mercredi 27 juin 2012

Comment reconnaître un tulkou ?

 
Un tulkou, c'est un Bouddha ou un quasi-Bouddha qui choisit de naître parmi nous pour nous aider. Les tulkous sont donc des êtres spéciaux, extraordinaires. Le cinéma en parle, la presse, des livres, des documentaires. Mais sous sa forme institutionnalisée, principalement tibétaine, ce phénomène miraculeux a été développé au point de susciter de nombreuses cabales et scandales.

Pourtant, qu'est-ce qu'un tulkou ?
C'est une manifestation de la nature-de-Bouddha, la réalité recouverte par nos projections imaginaires. Or, tout est une manifestation de la réalité. Tout est la réalité, même. Donc tout est un tulkou.
La vie la plus banale est manifestation de notre vraie nature. Mais nous n'y prêtons pas attention.

Par exemple, ce corps et ces bras qui écrivent en ce moment "sortent" de la vacuité, claire et transparente, illimitée, qui s'ouvre au-dessus des épaules. Le corps et tout le reste apparaissent dans cet espace immaculé, sans effort, sans imagination et dans le silence total. Simple.

Tout est tulkou. Reconnaître cela instant après instant, c'est savoir reconnaître un tulkou.

Deux extraits de textes du dzogchen dans ce sens :


La naissance est la réalisation.
Le temps que nous passons dans la matrice est l'expérience de l'espace du réel.
L'unité du corps et de l'esprit est l'union de l'espace et de la conscience.
La vie dans un corps, ce sont les trois Corps (d'un Bouddha).
Grâce à la vieillesse, les projets et les projections illusoires cessent.
Grâce à la la maladie, nous comprenons ce qu'est la vie.
Grâce à la mort, nous pouvons reconnaître la vacuité.
Les êtres sont donc des Bouddhas

Le Tantra du verbe transparent

Tu ne deviendras pas libre en y travaillant.
Tu es libre depuis le début.
Parce qu'ils sont l'union de la méthode et de la sagesse,
Tes propres causes - tes parents - sont pures.
Les vents (du karma) qui te poussent vers la naissance
Sont la grande félicité de la sagesse primordiale, la conscience naturelle.
Les germes, les cinq éléments,
Sont les images qui surgissent dans l'orbe de la vacuité.
L'harmonie bienheureuse des parents en leur union
Est la sagesse qui naît de la méthode.
Quand tu entres dans le ventre de ta mère,
C'est la manifestation de la calme demeure de ta propre conscience.
Durant les sept premières semaines, la réalisation murit.
En dix mois tu as traversé les dix Terres.
A l'accouchement, un tulkou est né !
Le développement du corps est la manifestation du Fond.
L'incarnation est le Fond.
La vieillesse est la disparition des illusions.
La maladie est la réalisation qui s'approfondit.
La mort est la dissolution dans la vacuité, le réel.
Tous les êtres sont donc libres depuis toujours
Sans avoir besoin d'y travailler.

Quelle merveille !

L'éthique ne corrige rien - la vie est déjà libérée.
La méditation n'accomplit rien - l'esprit est déjà libéré.
La théorie ne comprend rien - les dogmes sont libérés.
Le résultat est inconditionnel - nous sommes libres tels que nous sommes.

Le Tantra de la guirlande de perles

dimanche 24 juin 2012

Corriger le bac philo : une partie de plaisir !

Comme vous le savez peut-être, c'est la saison du bac philo. En pleine session de correction (ou d'évaluation devrais-je dire, car il est un peu tard pour corriger), je tombe sur ces perles.
Ma préférée : "Plus tu vas moins vite, moins tu vas plus vite". 
Des maîtres zen, je vous dis !
Un exemple de koân, sur un soûtra de Rousseau :
"L'enjeu repose sur le fait que l'éducation décrite ici avec l'idée que l'on se fait d'elle habituellement". C'est un moyen habile pour déstabiliser l'esprit rationnel. Particulièrement efficace.
Sur "Avons le devoir de chercher la vérité ?" :
"Devoir vient de voir, voir une chose en double ou en grossissement". 
 

vendredi 22 juin 2012

"Comment trouver son chemin dans la spiritualité contemporaine ?"

