mardi 24 novembre 2015

Douze vraies bulles dans une fausse coupe de champagne


"Un vrai sommeil vaut mieux qu'un faux Eveil.
Un vrai doute vaut mieux qu'une fausse certitude.
Une vraie réflexion vaut mieux qu'une fausse méditation.
Une vraie passion vaux mieux qu'un faux détachement.
Une vraie femme vaut mieux qu'une fausse shakti.
Une vraie surdité vaut mieux qu'une fausse écoute.
Un vrai refus vaut mieux qu'une fausse promesse.
Une vraie sieste vaut mieux qu'un faux yoga-nidra.
Une vraie gymnastique vaut mieux qu'un faux yoga (sans jeu de mots).
Un vrai voyage en Beauce vaut mieux qu'un faux voyage dans l'Himalaya.
Un vrai gîte rural vaut mieux qu'un faux ashram.
Un vrai coup de pied au cul vaut mieux qu'un faux sourire."

Pierre Feuga, Fragments tantriques, Almora

dimanche 22 novembre 2015

L'appel de l'Immense

Peu après le 11 janvier, j'écrivais :


La vie intérieure n'est rien si elle ne s'incarne pas à l'extérieur. 
Et si elle peut s'exprimer, alors elle doit s'exprimer.
Le sommeil des consciences, même éveillées (?!), engendre des monstres. Ou du moins les laisse prospérer.

Mais comment ? Comment matérialiser l'esprit, comment spiritualiser la matière ?
A quoi ressemblerait une éthique et une politique fondée sur l'expérience de l'unité éprouvée en soi ? Comment traduire le mystique en politique ? On pense à la religion. Mais je crois qu'il y a d'autres possibilités. Il faut les explorer. Montrer l'actualité politique d'une philosophie de l'unité inclusive, de la philosophie de la Reconnaissance, tout en convoquant les parallèles occidentaux tels que Rousseau et Jaurès.

Ma thèse est : une république démocratique, laïque, est le système politique qui incarne le mieux l'expérience mystique, ou l'éveil comme on dit aujourd'hui.

En guise de mise en bouche, voici un petit délice façon Jean Jaurès :

"Dieu intimement mêlé au monde qui est sa puissance [=son potentiel en train de se réaliser], 
est à la fois être et devenir, réalité et aspiration, possession et combat. Par là cesse le seul scandale que la conscience humaine rencontrait dans l'affirmation de Dieu : nous luttons, nous souffrons, nous essayons péniblement de dompter en nous les penchants mauvais, de réaliser une perfection naturelle et chancelante; et pourquoi cela si la perfection existe déjà ?
Mais précisément parce que cette perfection absolue existe, elle veut éternellement abolir en elle ce qui pourrait ressembler au destin. 
Dieu ne se contente pas d'être la perfection toute faite ; il veut encore et en vertu même de cette perfection la conquérir, et si je puis dire, la mériter ; et voilà comment, du fond de son acte éternel, il déploie le monde, qui est sa puissance, dans la lutte, dans l'obscurité, dans l'effort. Il donne le moi, c'est-à-dire la communication directe avec l'infini et la liberté, à des formes innombrables. Et lui, le parfait, il poursuit avec toutes ces consciences qui cherchent, qui doutent, qui tombent et se relèvent, le pèlerinage de la perfection."

Abhinavagupta n'aurait pas dit mieux !

P.S. : voir là d'autres magnifiques textes de Jaurès que j'avais partagé sur ce blog.

Eckhart sur l'amour

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"Le siège de l'amour est exclusivement dans la volonté ; plus on a de volonté, plus on a d'amour. Quant à savoir qui en a le plus, personne ne pénètre dans la conscience d'autrui ; le secret en est caché dans le fond de notre âme...
Mais il y a encore un second élément [de l'amour] : c'est la manifestation, l'opération de l'amour. C'est quelque chose de très lumineux : un sentiment intime, un recueillement, une jubilation, et ce n'est pourtant pas toujours ce qu'il y a de meilleur.
En effet, ce n'est pas toujours l'amour, c'est parfois la nature qui nous fait goûter tant de douceur ; ce peut être aussi bien une impression du Ciel qu'un apport des sens ; et ceux qui éprouvent cela le plus ne sont pas toujours les meilleurs. Et même si tout cela provenait réellement de Dieu, Notre-Seigneur n'en gratifie ces hommes que pour les attirer et les stimuler, ou encore pour les tenir à l'écart des autres. Mais quand, par la suite, ces mêmes hommes progressent en amour, ils n'ont plus autant de sentiment et d'émotions ; et c'est alors seulement qu'on peut voir s'ils ont vraiment de l'amour : restent-ils entièrement fidèles à Dieu s'ils n'ont plus cet appui ?
Et quand bien même tout cela serait réellement de l'amour, il y a encore mieux . On le reconnaît à ce qu'il faut de temps en temps renoncer à de pareilles jubilations, dans l'intérêt d'une meilleure sorte d'amour - s'adonner entre-temps à quelque oeuvre de charité là où le besoin s'en fait justement sentir, spirituellement ou matériellement. Je l'ai dit bien des fois déjà : quelqu'un serait-il dans le ravissement de saint Paul, s'il apprenait qu'un infirme a besoin d'un peu de soupe qu'il pourrait lui donner, j'estime qu'il ferait bien mieux de renoncer, par charité, à son ravissement et de servir l'indigent avec plus d'amour".

