendré par l'interaction du son et du toucher. L'esprit, pénétré de ces qualités, éprouvant le goût à l'état pur, réalise en un instant la fraîcheur de l'eau et devient conscience du liquide. Puis, pénétré par ces qualités, l'esprit imagine en un instant l'odeur à l'état pur. Il devient alors conscience du solide. Ensuite, revêtu de ces sensations à l'état pur, il renonce à sa subtilité. Il contemple alors le corps, qui fulgure dans l'espace vide sous forme de particules de lumière. L'esprit évoque ce corps de lumière avec une telle intensité qu'il en devient grossier, comme un fruit bel devenu mûr (devient dur et lourd). Il resplendit dans le ciel immaculé avec l'éclat de l'or fondu dans son creuset. Alors, de pas sa nature propre, cette lumière se structure et prend forme. Elle devient plus explicite avec le temps et devient un corps sans défaut. Baignant dans l'intelligence, la pureté, la force, l'énergie, la connaissance et la souveraineté, il est le bienheureux Brahmā, le grand-père de tous les mondes. Il se souvient, il se remémore les multitudes d'êtres passés et, par jeu, il engendre ces chef-d'œuvre de créatures imaginaires. Afin qu'ils puissent atteindre le paradis et la délivrance, ainsi que le plaisir, la richesse et le pouvoir, il forge d'innombrables enseignements d'une merveilleuse diversité. Ô Rāma, cette œuvre en est ainsi venue à être. Vois ! Ce monde est né de l'imagination, il apparaît tel un très long rêve. Quand l'imagination s'apaise, il s'apaise, telle une lampe à court de combustible. Dès, celui qui connais le réel reste en plein dans le quotidien. "Ce qui est perdu, est perdu, ce qui arrive, arrive " (se dit-il). C'est tout naturellement qu'il n'aspire pas aux belles expériences qu'il ne fait pas. On reconnait celui qui sait à ceci, qu'il fait la pleine expérience de ce qui lui arrive. Celui qui sait se tient au milieu des actions, sans désir ni absence de désir. Ces actes n'imprègnent pas le sage, tout comme l'eau n'imprègne pas le lotus.

Cette créativité connaît bien des modes. De fait, elle n'obéit à aucune règle. Ô Rāma ! Écoute cette histoire de Dāśūra que je vais te raconter et qui instruit sur la vraie nature de ce spectacle de magie qu'est le monde..."

Le Yoga de Vasishta, I 

Votre reconnaîtrez le leitmotiv de Swami Prajnanpad, le maître d'A. Desjardins et D. Roumanoff. Renoncer à ce qui pourrait être, c'est revenir à ce qui est. Une sorte de stoïcisme à l'indienne, le souffle en plus.
Ce thème de l'auto-organisation à partir d'éléments simples est central dans la culture bouddhiste, et dans les indes non-dualistes. Il est illustré par la musique indienne. Quelques exemples :


Zakir vingt ans après, avec Rakesh à la flûte, neveux de Chaurasia :


Version voix :



jeudi 19 septembre 2013

Un être sans ego est-il un psychopathe ?




"Vasiṣṭha dit :

Je m'en vais à présent te conter l'histoire de Costaud, Vicieux et Grosse fesse, un conte qui procure le bonheur !
Tandis que l'armée du (roi des démons) Śambara était partie (en campagne) dans une lointaine contrée et qu'elle prenait son repos, les (dieux) immortels y virent une brèche et tuèrent cette armée sans délai. Alors, ivre de colère, Śambara en personne partit vers la cité des dieux. Ceux-ci, effrayés par la puissance de sa magie, fuirent et se cachèrent. Śambara, voyant le paradis désert, s'en retourna furieux chez lui, non sans avoir incendié la cité de ces gardiens du monde. Les dieux, tout en demeurant cachés, tuèrent les chefs de son armée. C'est alors que Śambara engendra, par sa magie d'illusion, trois grandes illusions, trois êtres d'une immense puissance : Costaud, Vicieux et Grosse fesse. Dépourvus des traces résiduelles (d'un passé) et de toute identification erronée à soi, ils ne connaissaient pas la peur. Ils ne voyaient que les soldats qui leur faisaient face, et s'affairaient à les tuer. Les dieux se faisaient exterminer de la sorte, où qu'ils se trouvent. Abattus, ils eurent un instant le courage d'aller s'en remettre à Brahmā. 