A l'occasion de la parution du Guide Almora de la spiritualité, je participerais demain samedi 23 juin à une conférence sur le thème suivant :

"Comment trouver son chemin dans la spiritualité contemporaine ?"

Cela se passera à la libraire Cadence à Lyon, de 15 à 18 heures.

Renseignements

Plan

jeudi 21 juin 2012

Maximes



"Car quand Caitra désire une femme, il n'est pas pour autant indifférent aux autres" dit Patanjali

"Quand on obtient quelque chose, on a peur d'en être séparé"

"Un objet engendre le désir de posséder un autre objet : comment engendrait-il le bonheur ?"

Maximes citées par Abhinavagupta dans la Grande méditation sur la reconnaissance de soi comme étant le Seigneur (Îshvara-pratyabhijnâ-vivriti-vimarshinî) sur la kârikâ 11 du 5è chapitre de la première partie.

lundi 18 juin 2012

Générations

Quelques maîtres Occidentaux de la première génération qui m'ont marqué.

D'abord Mark Dyczkowski, adepte tonitruant de Bénares chez qui j'ai eu la chance d'étudier un peu. Il donne ici quelques explications à propos du Vijnâna Bhairava Tantra.

Ensuite Keith Dowman, adepte du dzogchen ou "grande complétude", une tradition tibétaine. Dowman a traduit ses plus beaux textes, notamment l'ultime œuvre de Longchenpa :

A ce propos, Joy Vriens nous livre une traduction du Grand espace de Vajrasattva, ici intégré dans le chapitre trente du Roi créateur de toutes choses. C'est ce texte, laconique et profond, que Garab Dorjé est censé avoir récité en premier dès sa naissance. C'est dire son importance. Un chef d’œuvre. Il a été traduit par Keith Dowman, Eva Dargyay, Adriano Clemente et Jim Valby

samedi 16 juin 2012

Egalité


Une stance du Vijnâna Bhairava Tantra (un recueil d'instructions pour reconnaître notre vraie nature) avec ses deux commentaires traditionnels. Le premier est de Shiva Upâdhyâya, un adepte du XVIIe siècle. Le second, peut-être de la même époque, est plutôt dans la ligne du Yoga Vâsishtha, un immense texte non dualiste composé au Cachemire vers 950. Traduit du sanskrit :

L’état de Bhairava est un champ (de conscience) partout présent,
Même dans les (gens) du commun.
Quand on (médite) ainsi qu’il n’y a rien d’autre
En plus et au-dessus de lui, c’est la compréhension non duelle.


L'Explication de Shiva Upâdhyâya : 

L’état de Bhairava est partout présent, en tous les lieux de l’espace. Notre véritable nature est le sujet de l’expérience. Elle n’est pas vide de (tout) objet connaissable comme le (Soi) des Bouddhistes, par exemple. On doit comprendre que ce champ enveloppe aussi bien les gens du commun privés de discernement – tous les sujets connaissant, tels que « ceux qui sont doués de toutes leurs facultés », « ceux qui sont sans facultés durant une dissolution cosmique » et les autres. On doit prendre conscience que, chez tous ceux-là, le « je » fulgure en toute évidence comme « je connais » et « j’agis ». Il n’y a donc personne d’autre que Bhairava. Telle est l’unité de la prise de conscience « je ». (En effet), le Seigneur suprême se présente comme « je ». Mais contrairement (à ce que l’on s’imagine habituellement à propos du Seigneur), il est parfaitement évident. A quoi bon les trois sortes de méthodes, par exemple celle de l’individu ? Car il ne convient pas de chercher un moyen (pour connaître) ce qui est (déjà) plus que manifeste ! Ce qui est dit ici :

Le filet des méthodes ne peut manifester Śiva.
A quoi bon illuminer le soleil aux mille feux avec une bougie ?
Celui qui reconnaît « c’est ainsi », d’un regard intense,
Celui-là s’absorbe dès lors spontanément en la Lumière conscience, Śiva.

La Lumière de la conscience[1] dit de même :

Il est clair que
Ceux qui déploient des méthodes
(Pour te connaître) ne te trouverons pas,
(Car) tu es partout évident (puisque) tu es l’être du devenir, immédiatement présent.

Et aussi dans le Florilège de la plus haute vérité[2] :

Celui que connaissent même les sots,
Celui que reconnaissent même les porteurs d’eau,
C’est à lui que revient l’hommage.
Pour qui donc n’est-il pas évident, ce Seigneur du tout[3] !