Maître Eckhart, Entretiens, X, trad. A. de Libéra

L'absolu est-il amoral ou moral ?

Un article que j'avais écrit il y a quelques années :


L'expérience mystique est celle de l'absolu tel qu'il rayonne à travers nous.

Mais quel est le rapport de cette expérience avec la morale ?

Pour de nombreux mystiques, en particulier dans les traditions non-dualistes, la morale est une construction imaginaire, sans contrepartie réelle. Dans l'expérience de la non-dualité, on n'en trouve pas trace. L'absolu, disent-ils, est au-delà du bien et du mal. Le bien n'est tel que relativement au mal, etc. De plus, les valeurs morales ne sont que des conventions, des consensus entre êtres ignorants de cette expérience de l'absolu, perdus dans l'imagination. Donc nulles et non avenues.

Ce qui reste alors, c'est le ressenti pur, pur de tout concept, de toute imagination, donc de toute morale. Voilà pourquoi les "éveillés" affirment souvent qu'ils sont au-delà de la morale, comme le corbeau au-dessus de la mêlée. Et souvent, ils semblent, en effet, agir sans tenir compte d'aucun souci moral, bienheureux qu'ils sont. 

Or, ceci soulève plusieurs questions. Dont celle-ci :

L'expérience de l'absolu est-elle neutre sur le plan moral ?

Si l'expérience de l'absolu est moralement neutre, alors elle n'est pas pour autant sans conséquences morales. En effet, on peut penser qu'une expérience neutre invite, par exemple, à l'indifférence. De l'indifférenciation à l'indifférence ? N'est-ce pas très souvent le cas ? Imaginons que je fais une retraite de méditation. On m'a dit que l'absolu était "sans imagination", sans pensées. Donc je m'arrange pour faire cette expérience. Je reste sans penser, à force d'efforts "sans effort", etc. Et puis, je recommence à penser, à imaginer. Je quitte l'espace du ressenti pour poursuivre mes activités. Or, qu'est-ce que je constate ? Je constate que, de fait, je ne suis pas moins égoïste qu'avant. Dès lors, il est tentant de croire que j'ai fait l'expérience de l'absolu, que l'absolu est neutre, et que, tout simplement, l'absolu n'a rien à voir avec les jugements moraux, qui ne sont que des constructions imaginaires. Il est vrai que je tire de cette retraite un autre bienfait : je suis plus calme. Mais il est vrai aussi que le calme n'est pas moralement bon en lui-même. Ce calme peut m'aider à tuer avec sang-froid, donc plus efficacement. La méditation du "sans imagination", du ressenti pur, peut m'aider à devenir un meilleurs tueur, un "bon" assassin. Et je peux achever de me rassurer en invoquant l'ordre "impersonnel" du réel. Tuer, c'est ma nature. Reproche-ton au lion d'être un lion ? Absurde ! Vaine mentalisation d'Occidental moderne décadent coupé de la Tradition, de Mère Nature !

En écrivant ceci, je pense à la fable de Saraha, ce mystique indien qui aurait vécu vers le IXe siècle. Il médite. Et il fait si bien qu'un jour il entre dans un état sans imagination, pendant douze années consécutives (durée suffisante pour changer ses habitudes profondes, selon l'Inde). Mais juste avant, il avait ordonné à son esclave de lui préparer une soupe à l'oignon. Douze années passent, donc, sans que l'esclave ne le dérange. Puis Saraha rouvre les yeux. Et devinez quelles furent ses premières paroles ? "J'ai atteint l'éveil. Taisez-vous, et recevez le Nectar immortel" ? Non. Il demande sa soupe. La morale, si j'ose dire, est claire : stopper l'imagination - par effort ou par n'importe quelle non-méthode - est sans effet sur les habitudes, notamment morales. 
 
