vendredi 19 septembre 2014

Entre connaissance et inconnaissance

Peut-on réaliser notre vraie nature au milieu du chaos de la vie ? Ou bien faut-il fuir ? Et quelles leçons tirer de la violence qui semble faire corps avec la vie ? Là encore, faut-il s'engager dans la bataille (mais pour quoi ?) ou baisser les bras ?
Le Chant du Bienheureux (Bhagavad-gîtâ) est l'un des textes les plus connus de l'hindouisme. 
Il prend place dans une terrible guerre qui déchire les hommes en deux camps. Ce conflit va mener l'humanité à sa quasi destruction. Elle est racontée dans La Grande épopée des enfants de Bharata (Mahâ-bhârata). Avec près de cent mille versets, elle forme le plus long livre de l'humanité. Dans ce véritable livre-univers avant la lettre, il est question de tout, mais surtout de l'absurdité des comportements humains et de la vanité de toutes leurs chamailleries face au Destin, au Temps, à la Mort (kâla).


Et donc la bataille finale arrive. Et Arjuna, héros du camps des gentils, s'avance entre les deux armées. Il voit chez ses "ennemis" ses anciens amis, ses parents, ses frères. Qui ont mal tourné certes, mais qui restent des frères (les femmes sont absentes). Et l'évidence de l'absurdité de la situation l'envahit. A quoi bon ces massacres ? Découragé, abattu, il semble paralysé par le doute (vikalpa, en sanskrit). Intervient alors son écuyer, Krishna, lequel n'est autre que Dieu, "devenu homme pour que les hommes puissent devenir Dieu". Celui-ci entreprend de chapitrer Arjuna et de le remettre en selle, en lui tenant ce discours : Tes ennemis sont déjà morts. Votre véritable nature - votre Soi -, c'est moi, Krishna, qui suis pure conscience éternelle et immortelle. Ainsi, ne te fais pas de soucis, frappe ! Discours d'une cruauté extraordinaire si l'on y songe, et qui a d'ailleurs inspiré plusieurs interprétations guerrières, largement inspirées par l'islam et le christianisme.
Les commentaires, en vérité, son innombrables. Mais parmi les moins connus, il y a le commentaire "tantrique" d'Abhinavagupta. Ce dernier s'efforce de révéler le sens ésotérique de la Gîtâ. Les bons et les méchants sont la connaissance contre l'ignorance. Le lieu de cette bataille est le corps (kula). Les dieux sont les facultés du corps et de l'esprit. Et le vaillant guerrier Arjuna est l'individu qui, guidé par le Seigneur (Krishna), va se placer au centre, dans l'intervalle entre les contraires, pour accéder à la libre conscience qui anime et embrasse ces contraires. Il résume chaque chapitre (la Gîtâ en comprend dix-huit) dans un verset. Le premier dit :

Le sage,
D'abord rendu impuissant
Par la bataille entre la connaissance et l'ignorance,
Doit délaisser les deux à la fois
Grâce à l'usage de la raison,
Puis s'affranchir de toute discrimination.  

Et il résume ainsi le début de la réponse de Krishna, le second chapitre donc :

Merveille !
Chose étonnante que cette créativité de l'esprit !
Il abandonne une expérience
Pour s'emparer aussitôt d'un autre objet,
S'y repose, puis le laisse à son tour !

L'idée d'Abhinavagupta est la suivante : 
L'expérience est discontinue. L'attention est comme un singe qui saute de branche en branche. Or, entre deux instants d'expérience, il y a un intervalle de conscience libre. Quand une pensée a cessé et que la suivante n'est pas encore apparue, la conscience se révèle en sa nudité. Les pensées ou expériences sont gouvernées par la loi des contraires : pas de droite sans gauche, etc. Pour se libérer de ce jeu, absurde en lui-même, il faut reconnaître la conscience nue qui jaillit entre eux et qui les crée et les anime. Autrement dit, notre vraie nature est toujours présente, mais d'ordinaire elle n'est pas reconnue. Nous passons d'une chose à une autre sans prêter la moindre attention à l'espace de pure conscience qui les contient. Or, cette conscience est pourtant ce que nous cherchons en vérité, quoique confusément. Nous sommes comme celui qui cherche ses lunettes alors qu'il les porte sur le nez ! 
Pour être libre de la "guerre" de l'existence, il faut et il suffit donc de reconnaître l'espace, la conscience en laquelle ces hauts et ces bas apparaissent puis disparaissent.

Voici quelques versets de ce second chapitre chantés par notre groupe sanskrit préféré :



Et aussi, ne ratez pas le Mahâbhârata en version Metal :

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