Et même la Révélation le dit :

Même les bergers le voient,
Même les porteurs d’eau :
Il fait la joie de toutes les créatures de l’univers
Qui le voient.

Le Clair de lune de la félicité, par Ânanda :

C'est comme le spectacle merveilleux
D'une cité, un village, etc. reflétés dans un miroir.
Ils semblent séparés les uns des autres et du miroir également,
Alors qu'il n'y a pas de différenciation.

Selon ce passage et d'autres, dans tous les mots et les choses, extérieurs ou intérieurs, toujours et partout, le phénomène (désigné par le nom) "Bhairava" est évident. Rien n'existe en dehors ou au-dessus de lui. Une fois que l'on a atteint cette cette conscience, c'est la connaissance de la non-dualité, la compréhension par-delà toute dualité. Car en effet, s'il y avait quelque chose en dehors de (Bhairava) et (comme) au-dessus de lui, alors (cette chose) ne pourrait absolument pas se manifester !


[1] Saṃvit-prakāśa de Vāmana, un hymne à Viṣṇu selon une perspective non dualiste.
[2] Maha-artha-mañjarī de Maheśvara, un poème sur l’enseignement du Kālī-krama, avec un auto-commentaire. Le poème a été traduit, ainsi que des extraits du commentaire, par Lilian Silburn.
[3] Kula-nātha : seigneur du corps, seigneur des énergies vitales symbolisées par les yoginīs.

jeudi 14 juin 2012

Roulement de tonnerre des mots et des choses

Triple linga, Bali

Voici un extrait d'un texte difficile en apparence. Il appartient à la tradition de la Grande Vérité (maha-artha), ou Doctrine de la Déesse (devî-naya), que les auteurs du shivaisme du Cachemire appellent souvent "Séquence de la déesse Kâlî" (kâlî-krama). Il s'agit de la première stance et de son auto-commentaire qui, comme toujours, résument l'enseignement tout entier. Cet enseignement est présenté à travers le schéma des quatre étapes de la conscience comme parole.

La Lumière de la Grande Doctrine,
composée par le maître Śithikaṇṭha

Stances augurales :
La conscience est la divine terre de l’ébranlement (de la manifestation, et) sereine condition (tout à la fois).
Désireuse de faire apparaître des portions (de Śiva),
Puisse ce flot désigné par les mots 'Śiva' et 'Brahman'
Apparaître en sa vérité. 1

Elle qui se cristallise en portant en son sein le quadruple univers et les six chemins,
Elle a pourtant la taille fine ! -
(Car) elle est l’égalité de la prolifération (des phénomènes) et de leur extinction. 2

Puisse la Puissance de Rudra vaincre la masse des nuages qui l’entravent
Grâce aux multiples moyens lumineux (enseignés ici)
Pour s’unir au cœur du Grand Seigneur. 3

En ce sanctuaire d’Uḍḍiyāna accompagné de ses sanctuaires secondaires nommés Kula et Akula
Se trouve la gnose la plus haute, pleine de puissance - la pratique féroce !
De même, multiple est l’éclat des sanctuaires qui resplendissent les uns après les autres.
Mais cette Entière Vérité est (pourtant) éternelle (, sa révélation est instantanée).
Ce royaume resplendissant, par sa grandeur souveraine,
Se trouve en tête des sanctuaires et règne sur eux. 4

Je vais dire tout ce qu’il y a à savoir sur
L’énumération des chemins avec leurs mantras,
Leurs mots et leurs phonèmes. 5

Première stance :

Puisse ce fruit qu’est
Le repos en notre essence être notre.
Ce fruit est celui de la Déesse primordiale,
Incompréhensible.
Elle est ce roulement de tonnerre des mots et des choses
Ce grand flot du courant divin,
Energie sans-caractéristiques à l’origine des vagues de la Mā //1//