Saraha avait fait l'expérience de... l'absolu ? Non. Il avait fait l'expérience de l'absence d'imagination, laquelle peut être lucide, paisible, bienheureuse. Mais ce n'est pas l'expérience de l'absolu. Cette expérience "par-delà les concepts" est neutre, mais ce n'est pas l'absolu. C'est une sorte de coma lucide, de lobotomie béate, sans doute salutaire d'un point de vue sanitaire (au moins Saraha n'a embêté personne - surtout son esclave ! - durant ces douze années), mais ce n'est pas l'expérience de l'absolu, ce n'est pas ce que le bouddhisme du Grand Véhicule nomme "l’Éveil". Ce n'est même pas l’Éveil du Petit Véhicule. C'est un état de neutralité morale, d'atonie éthique. 

Les enseignements bouddhistes prennent donc soin de souligner que l’Éveil n'est PAS moralement neutre. Il est, au contraire, une source inépuisable de valeurs morales, à commencer par l'altruisme, c'est-à-dire l'habitude de préférer autrui à soi-même. C'est la nature d'un Bouddha. Être un Bouddha, c'est être bon, non pas au sens d'avoir plein de qualités, même psychologiques telles que la patience, la persévérance, la générosité, et encore moins le bonheur. Être bon comme un Bouddha, ce n'est pas être bon comme un bon snipper. Car tout cela, on peut l'avoir et s'en servir pour faire du mal ! Un Bouddha peut manifester ces qualités. Mais celui qui manifeste ces qualités n'est pas nécessairement un Bouddha. L'histoire est pleine de génies... du mal. Capables d'une concentration extraordinaire, d'une égalité d'âme imprenable, d'une mémoire infaillible, ils rayonnent le bien-être, la détermination, ils connaissent les réponses avant même que vous n'y pensiez. Mais ce sont des monstres. Pas des Bouddhas. La différence essentielle, c'est l'altruisme.

L'expérience de l'absolu n'est pas moralement neutre. Elle rend altruiste ou, du moins, elle nous fait prendre conscience du mal que notre égoïsme fait à autrui. Si une expérience m'apporte un peu de calme, plus de concentration et de mémoire, mais sans remuer mon cœur, ce n'est pas l'expérience de l'absolu. Si la méditation étouffe la voix de ma conscience tout en faisant de moi une montagne de sérénité, ce n'est pas l'expérience de l'absolu. Par contre, si je deviens plus scrupuleux, si je me remets en question, il est fort possible que ce soit le signe d'une expérience authentique.

Il est vrai qu'à l'aune de ce critère, bien peu d'"éveillés" sont des Bouddhas. D'ailleurs, peut-on être certain des intentions d'un autre ? Et même, des nôtres ?

Méditer, c'est faire quoi ?

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La méditation est-elle une pratique ?
Je crois qu'il y a deux aspects : le calme et la vision.
La méditation du calme est comparable à une lampe que l'on place à l'abris du vent.
La méditation de la vision est comparable à une lampe qui éclaire un tableau.
On a souvent tendance à réduire la méditation au premier aspect.
Or, à quoi bon avoir une lampe à l'abri du vent si l'on ne regarde pas ce qu'elle éclaire ?
Le calme n'est pas un but en soi. Il n'est qu'un moyen, dans la mesure où souvent, nous sommes si agités que nous ne pouvons voir, tout comme la flamme d'une bougie agitée par le vent ne peut éclairer correctement le tableau.

Pour le calme, on peut poser l'attention sur des objets : le souffle principalement, une pensée, un ressenti, n'importe quoi.
Mais la véritable méditation est la contemplation de la source du regard, ou disons du regard qui se contemple soi-même, sans plus aucun moyen. La méditation n'est pas une pratique qui crée une chose qui n'existait pas, mais la reconnaissance de notre véritable nature, qui est toujours méditation.

De plus, il n'est pas nécessaire de passer par le calme, car la vision est elle-même la paix. Comme dit un tibétain, Longchenpa :

"L'essentiel est de reconnaître la conscience en sa nudité. N'essayez pas ensuite d'examiner le mouvement des pensées, n'essayez pas d'observer leur essence, ni de vous calmer naturellement".
La conscience se reconnaît elle-même directement, immédiatement.

Cette méditation ne dépend de rien. La "pratique" consiste à se familiariser avec cette "état" indicible, comme on se réveille peu à peu d'un mauvais rêve. Cette contemplation, cette vision, ce regard, ne dépend pas des circonstances car aucune circonstance n'est possible sans cette Lumière de conscience.
Et, au cœur de cette Lumière qui n'a ni nom ni centre, bat le cœur de l'amour.

samedi 21 novembre 2015

Les anti-Lumières

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"Les extrêmes se rejoignent". A travers ce cliché, une vérité transparaît : de fait, les opinions des extrémistes politiques convergent sur bien des points, en plus de leur extrémisme. C'est l'une des raisons qui expliquent la confusion des esprits en ce jour où les démocrates sont traités de fascistes, et où des fascistes déguisés en prédicateurs spirituels sont pris pour des cœurs généreux.