Brahmā dit :

"Engagez le combat, puis fuyez vous mettre à l'abri. Puis attaquez-les de nouveau. La pratique répétée du combat fera sans nul doute naître le sens de l'ego dans le cœur de ces démons. Possédés par les traces résiduelles (de leurs actes), vous les battrez aisément ! Car, de fait, les êtres sont prisonniers du filet des traces résiduelles, ce sont elles qui les aiguillonnent. Quoique sages, savants, éveillés et majestueux, les gens sont captifs de la soif, comme des lions enchaînés".

Ayant écouté ces paroles (de Brahmā), les dieux partirent à l'assaut puis battirent en retraite. Par la répétition de ce stratagème, la pratique répétée (du combat) fit naître le sens du "je" (dans le cœur des démons). Costaud et les autres vécurent alors dans le "je", l'esprit attaché à lui. Possédés par les impressions de cet état, ils devinrent pitoyables. Leur intelligence devint aliénée et leur courage s'évanouit comme s'il était parti se cacher...
Alors, leur vaillance évaporée, leur cœur effrayé par la mort, ils n'étaient plus capables de tuer les dieux. Terrorisés, ils s'exilèrent dans les enfers.

L'intellect se dit "Que cela soit mien : Que cela soit à moi !" Quand survient ce désastre, ce malheur, l'intellect ne reçoit plus jamais rien, pas même des cendres. Tels des serpents qui laissent leur vieille peau, tous les malheurs quittent l'être ardent qui sait à chaque instant que même les trois mondes ne sont qu'un brin d'herbe. Tous les malheurs deviennent des bonheurs, et le mépris subi devient une victoire.
Le sens du "je" est la racine de l'arbre des naissances qui n'en finissent jamais. Ses milliers de branches prennent la forme du "ceci est mien, ceci m'arrive à moi, pour moi". Fils de Raghu ! Ce sens du "je" est de trois sorte, en ces trois mondes.
"Je suis tout cela. Je suis toute chose. Je suis le Soi ultime, impérissable. Il n'y a rien d'autre". Cet état est le sens du "je" en sa forme ultime.
"Je suis distinct de tout, comparable au centième d'un cheveux". Cette conscience est la deuxième sorte de sens du "je", sa forme de bon augure.
"Je suis simplement ces bras, ces jambes, etc." Cette certitude est le troisième genre de sens du "je", mondain et vain.
Il faut s'identifier aux deux premiers, qui transcendent le monde, et renoncer au troisième, mondain, source de malheur.
Puis, renonçant même aux deux premiers, celui qui reste sans aucun sens du "je", celui-là seul s'élève nécessairement à l'excellence ultime. Seul cet état suprême est le Bien Souverain, absolu.

Je vais maintenant te dire ce que Śambara fit ensuite. Ecoute !
Autrefois, Costaud et les autres ont été vaincus à cause de leur sens de l'ego, se dit-il. Alors, grâce à sa magie d'illusion, il créa des experts en armement, infaillibles, intelligents et dépourvus de tout sens du "je". Omniscients, informés de tout ce qu'il y a à savoir, sans crainte face à la vieillesse et à la mort, ils s'appelaient Impressionnant, Imposant et Immuable. Libres de passion comme de haine, le regard toujours égal, ils anéantirent à nouveau l'armée des dieux par leurs actions appropriées aux circonstances, impressionnantes et efficaces. Les dieux allèrent s'en remettre à Viṣṇu. Alors, enfin, ces démons furent tués par le disque (de Viṣṇu) dans la mêlée d'une aube terrible. Dépourvu de traces résiduelles, ces grands êtres s'en allèrent dans la paix ultime. 
L'esprit est donc prisonnier des impressions résiduelles et, quand il est libre, il est libre de ces impressions. Ces traces se dissolvent quand on les voit en leur vérité. Une fois dissoutes, l'esprit s'éteint comme une lampe à court d'huile. Il n'y a qu'un seul moyen pour venir à bout de ce mal-être qu'est le cycle des renaissances, source de tous les malheurs : dompter son propre esprit. L'aliénation, c'est simplement désirer jouir de quelque expérience. Y renoncer, c'est être libre. La naissance de l'esprit est une mort. La mort de l'esprit est la vraie naissance.


