vendredi 30 avril 2010

Comment la pure conscience en vient à s'identifier au corps - Méthode pour l'éveil VII

19.

Le nom et la forme[1] sont (d'abord) à l'état virtuel. Quand ils s'actualisent à partir de ce Soi, il paraissent assumer le nom et la forme de l'espace. Et cet élément "espace" est engendré de cette manière (illusoire) à partir du Soi suprême, de même que l'écume se forme comme une souillure sur une eau limpide. L'écume n'est pas l'eau, ni absolument différente de l'eau, car on ne l'observe jamais séparément de l'eau. Mais l'eau est limpide, différente de la forme crasseuse de l'écume. De même, le Soi suprême est différent du nom et de la forme qui sont les analogues de l'écume, car il est pur et cristallin. Le nom et la forme étaient d'abord à l'état virtuel, puis ils se sont actualisés, comme l'écume, en paraissant assumer le nom et la forme de l'espace (puis des autres éléments qui se développent à partir de lui).

20.

Ensuite, le nom et la forme s'actualisent sous une forme grossière : l'élément air. Ensuite, ils s'actualisent comme feu, puis comme eau, et enfin comme terre. C'est dans cet ordre descendant que les cinq grands éléments, qui finissent par la terre, sont engendrés. Chaque élément imprègne l'élément qu'il engendre et est imbibé par celui qui l'engendre[2]. Par conséquent, la terre est dotée des qualités des cinq éléments. De cette terre quintuple naissent les plantes domestiques comme le riz, le blé, etc. De ces plantes une fois consommées naissent le sperme et le sang[3] qui sont (particulièrement) connectés au corps de l'homme et de la femme (respectivement). Le sang et le sperme sont placés dans une matrice au moment où la femme est féconde, après avoir été extraits (du corps des amants) par l'acte de copulation engendré par le désir né de l'ignorance, et sanctifiés par les mantras (prescrits dans le Veda). Cet ensemble (de sang et de sperme) devient l'embryon quand il est nourri par le fluide du vagin de la femme. Il naît après neuf ou dix mois de croissance.

21.

Il est alors né, (c'est-à-dire) qu'il a obtenu un nom et une forme. Puis, il est consacré par les mantras (appropriés) lors du rituel de la naissance, etc. Ensuite, il reçoit le nom d'"étudiant célibataire" quand il reçoit la consécration du cordon sacré. Ce même corps, une fois uni à une épouse par le rituel du mariage, devient un "maître de maison". Le même devient un "ascète" en vivant dans un lieu retiré[4]. Quand il accompli la cérémonie de renoncement aux activités rituelles, il devient un "vagabond"[5]. C'est ainsi que le corps est différent de toi, (ô disciple), car il subit différentes cérémonies liées au lignage et à la caste !



Shamkara, Méthode pour éveiller un disciple (Sishyapratibodhavidhi).



[1] C'est-à-dire les noms et les formes. Désigne ici l'ignorance comme effet, c'est-à-dire à peu près tout.

[2] Comme une poupée russe.

[3] Le sang désigne ici le sang menstruel. Les Indiens croyaient que ce sang est la contrepartie féminine du sperme.

[4] Litt. "la forêt". Mais ce terme désigne en sanskrit tous les lieux non domestiqués. En pratique, le couple vit retiré, mais en restant souvent proche de la famille. Dans tous les cas, cet âge de la vie semble être resté queqlue peu théorique.

[5] Un renonçant, un "cygne suprême" (paramahaṃsa).

vendredi 16 avril 2010

Lectures du vijnâna Bhairava Tantra - mai 2010


Rencontres autour du
Vijnâna Bhairava Tantra
Lectures de textes du shivaïsme du Cachemire animées par David Dubois

"Les Anciens ont enseigné que le non-attachement systématique
permet l'arrêt du mental.
Mais maintenant, je montre comment
cet arrêt peut se produire sans effort"

Vîranâtha,
Florilège pour l'éveil à soi


Ce tantra est le plus célèbre et le plus commenté depuis la redécouverte du shivaïsme cachemirien au début du XX ème siècle. Extrêmement original par rapport aux autres tantras, il se présente comme un extraordinaire catalogue d'expérimenations spirituelles allant des techniques yogiques les plus sophistiquées jusqu'à l'exploration des circonstances de la vie quotidienne la plus banale. Nous lirons ensemble le tantra en sanskrit et ses commentaires, ainsi que plusieurs textes apparentés. Le but de ces lectures est de partager nos expériences dans une ambiance conviviale.

Les prochaines séances (entrée libre) auront lieu les dimanches 9 et 23 mai 2010 de 14 à 16 heures à Nogent sur Marne, non loin de Vincennes. Les séances ont lieu tous les quinze jours . Aucune connaissance du sanskrit n'est requise.

Si vous souhaitez venir, nous vous demandons juste d'écrire à l'auteur du blog afin de recevoir l'adresse où se tiendront ces rencontres.

jeudi 15 avril 2010

Rappel de notre vraie nature - Méthode pour l'Eveil VI

16, 17.

Si le disciple demande : "Comment le corps peut-il avoir une éducation, un lignage et une caste particulière ? Ou bien, (je peut aussi me demander) comment je puis être dépourvu (dans ma vraie nature) d'éducation, de lignage et de caste ?