La haine de la démocratie est devenue courante. Le mépris de la raison est à présent l'un des piliers de la spiritualité. "Intellectuel" compte parmi les insultes les plus fréquentes. La science n'est mentionnée que pour être rabaissée à des supestitions faribolesques. Crachez sur l'Occident, berceau des Droits de l'Homme, et vous serez certains d'avoir droit à des sourires approbateurs... Et la liste est encore bien longue.
Jamais une civilisation ne s'était haïe comme la notre se hait. Je ne connais aucun autre exemple de tels penchants suicidaires.

L'une des sources de cette mortelle confusion est le mouvement des anti-Lumières, né en même temps que les Lumières, au XVIIIème siècle. Y ont germé le relativisme, l'antirationnalisme et la haine de la liberté que l'on retrouve dans les esprits de vous et moi.

Voici un extrait d'un livre sur ce mouvement, un passage qui résume clairement la vision anti-Lumières, et dans lequel vous reconnaîtrons, tous, au moins une de nos opinions :

"Selon les théoriciens [des anti-Lumières], l'éclatement, la fragmentation et l'atomisation de l'existence humaine, engendrée par la destruction de l'unité du monde médiéval, sont à l'origine de la décadence moderne. On déplore la disparition de l'harmonie spirituelle qui faisait le tissu de l'existence de l'homme médiéval et détruite par la Renaissance pour les uns, par la Réforme pour d'autres. On regrette le temps où l'individu, dirigé jusqu'à son dernier soupir par la religion, laboureur ou artisan ne vivant que pour son métier, à tout instant encadré par la société, n'avait d'existence que comme rouage d'une machine infiniment complexe dont il ignorait la destinée. Ainsi, courbé sur la glèbe sans poser de questions, il remplissait sa fonction dans la marche de la civilisation humaine. Le jour où, de simple pièce d'un mécanisme sophistiqué, l'homme est devenu individu possédant des droits naturels, est né le mal moderne... [Depuis le XVIIIè jusqu'au XXè] l'objectif reste la restauration de cette unité perdue."

Dans cette perspective, le libre-arbitre n'existe pas, l'homme n'est qu'un produit de la société, de l'histoire, de la tradition. il n'est que son passé. Tout élan créateur, toute initiative pour changer ce monde sont dénigrées. Toute révolte est moquée. Toute tentative pour bâtit une pensée autonome, pour se faire un jugement, sont condamnées. Et tout est relatif :

"La relativité des valeurs constitue un aspect capital de la critique des Lumières et les ravages que fera ce concept seront considérables. C'est bien cette autre modernité qui engendre la catastrophe européenne du XXème siècle."

Je suis d'accord sur ce verdict.

Et l'on peut refuser le communautarisme, le multiculturalisme et la disparition des frontières nationales, sans être un fasciste. C'est même tout le contraire ! Ceux qui nient la réalité de la personne, nient logiquement celles des nations, celle de l'homme, celle de l'humain, et sont responsables des totalitarismes et autres islamo-fascismes.
Contre le communautarisme (la revendication de droit différents), je choisis le pluralisme (le droit à la différence), à condition de bien rester ancré dans des valeurs absolues, car :

"en soi le pluralisme ne s'identifie pas nécessairement au relativisme. Mais le pluralisme débouche sur le relativisme quand il nie l'existence de valeurs absolues, ou quand au nom de l'égalité de toutes les valeurs il finit par affirmer l'impossibilité d'un choix entre ces valeurs".

C'est exactement ce à quoi on assiste depuis un demi-siècle, notamment à cause de l'influence des post-modernes obscurantistes, les dérridéens et autres gogos.

Les passages cités sont extraits de Zeev Sternhell, Les anti-Lumières, folio histoire, pp. 29-31.

P.S. : toute ressemblance de ces idées anti-Lumières avec celles de personnages existants des milieux spirituels, non-dualistes ou autres, est loin d'être fortuite...

vendredi 20 novembre 2015

Au cœur de la souffrance, la vie





Depuis quelques jours, je souffre. Comme jamais. 
Non de mon malheur, ni de ma personne, mais de la souffrance que je vois. Elle est comme plus incarnée que ma propre chair. Et je n'y puis rien. Et cette impuissance est insupportable. 
Si seulement. Si seulement j'avais le pouvoir de remonter le temps ! D'inverser le cours des choses.