L'espace omniprésent n'est pas perçu à cause de sa subtilité. De même, la conscience impartiale n'est pas reconnue, bien qu'elle soit infuse en tout. Cette conscience évidente, ce Soi impérissable est "soi-même", notre propre Soi. Il n'apparaît pas, ne disparaît pas. Il ne reste pas sur place, ni ne pars. Il ne va, ni ne vient. La conscience n'est ni ici, ni ailleurs. Fils de Raghu ! Cette (conscience) se déploie sous ne nom de "monde", en proliférant (telle un arbre). Sache que ce mot de "monde" désigne les sons, les saveurs, les couleurs, les formes et les odeurs. Ce Soi évident est l'Immense en sa transcendance. Il remplit tout, pleinement présent en chaque chose. Ici, il n'y pas même l'image d'autre chose, fils de Raghu ! Le reste est pur égarement, de même que la fumée n'est que feu. Au début, il faut éveiller dans le disciple les vertus comme la sérénité et la maîtrise de soi. Ensuite, il faut l'éveiller à (cette vérité) : "Tout est l'Immense. Tu es pur". Celui qui dit à un ignorant ou à un demi-savant que "Tout est l'Immense", celui-là se prépare à sombrer dans le grand filet des enfers ! (1) C'est grâce à l'ultime ignorance née du désir de se purifier soi-même que l'on gagne la connaissance, de même que la saleté est enlevée par de la saleté. Ô Rāma ! Que l'on ne se demande pas "D'où vient l'ignorance ?" Mais que l'on se demande plutôt "Comment puis-je la faire disparaître ?" Fils de Raghu ! Quand elle aura disparue et sera anéantie, alors tu sauras intégralement son origine et sa fin. Dans le grand océan de la conscience, la puissance de conscience paraît en quelque sorte agitée. Ô toi dont les bras sont forts ! Cette forme de la conscience dont la forme est forgée par l'imagination, qui est du domaine du temps et de l'espace s'appelle "le connaisseur du champ". Suscitant à son tour des impressions, il devient le sens du "je". Ce sens de l'ego est le guide, et l'intellect est souillé, dit-on. L'intellect est animé par les concepts et la prise de décision. Il devient l'esprit, masse de doutes et d'hésitations, qui devient à son tour les organes des sens. Sache que les sages considèrent que les organes sont le corps fait de la capacité de saisir, de marcher, et autres (facultés). En effet, l'âme, l'être vivant, est prisonnier de la corde formée par les impressions résiduelles des désirs, des décisions, et, encerclé par la ronde des malheurs, il devient peu à peu le psychisme. 

C'est ainsi que la conscience, pleine de possibilités, devient un sens de l'ego sans failles et impénétrable, à cause de son désir propre, comme un vers à soie dans son cocon. Les êtres vivants sont donc des états de la conscience assumés parce qu'elle a imaginé le devenir. Les dieux, les animaux, les hommes, etc. sont formés par l'imagination de Brahmā. Ils semblent séparés les uns des autres comme des vaguelettes sur l'océan."

Le Yoga de Vasistha, I



(1) Interpolation védantique.

lundi 16 septembre 2013

Que le touchement du coeur est salutaire





"DIEU est un être accompli, qui comprend tout dans le point simple et unique de son éminence. C'est un esprit pur, saint, séparé, élevé, incompréhensible, libre, affranchi, riche de soi-même, qui ne mendie rien au-dehors. Il est immuable, jouissant d'un éternel repos. C'est lui néanmoins qui donne le mouvement à toutes choses.
La NATURE, nommément depuis sa chute de son premier Père, est envenimée de qualités toutes contraires. Elle est divisée, multipliée, extrovertie, grossière, impure, penchante au mal. Elle est captive, atterrée, gueuse, indigente, impuissante. Elle est légère, changeante, toujours inquiète et altérée, sans connaissance de la vraie lumière, sans persévérance au vrai bien. Ce qui fait, que jamais elle ne jouit du solide repos."

Léon de Saint-Jean, La Conduite générale de la théologie mystique, Paris, 1661, pp. 4-5.


En lisant cette opposition, classique dans le christianisme, on voit de suite le dualisme homme-nature, qui n'est pas sans faire songer à celui dont parle la philosophie indienne du Sâmkhya. Mais aussi, un antagonisme entre l'homme (Dieu, riche, libre, pur) et la femme (la Nature, indigente, captive, impure).

