dimanche 27 octobre 2013

Qu'est-ce que le samadhi ?



"Samādhi" est l'un de ces mots que l'on répète, le sourcil relevé, dans les salles de yoga. Tout le monde, ou presque, identifie le mot à sa définition dans les Yoga-sūtra(s) soi-disant "classiques" de Patañjali.
La difficulté consisterait à le traduire. Certains ont proposé de le rendre par "enstase". C'est juste un exemple.
Dans la langue sanskrite commune (celle du Mahābhārata), samādhi désigne une solution à un problème. Par exemple, un accord à l'amiable dans une dispute. En hindī, samādhāna désigne aussi une solution ou une réponse à un problème, à une énigme. Comme il s'agit d'un nom d'action, samādhi désignerait une position (dhā) correcte (sam=samyak) sur (ā) une question donnée. Le terme s'emploie couramment en mathématiques et en droit. 
En un sens dérivé, samādhi désigne le fait de se recueillir sur, de méditer un sujet en lui donnant toute son attention, en y déposant, en quelque sorte, tout son esprit. Dans le contexte du yoga, samādhi désigne une forme de concentration achevée et, finalement, un état d'unité du sujet et de l'objet. En ce sens, le samādhi est la connaissance parfaite du réel, l'objectivité réalisée : le sujet devient totalement transparent, il épouse parfaitement la forme de l'objet sans jamais en dévier, à l'image d'un miroir. Dans le bouddhisme, enfin, samādhi désigne une forme de méditation, de contemplation, qui peut être intellectuelle, non-discursive, et surtout être un instant d'intuition, de compréhension du réel. Un samādhi est alors une sorte d'eurêka. Ces aperçus peuvent se succéder rapidement et ils sont potentiellement infinis.
On voit ainsi deux grands sens de samādhi se dégager :
1-Le samādhi comme concentration, achevée ou non (le samâdhi peut être furtif; la vie mentale est une succession de brèves concentrations).
2-Le samādhi comme compréhension, stabilisée ou évanescente, discursive ou intuitive.


Le Yoga selon Vasiṣṭha (Cachemire, vers 950) évoque ces deux acceptions dans une perspective critique. En effet, il critique d'abord le yoga comme concentration ou unification du sujet et de l'objet :

Si l'on atteint simplement l'état de samādhi sans pensées, que l'on comprenne ce domaine immaculé comme étant (une sorte de) sommeil profond impérissable. (III, 1, 36)

Il s'agit donc d'un état qui, en lui-même, n'est pas la liberté que recherche cet enseignement (son titre originel est, en effet, L'Enseignement qui est le moyen de se libérer). En effet, à elle seule, cette concentration, qui peut être très longue, ne procure que du repos pour le corps et l'esprit. L'ignorance, c'est-à-dire l'identification au corps, aux sensations et aux pensées, y reste présente à l'état latent. Dès que les objets des sens réapparaissent, les traces résiduelles de l'imagination passée se réveillent et le yogî est emporté à nouveau dans le cycle des renaissances. On y accède bien, en un sens, à l'absolu. Mais on ne le reconnaît pas. La concentration n'offre qu'un répit temporaire, comme une grand-mère qui fait du tricot : elle oublie un moment ses soucis.

Celui qui a pris la posture du lotus et qui a salué Brahmā, mais qui ne s'est pas libéré en sa vraie nature, comment peut-on dire qu'il est en samādhi ? (V, 62, 7)
Le mot "samādhi" désigne la compréhension du réel, éveil qui consume tous les espoirs telles des brindilles. Le samādhi, ce n'est pas rester sans parler. (V, 62, 8)
Le mot "samādhi" désigne le discernement (prajñā) suprême, posé en équilibre (samāhitā, adjectif verbal de samādhi), toujours comblé, et qui voit le réel tel qu'il est. (V, 62, 9)

Le samādhi est la compréhension du réel. Il est l'éveil de l'Eveillé (buddha), la vision des choses comme elles sont, vision qui conduit à l'apaisement (viśrānti), à l'extinction (nirvāṇa) du mal-être, à la fraîcheur intérieure (antaḥśītalatā), à la liberté (mukti). On le voit, ce texte, source majeure du non-dualisme contemporain (c'était par exemple le livre de chevet de Papaji, alias Poonja), est d'inspiration bouddhiste. Samādhi y désigne la contemplation du réel tel qu'il est, la connaissance. Je propose donc de traduire samādhi par "contemplation" et, occasionnellement, par "compréhension". Du reste, certains passages (qui ne me reviennent pas en mémoire pour l'heure), rapprochent (par une étymologie traditionnelle, nirukti) samādhi de dhī "intelligence", "vision", et de dhyāna "méditation", "visualisation", "contemplation".