Mais c'est bien là.
La souffrance des mères, des pères qui ont perdu leur enfant.
La souffrance des enfants qui ont perdu leurs parents.
La souffrance des femmes, des hommes. 
Chacun, unique, singulier, précieux, irremplaçable, sans prix.
Ce n'est pas le moment de dire des choses plus intimes. Pourtant, j'en ressens le besoin. Car la vérité de ces moments est dans les détails, dans les chairs, dans les corps, dans les âmes, dans les individus. Ne pas me contenter de propos généraux, vagues, ne pas me cacher derrière le "on". Derrière l'impersonnel. Car "les" gens en général, ne souffrent pas, ne meurent pas. "Les" gens, ça n'est qu'un mot. Seul tel individu, singulier et bien incarné, peut souffrir, vivre et mourir. 
Oui. Parler plutôt de gens qui ont des noms. Qui ne sont pas des illusions. Qui ne sont pas le produit de "l'imaginaire occidental bourgeois". Ô non ! Non. Des personnes, réelles.
Les personnes qui souffrent sont des déesses, sont des dieux, des anges, des êtres sacrés. J'ai le sentiment de me tenir au seuil d'un sanctuaire. 

Que faire ?
En cet instant, parler de spiritualité me paraît indécent. Le culot des gens qui, comme Katie Byron, font leur commerce de la souffrance, me paraît sacrilège. Je n'ai plus l'envie de traduire. Les conférences ? Pour dire quoi ? Je ne me sens pas de jouer du Bach pendant que le Titanic coule, ni de faire de la poésie en écrasant les fleurs sauvages, comme dit Ionesco.

Mais...
Mais je dois aussi témoigner qu'au cœur de cette douleur indicible, il y a la vie.
Pas "la" vie comme abstraction. Non.
La vie comme émotion qui frappe le cœur, dans la poitrine, dans les tripes, dans la colonne, dans la nuque, jusque dans les jambes, et qui semble envahir le monde.
L'instant de vie.
L'instant unique. Toujours neuf. 
Du sang qui pulse, rempli d'amour, de bonté. 
Des larmes qui coulent, débordantes du lien ressenti avec tous et toutes, par-delà toute image.

Dans la douleur extrême, l'effroi qui déchire le ventre, les cris qui vous réveille à chaque fois que vous vous endormez un peu, quelque chose s'éveille aussi. 
Un cœur bat. 
Un émerveillement. 
Un étonnement. 
Qui ne dit rien. Parce qu'il n'y a rien à dire. Ce serait dérisoire. 
Mais une sorte de parole parle dans le silence. 
Elle dit tout, en silence. 
Elle dit le beau, le bon, le vrai. 
Elle dit l'amour. Elle est amour. 
Elle dit ce qui ne peut l'être. 
Elle guérit. Mais sans rien prétendre. Sans promesses. Sans même se nommer. 
Un souffle d'ange. 
Mais pas une parole condescendante. 
Pas même une parole transcendante. Non. 
Une parole qui souffre. Un cœur qui saigne. 
Infini, oui. 
Mais pas détaché, pas séparé. 
Pas une sérénité abritée, à distance. Non. 
Une vie, un souffle, un amour qui se donne, totalement, qui s'offre sans retenue. 
Qui souffre et qui guérit, en même temps. 
Une puissance infinie et infiniment fragile à la fois. 
Et qui est le cœur de chacun. 
Qui n'est pas impersonnelle. 
Qui est personnelle. 
Universelle, mais unique en chacune. 
Absolument vivante, singulière.

Au cœur de l'hiver, la sève coule.

"Même dans la douleur, il y a cette saveur d'émerveillement.
Car tout ce qui est présent à l'intérieur
- comme par exemple un fils chéri (qui est mort) -
est la vie (elle-même).
Quand cette (douleur) s'éveille
et se dilate en forme d'angoisse,
quand on pense à (ce fils),
quand on voit quelqu'un qui lui ressemble,
quand on voit des larmes et autres (circonstances
qui réveillent cette douleur),
c'est l'être même de la douleur.
Cette essence de la douleur
est un émerveillement d'un genre singulier
du au désespoir - "Plus jamais je ne le verrai !"

Abhinavagupta, La Grande méditation sur la reconnaissance

Même dans la douleur, 
on ressent une joie,
parce qu'alors la conscience se dilate.

Somananda, La Vision de Dieu

mercredi 18 novembre 2015

La vie intérieure, sans vie politique ?

Depuis des années, je constate que la plupart des gens qui ont une recherche spirituelle fuient la politique.
D'un côté, cela se comprend, car la politique, c'est la violence. Même en temps de paix, c'est un champ de bataille qui ne connait nulle trêve.
Mais c'est aussi le réel.
Une spiritualité sans politique n'est qu'une régression infantile, un refus du réel ; de même, la politique sans âme n'est que carriérisme de politicien et manœuvres mesquines.