D'où vient ce dualisme ? D'une organisation sociale, sans doute. De la difficulté des rapports entre les hommes et les femmes, sans doute aussi. Mais je crois que, dans la bouche d'un contemplatif expérimenté comme le fut ce Carme, il est l'écho d'une expérience mystique, indicible mais que l'on ne peut se résoudre à taire. Or, comme je l'ai suggéré ailleurs, la vie mystique a d'innombrables climats et deux grands aspects : d'une part, le silence, immobile, transparent, simple ; et, de l'autre, la félicité, l'effusion du cœur en soi-même, l'amour, l'extase, la plongée, l'enfoncement dans le cœur, le recoulement en Dieu, le tirement au centre, le touchement en la fine pointe de l'âme, la vive flamme, et mille autre noms.

Mon hypothèse est que ce texte exprime une seule de ces deux faces. Celle du silence, du discernement entre la conscience (l'homme, Dieu) et ses objets (la Nature, la femme). Cultivée seule, cette expérience, si libératrice soit-elle, conduit à ce genre de dualisme sujet-objet, certes différent du dualisme sujet-objet ordinaire, car le sujet y est vu en sa nature infinie, sans formes. Mais le dualisme persiste, peut-être plus violent encore, ce qui se voit peut-être dans la haine des religions de ce type à l'endroit de la femme, du corps, de la nature, de l'imagination. 

Le silence doit être vivant, irrigué par le touchement du coeur. Pas toujours, sans doute, mais parfois, au moins.

Joli. Mais il a trucidé sa femme, et est sans doute mort sous les coups de jeunes gens qu'il enrôlait pour le frapper et le purifier de ses péchés... :

samedi 14 septembre 2013

Seconde édition du guide Almora

La seconde édition du Guide Almora de la spiritualité vient de paraître. Il a été refondu, avec encore plus d'info et un format plus compact. Acheter sur Amazon.

Histoires pour enfant



 L'esprit est une boule de cristal dont le centre est partout et la circonférence, nulle part

"L'Immense en sa transcendance, doué de tous les pouvoirs, absolument comblé, éternel et permanent, joue à se manifester. Par sa puissance, il embrasse cette manifestation. Sa puissance de conscience est dans les corps, de même que la puissance matérielle est dans une gemme. Et sa puissance de vibration est dans les vents, de même que sa puissance de fluidité est dans les eaux. Sa puissance de vacuité est dans l'espace et sa puissance d'anéantissement est dans les destructions. De même, sa puissance de chaleur est dans le feu : tout ceci, nous en faisons clairement l'expérience. De même qu'un arbre, avec ses fruits, ses feuilles, ses tiges, ses fleurs, ses branches, ses pousses et ses racines est présent dans sa graine, de même (tout) ceci est dans l'Immense. Ici et là, maintenant ou plus tard, ces puissances se manifestent en lui, comme le riz surgit de la surface de la terre, grâce à la merveilleuse diversité des moments, les lieux et autres (paramètres). Car de fait, le surgissement de cette prolifération des choses se déroule comme une fable que l'on raconte à un enfant :
"Il était une fois trois valeureux princes dans une cité qui n'existait pas. Deux d'entre eux n'étaient pas nés, et le dernier n'a jamais séjourné dans le ventre de sa mère. Un jour, ils sortirent dans l'idée de trouver ce qu'il y a de meilleur. Ils aperçurent dans le ciel vide des arbres gorgés de fruits. Ayant mangé ces fruits savoureux, ils arrivèrent au confluent de trois rivières, bordé d'une guirlande de vagues. L'une était totalement à sec, et il ne se trouvait pas la moindre goutte dans les deux autres. Ils s'y baignèrent et jouèrent dans l'eau, la burent et s'en revigorèrent. A la fin du jour, ils atteignirent une cité qui n'existait pas encore. Là, ils virent trois demeures charmantes. L'une n'avait pas de murs, ni de charpente. Les deux autres n'étaient pas construites. Ils y trouvèrent trois plats faits d'or raffiné. Des ces trois plats, deux étaient en morceaux et l'autre n'était plus que poussière. Ils y préparèrent trois mesures moins trois mesures (de riz). Une fois la nourriture prête, les princes la mangèrent sans bouche, s'empiffrant encore et encore. Ils engloutirent les restes, puis ils habitèrent là tout à leur aise, s'adonnant à la chasse aux gazelles.
De même qu'un enfant croit fermement à ce que lui raconte sa mère, parce que son intelligence n'examine rien, de même cette fresque du cycle des renaissances en vient à exister pour de bon aux yeux de ceux dont l'esprit ne l'examine pas."

Le Yoga de Vasishta, I
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