Le maître doit (alors) dire : "Ecoute, ô fils, comment et pourquoi le corps qui a une éducation, un lignage et une caste particulière, est différent de toi, et comment tu es dépourvu d'éducation, de lignage et de caste."

Ayant dit cela, il doit lui rappeler ceci : "Ô fils, tu dois te rappeler que tu as entendu les caractéristiques du Soi suprême qui est le Soi de tout, grâce à des paroles révélées et traditionnelles, telles que :

"Cela[1] n'est que l'être, ô fils...".[2]

Le (maître) doit dire au (disciple) qui s'est remémoré les caractéristiques du Soi suprême : "Ce que l'on appelle

"espace lumineux"[3],

"distinct des noms et des formes",

"sans corps", définit comme non grossier, sans péchés, qui n'est conditionné[4] par aucun phénomène du saṃsāra,

"qui est l'absolu immédiat et intuitif",

"qui est le Soi à l'intérieur de chacun",

"le voyant non vu, l'entendant non entendu, le penseur non pensé, le percipient non aperçu",

son essence est perception permanente,

pure conscience, homogène, sans rien d'extérieur (à elle), ininterrompue,

partout présente comme l'espace,

toute-possibilité,

Soi de tous,

sans faim, etc.,

qui n'apparaît pas, qui ne disparaît pas,

source créatrice de tout ce qui est parce que sa pure présence est une inconcevable puissance,

bien que tout cela soit distinct de lui/ de soi-même, des noms et des formes qui sont le germe des mondes, qui reposent dans notre Soi, qui sont connus directement par soi-même[5] et dont on ne peut dire ni qu'ils sont identiques, ni qu'ils sont différents (du Soi)."


Śaṃkara, Méthode pour éveiller un disciple



[1] Le maître indique ainsi d'un geste de la main tout ce qui se présente d'instant en instant.

[2] Il y a là une phrase qui me paraît redondante et problématique : lakṣaṇaṃ ca tasya śrutibhiḥ smṛtibhiśca.

[3] Ākāśa : même racine que prakāśa, "lumière consciente", "manifestation", "apparaître", "présence". L'espace, comme la conscience, est partout et nullepart.

[4] Litt. : "parfumé".

[5] Tout est connu par le Soi. Le Soi n'est connu par rien d'autre que lui-même, comme une lampe qui s'éclaire elle-même par elle-même, sans dualité.

dimanche 11 avril 2010

Un discours confus - Méthode pour l'Eveil V

Suite du texte de Śaṃkara:


9.

Le disciple a de cette manière compris les caractéristiques du Soi suprême grâce aux paroles révélée. Parce que le (maître) désire le sauver de l'océan du saṃsāra, il l'interroge : "Ô fils, qui es-tu ?"

10.

Si il répond ainsi : "Je suis un fils de brahmane de tel lignage, j'étais étudiant ou bien père de famille, maintenant je suis un ascète détaché de tout[1], qui vagabonde sans cesse, aspirant à traverser l'océan du saṃsāra infesté par les grands démons de la naissance et de la mort".

11.

Alors le maître doit dire : "Ô fils, comment peux-tu peut aspirer à traverser l'océan, alors que ton corps que voici, une fois mort, sera dévoré par les oiseaux ou bien deviendra une simple boue ? Car tu n'atteindras même pas l'autre rive d'un fleuve si tu n'es que cendre !"

12.

Si le (disciple) dit : "Je suis autre que le corps. Car le corps est engendré et tué, mangé par les oiseaux, tué par les armes, par le feu, etc. De plus, il souffre de maladies, etc. Je suis entré en lui comme un oiseau dans un nid, poussé par les actes justes et injustes (que j'ai commis dans mes existences passées). Poussé par ces mêmes actes, j'erre de corps en corps, encore et encore : dès qu'un corps périt, j'en prend un autre, tout de même qu'un oiseau se met en quête d'un nouveau nid dès que le sien est détruit. C'est ainsi que, dans ce saṃsāra sans commencement (absolu), j'ai abandonné des corps divins, humains, animaux, infernaux, selon la force de mon karman, et j'en ai assumé d'autres, toujours nouveaux, errant à cause de mon propre karman dans la roue infernale de la naissance et de la mort, tel un pot dans une persienne. Cette succession de corps est due à l'errance dans le cycle du saṃsāra. En cet océan, Ô seigneur, je suis venu à toi afin de mette un terme à cette errance ! Par conséquent, (et pour répondre à votre question), je suis toujours autre que le corps. Les corps vont et viennent, comme les vêtements d'un homme. "

13.

Le maître doit dire : "Tu as bien parlé ! Tu vois juste. (Mais alors,) pourquoi avoir tenu un faux discours (auparavant), en disant que tu es un fils de brahmane, de tel lignage, qui fût étudiant ou père de famille, et qui est maintenant un ascète détaché de tout, vagabondant de-ci de-là ?"

14.

Si le (disciple) dit : "Ô seigneur, en quoi ai-je tenu un faux discours ?"

Le maître doit lui répondre : "En ceci que dans ta déclaration selon laquelle tu es fils de brahmane, de tel lignage, etc., tu reconnais (pratyabhijñā) le Soi dépourvu de caste, de lignage, (mais)tu le reconnais) comme étant le corps qualifié par telle caste, tel lignage, (alors que tout cela est) différent (du Soi)."



[1] Un paramahaṃsa, un "cygne suprême".