Si l'on claironne à longueur de journée que son qu'il faut "aimer ce est", pourquoi ne pas se battre ? Parmi les adeptes du développement perso, y en a t-il qui songent à partir se battre en Syrie au côté des Kurdes, par exemple ? Ou simplement, à s'engager de manière adulte dans la vie politique de ce pays, et pour autre chose que le réchauffement climatique ? Parmi les adeptes de la Pleine Conscience, y en a-t-il qui sont prêt à prendre position autrement que par des généralités mielleuses ?
Je ne vois personne.
La vie spirituelle en France aujourd'hui, pour intense qu'elle soit, reste un désert politique. Les méditants, les bouddhistes, les thérapeutes, etc. sont prêts à aller jouer les "héros" devant quelques CRS , mais ont-ils jamais eu le courage d'aller protester devant une mosquée de Seine Saint Denis où l'on prêche la haine de la démocratie, des femmes et des "infidèles" ?
Les spiritueux sont parfois des géants de cœur. C'est vrai.
Mais ils sont toujours des nains politiques. Immatures. Des ados attardés à bisounoursland. Des âmes sensibles, mais sans lucidité, et sans vertus civiques.

La véritable vie intérieure doit être totale : contemplative et active, intérieure et extérieure, universelle et nationale, dans l'unité et la dualité, dans l'individuel et le transpersonnel, animé par une intuition morale et une vision politique.

Sans cela, la vie intérieure n'est qu'une triste farce.

J'avais mis cette vidéo de la série-culte "V", où l'on voit une belle femme, qui est en réalité un monstre, paralyser les humains en leur envoyant le "bliss", une félicité lumineuse dans laquelle les individus oublient le réel, dans l’illusion qu'ils sont reliés au réel. Parfaite et terrifiante métaphore des milieux spirituels aujourd'hui. Regardons. Et réfléchissons :



dimanche 8 novembre 2015

Qu'est-ce le Coeur ?

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"Le Coeur, c'est le sperme du héros et l'abondante sécrétion de la yogini, présents dans leurs organes génitaux. Dans la mesure où on en obtient, toute trace de dualité est anéantie...
Le doute (vikalpa) qui engendre l'étroitesse d'esprit est la racine de l'arbre du monde...
Le doute varie selon la religion et la culture...Les Stances sur la vibration le disent : Comme un voleur, la mauvaise conscience vampirise la vie du corps... Et le Rayon de soleil dit aussi : Il est bon de vivre comme des héros".

Abhinavagupta, Parâtrîshikâvivarana

samedi 7 novembre 2015

La foi d'être



Nous doutons souvent. Nous doutons de notre identité, de notre corps, de nos sensations, de nos jugements, de nos souvenirs, des choses, des êtres, de l'avenir. Nous doutons d'être à la hauteur, d'être à notre place, etc. 
Mais nous ne doutons jamais d'être. 
D'où vient cette foi mystérieuse ?

Quand on raisonne, c'est bien connu, on abouti à des connaissances relatives : une proposition est vraie parce que, en droit, son contraire peut l'être. Même si la raison fourni un degré de certitude plus grand que l'opinion, que la conjecture ou la simple croyance, elle est toujours en sursis d'être réfutée. Même si elle reste vraie, elle est vraie par rapport à un opposé, en relation à une erreur. Cette connaissance n'est pas totale, absolue, complète. Voilà pourquoi il existe une multitude de philosophies, de points de vue sur le monde, qui se complètent comme les facettes d'un diamant.

Mais l'intelligence ou intuition n'est pas de la même nature. Dans la contemplation (l'acte de l'intelligence), on ne connaît pas un objet, une chose, mais la lumière grâce à laquelle on connait les choses. La lumière s'éclaire elle-même par elle-même. La conscience se savoure elle-même. C'est la connaissance pure, sans objet, mais pleine de connaissance, de lumière et de présence. On est est, sans rien être en particulier. Il n'y a pas de séparation entre le sujet et l'objet. Juste une sorte de silence, intense et nonchalant à la fois.
Or, cette lumière n'a pas d'opposé, car rien ne peut être connu en dehors d'un acte de connaissance. Et cette lumière est cette connaissance. La lumière n'éclaire pas d'obscurité. Ainsi, l'obscurité n'est pas l'opposé de la lumière, mais sa privation. Et, dans le cas de la conscience ou intelligence, cette obscurité n'existe qu'au sein de la lumière elle-même, grâce au pouvoir qu'a la conscience de se nier pour laisser place à sa manifestation de soi comme autre. Quand je me dit que "je n'avais pas conscience", c'est toujours sur fond de conscience. Si l'on perçoit une zone d'obscurité, c'est grâce à la lumière de la conscience qui éclaire cet objet, cette obscurité.

Voilà pourquoi la connaissance immédiate de soi, intuitive, n'est comparable à aucune autre connaissance. Les autres connaissances sont des connaissances portant sur des objets, multiples, séparés. Au contraire, l'intelligence est connaissance de la connaissance, vision de la vision, par un retournement mystérieux mais simple.