Donc "être en samādhi", c'est simplement voir les choses telles qu'elles sont, sans imagination. La tradition contemplative chrétienne ne dit pas autre chose. Ainsi Louis Lavelle, héritier de Madame Guyon et de la mystique chrétienne à travers Fénelon, dit-il de la sagesse :
"Il y a une certaine indifférence qui est la condition de l'unité, de l'activité, du contact avec le réel et qui exige que je sois toujours sans souvenir, sans désir, sans rêverie et sans projet" (Chemins de sagesse, p. 132).


Vasiṣṭha n'aurait pas dit autre chose. D'ailleurs, comme le Bouddha, il n'a jamais rien dit.

4 commentaires:

  1. La définition que tu donnes de samādhi dans le dernier paragraphe se rapproche de celle de Konstanty Régamey dans son introduction au Samādhirājasūtra.

    « The Samādhirājasūtra belongs to the group of texts called vyākarana and contains, in conformity with this denomination, the explanations of different samādhis illustrated by stories meant to show the results of these meditations. But in no case can the present text be considered as a manual of trances. There is no mention of the technical methods of concentration. The word samādhi denotes in our text rather the subject of the concentration, a verbal formula to be meditated upon. The fundamental samādhi embracing in a certain measure all the remaining meditations, identified with the Mother-Prajnāpāramitā (Vill, 7), and giving the title to the entire work, is the « King of Samādhis », defined as « the thesis of the equality of all the dharmas in their essence » (sarvadharmasvabhāvasamatāvipancita-samādhirāja). This thesis is developed in our text in its various aspects and formulated in different verbal redactions. The fact that words have the chief importance, is proved by the stereotyped recommendation occurring almost in every chapter, a recommendation to read this samādhi, recite it, learn it by heart, etc. » p. 21

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  2. Merci Joy.
    Oui, cela va dans le même sens : samadhi comme réponse, solution, et contemplation de cette réponse, de cette solution, ou de cette intuition d'une réponse. Ce n'est pas étonnant pour le Yogavâsistha, vu que, comme je disais, il a été composé par une personne ou des personnes très familières du dharma du Bouddha, voire par un ou des bouddhistes.

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  3. P.S. :
    Les deux acceptions de samâdhi sont bien sûr à mettre en rapport avec shamatha (concentration) et vipashyana (compréhension).

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  4. Bonjour,

    Merci pour cet article qui est à la fois bien construit et cohérent à l'égard du Samadhi.

    La contemplation est aussi le terme utilisé par Alice Bailey dans ses commentaires des Yoga Sutras de Patanjali. Le terme de compréhension me semble moins approprié du fait que dans cet état il n'y a (en mon sens) plus rien à comprendre.

    J'aime percevoir l'évolution du méditant (Livre III sutras 1-2-3). Dharana est la concentration sur un sujet particulier, Dhyana la concentration soutenue (et la méditation) puis Samadhi : la contemplation. On voit très clairement différents stades à l'égard de la relation entretenue avec la Chitta. Très clairement une évolution allant dans le sens du Yoga (étymologiquement parlant). Samadfi est (encore pour moi) le dépassement du mental. Là ou les deux premiers états sont des méditations avec semence (ou en lien avec un objet), Samadhi est une méditation sans semence. Et la vision du Samadhi comme l'éveil de l'éveillé me semble appropriée à son terme. En revanche, au même titre que le "Kundalini Yoga" n'est pas un éveil de ce processus final de transcendance de la forme, la "méditation Samadhi" est accessible à celui qui est en chemin.

    Namasté,
    Jean-Patrick

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