C'est ce que dit l'aveugle de Marseille dans cet extrait :

"Tout raisonnement est sujet à un raisonnement contraire, et toute vérité à une erreur qui lui est directement opposée. Mais il est vrai qu'ici [dans la contemplation] l'âme ne raisonne point, qu'elle ne connaît rien d'opposé à son objet, non plus que celui qui voit la lumière ne se peut imaginer une qualité contraire à la lumière, si ce n'est les ténèbres qui ne sont pas une qualité contraire, mais une privation pure".

François Malaval, La belle ténèbre, 1670, p. 158

Si dans la contemplation est souvent décrite comme un vide ou une ténèbre, cela "vient aussi de l'éblouissement où l'âme se trouve souvent par un excès de clarté". Et aussi d'un sentiment d'humilité face à cette merveille de simplicité et de richesse, ce paradoxe vivant d'une évidence insaisissable, qui se révèle en se cachant.

La raison connait dans le temps.
L'intelligence embrasse hors du temps.
Il y a la même différence et la même ressemblance entre les deux qu'entre la lumière et les couleurs.

Nous doutons des couleurs.
Mais jamais de la lumière même.
Car nous sommes cette lumière.

C'est pourquoi aussi l'acte de conscience "je" n'est pas une construction mentale portant sur un objet par opposition à un autre, mais l'intuition totale de la lumière consciente. Ce point, expliqué dans le Poème pour la reconnaissance (Îshvara-pratyabhijnâ I, 6, 1-6), est comparable à ce qui est dit ici par Malaval, et qui est tout à fait dans la tradition platonicienne.

vendredi 6 novembre 2015

Qui suis-je ?

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Je suis comme l'espace, dit-on.
Mais l'espace n'est pas conscient.

Je suis comme un miroir, dit-on.
Mais un miroir ne ressens rien.

Je suis comme la lumière, dit-on.
Mais la lumière ne s'éclaire pas elle-même.

Je suis comme une pierre, dit-on.
Mais une pierre est inerte.

Je suis comme l'océan, dit-on.
Mais l'océan ne savoure pas.

Je suis comme le vide, dit-on.
Mais le vide est stérile.

Je suis comme un enfant, dit-on.
Mais un enfant peut être cruel.

Je suis une sensation, dit-on.
Mais je sens les sensations.

Je suis une vibration, dit-on.
Mais une vibration passe.

Je ne suis rien, dit-on.
Mais je suis plus vaste que rien.

Je suis immobile, dit-on.
Mais l'immobilité ne se sait pas.

Je suis impersonnel, dit-on.
Mais "je suis".

Qui suis-je ?

jeudi 5 novembre 2015

Richesse de l'expérience mystique

peinture : Vierge au jardinet (anonyme, début XVIe siècle)

L'expérience de Dieu est d'abord une expérience de vide, c'est-à-dire d'ouverture, de disponibilité, d'écoute et de nudité. Mais au sein de cette vacuité, se révèle la saveur de l'être, saveur qui enveloppe toutes les autres. Comme le Soi des Upanishads qui enveloppe tout ce qui est beau et bon, l'expérience de Dieu dont parlent les mystiques chrétiens est l'expérience d'une richesse, d'une simplicité où tout est donné dans le temps d'un instant. D'où la liberté du mystique vis à vis du monde et, surtout, vis-à-vis de sa propre personne et de ses tendances. Rempli par Dieu qui embrasse en soi tout ce que l'homme désire, l'homme devient indépendant par rapport aux choses de ce monde. Si un certain détachement prépare peut être à l'expérience mystique, il est certain que l'expérience mystique débouche sur un véritable détachement intérieur. "L'unique nécessaire" nous délivre peu à peu de tout le superflu, et d'abord de l'image d'un soi-même, de cet amour-propre dans lequel nous nous noyons sans cesse, à l'image d'un Narcisse amoureux de son reflet.
La liberté mystique vient de la richesse de la contemplation de Dieu en soi et en tout, richesse merveilleuse enveloppée dans un regard simple et nu, qui voit tous les biens simultanément, dans une unité qui dépasse la raison. Ce sont une intuition et un acte d'intelligence, une "intellection" dans le langage de la scolastique. C'est cette vision simple, sans multiplicité mais infiniment riche, que décrit ici l'aveugle de Marseille. Dans ce regard nu, on voit la vérité incréée, par-delà toute raison, mais l'on voit aussi que cette vérité embrasse en elle toutes les vérités et tout ce que l'on désire :

 "Comme les diverses considérations de Dieu se ramassent, s'unissent et se rencontrent en une seule idée qui les comprends toutes [, l'idée de l'être], de même les affections distinctes que nous avons formé de Dieu produisent une affection universelle en laquelle on goûte avec suavité toutes les autres affections.... C'est ainsi que l'on voit d'un seul regard toutes les beautés d'une prairie, que l'on odore d'un seul trait toutes les fleurs d'un bouquet, et que l'on entend tout à la fois les différentes parties d'un concert, sans que ce mélange troue ni altère les sens qui en son frappés. Au contraire, ils se recréent merveilleusement par la variété de tant de choses unies et par l'union de tant de choses diverses."

François Malaval, La belle ténèbre, p. 156

Cette expérience est l'expérience de la diversité au sein de l'Un, et de la présence de l'Un au sein de la diversité des choses et des êtres. Le premier aspect est le yoga de Shakti (l'expérience du "premier instant" du désir ou de n'importe quel choc émotionnel) ; le second est le yoga de Shiva (l'expérience de la transparence des choses, en un silence nu et intense). L'expérience mystique est universelle. Et elle est ouverte, en droit, à tous.

Voici un exemple de concert spirituel, par l'un des plus grands compositeurs baroques, Biber. C'est un cycle de quinze œuvres, les Sonates du rosaire, qui préparent à la contemplation mystique. Voir ici pour une introduction au symbolisme très riche de cette oeuvre au symbolisme très riche. La sonate n° 10, La crucifixion, par l'ensemble Musica Alchemica :





mercredi 4 novembre 2015

Quand l'âme est vide de tout

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Plus on est vide, plus on est plein de Dieu. Alors, tout est Dieu, dans un dialogue universel, car Dieu est l'être de toute chose :


"Quand l'âme est vide de tout, excepté de la pierre vive qui est Dieu, il est impossible de rien faire ni de rien dire sans que tous les objets ne réveillent en nous cette présence. Tous les objets disent : "Dieu" ; et l'âme répond intérieurement "Dieu".


Malaval, La belle ténèbre, 1670

mardi 3 novembre 2015

"Je" ?

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Que pointe le mot "je" ?


Version masculine :

L'infini,
l'indivis,
le sans-action,
par-delà noms et formes,
source des noms et des formes,
âme des noms et des formes.
Voici le Soi, soi-même,
évident.

Version féminine :
Le repos de toute chose en la conscience,
conscience de soi qui embrasse tout,
Déesse adorable,
parole assourdissante, 
non-duelle,
tout en tout et en tous,
plénitude,
existence qui est conscience,
sensibilité,
ressenti de tout ressenti,
extase créatrice,
élan divin,
expansion de présence,
débordement de joie,
Voici le Soi, soi-même,
évident.

A

Différence entre méditation et contemplation


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Quelle différence entre méditation et contemplation ? 
La méditation est mentale, discursive et est une action continuelle de notre part. 
La contemplation est intellectuelle, intuitive et consiste à se laisser faire par l'in-action divine :

"La méditation n'est pas un acte de la raison comme la méditation, mais un acte de l'intelligence...qui nous apprend que Dieu est en nous et nous en Dieu, acte affermi par le continuel exercice de la présence de Dieu, purifié et perfectionné par le secours de la grâce qui nous appelle, nous attire, nous établit et nous conserve en cette vue toute lumineuse et toute amoureuse de la divinité, 
où l'âme dit continuellement, sans le dire, que Dieu est".

François Malaval, La belle ténèbre, 1670, p. 156

dimanche 1 novembre 2015

Atelier de méditation novembre 2015

J'animerai un atelier de méditation le dimanche 15 novembre 2015 de 15h à 17h30 près de Vincennes sur la ligne A du RER.



L’atelier consistera en une initiation à la méditation de Shiva selon la tradition du shivaïsme du Cachemire, à travers des méditations guidées. 


L'attention dans les yeux,

Les yeux dans l'espace.
Grand ouvert,
Regard sans visage,
Transparence sans limites,
Le corps retourné
Comme un gant,
L'extérieur devient l'intérieur,
Comme un ciel sans nuages.
Une seule présence,
Nette et vivante.

Tel est le yoga de Shiva.




La méditation de Shiva est une approche particulière de la méditation, ou les sens sont grands ouverts. 
A travers l'application de points-clé concrets, tels que le regard, le ressenti du visage, des mains, du dos, l'attention s'ouvre, se détend et s'étale dans l'espace. 
On fait alors l'expérience de la non-dualité. 
Ce parfum de non-séparation se poursuit dans la vie quotidienne.

Aucune expérience du yoga ou de la méditation ne sont nécessaires. On peut pratiquer par terre ou sur une chaise. Les moments de méditation assises ne durent pas plus d'un quart d’heure à la fois, afin de ne pas provoquer trop d'inconfort et, surtout, afin de préserver l'intensité de l'expérience de la présence nue. 

Pour plus d'info sur l'emploi de la ceinture de yoga, qui peut être employée dans cette pratique, voir ces articles.

Pour s'inscrire, contacter David Dubois 
deven_fr@yahoo.fr 
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