Le vaste déploiement de la Déesse primordialece grand flot qui précède le courant divin, est ce roulement de tonnerre des mots et des choses, incompréhensible énergie, origine de la vague de la Mā : puisse ce fruit du repos en notre essence être notre.
Tel est le sens (de ce vers) selon (son) ordre en prose.
Mais voici maintenant le sens implicite :
Ce roulement de tonnerre des mots et des choses est le déploiement de la (Parole) Médiane colorée par les objets pensés, proclamation ininterrompue provenant de l’apparition du grand flot en forme de Voyante dont la nature est la vibration de la Résonnance (de la conscience manifestée comme mantra), consistant en des signifiants et des signifiés indifférenciés.  (Ce grand flot) provient du courant divin dont l’essence est le Soi, Parole Suprême gouvernée par la Déesse primordiale qui est l’essence, le Soi Suprême.
Le mot et la chose, c’est le nom et la forme, le signifiant et le signifié. Leur grondement roule comme le tonnerre (à travers toute la manifestation).
C’est lui ce cycle inférieur qu’est le déploiement de l’univers en forme d’énergie des vagues de la Mā accompagné de la (Parole) Articulée avec ses objets signifiés (clairement distincts les uns des autres).
Son origine, son lieu d’origine, est caractérisé comme sans-caractéristiques. Il est le déploiement complet de la Parole jusqu’à l’Articulée, apparaissant sous la forme de leur signifiés respectifs. Il est gouverné par la Parole Suprême.
Tel est cette quadruple apparition de la Parole qui s’achève par l’Articulée, gouverné par la Parole Suprême. Il a pour essence la conscience, c'est-à-dire le fait d’être actuellement conscient.
De même ce déploiement de la conscience est de deux natures : phénoménal et non-phénoménal. Il est la « Totalité des sons », objets empiriques de la parole articulée que l’on se représente actuellement.
Ce (déploiement) a pour origine la conscience, il existe dans la conscience, il est fait de conscience, il repose dans la pure conscience.
Ainsi ce déploiement de l’univers a pour fruit le repos en notre essence. Puisse (ce fruit) être notre. Puisse t-il s’achever par l’expérience de la Grande Vérité qui est présente pour tous toujours et partout.
Voilà ce que veut dire ce vers de salutation. 1

lundi 11 juin 2012

Non-dualité de la parole et du silence

Selon Abhinavagupta, la conscience est Parole (vâk). 
Parole ultime, transcendante (parâ), elle est simple conscience, sans aucune articulation distincte - mais grosse de toutes les paroles articulables. Parole visionnaire (pashyantî), elle esquisse le sens des mots en une intuition globale, "comme une cité contemplée depuis le sommet d'une colline". Puis, parole intermédiaire (madhyamâ), elle est pensée articulée en soi-même, mais pas encore entièrement tributaire du souffle grossier et des points d'articulation corporels. Enfin, elle s'étale dans l'espace, rebondit et s'articule (vaikharî) dans différents points d'inflexion, depuis l'arrière de la gorge ("hhh...") jusqu'au nez ("hi hââân !"), enfin elle se perd au sommet de la tête et dans l'espace. Abhinava donne de nombreux exemples et analogues, notamment dans la Lumière des tantras. L'idée de ce schéma n'est pas de présenter un schéma abstrait ou ésotérique, mais de permettre à tout un chacun de reconnaître par lui-même l'identité de la pure conscience, de la parole, de la pensée, du désir, de l'émotion et du souffle.
Dans les pièces de dhrupad ci-dessous, l'intention de chanter est la Parole suprême. La tampourâ - le bourdon continu en arrière-plan - est la Parole "voyante" ou "visionnaire", la conscience intuitive. Le chant est la parole intermédiaire. Le tambour pakhâvaj est Parole articulée. Notons que la Parole comme intuition correspond au premier instant du désir. C'est l'instant décisif du point de vue spirituel.


samedi 9 juin 2012

Lumières sur lumière

On entend beaucoup parler de "vibrations". En Inde, il a existé une tradition animée par l'expérience de la vibration en sa forme propre : la conscience, l'étonnement, le saisissement et ses mille facettes.
Difficile de comprendre Abhinavagupta et le tantrisme en général sans sa musique. Bien sûr il est tout autant impossible de savoir exactement quels airs ces gens écoutaient il y a mille ans. Cependant, la musique était au centre de leur vie, comme en témoigne le commentaire qu'Abhinavagupta a composé sur le traité des arts de la scène (le Nâtya-shâstra). Impossible de comprendre, aussi, les pratiques sur le mantra. A la fin de chaque mantra important, comme hûm par exemple, le point essentiel est l'écoute du son qui se perd dans le Son spontané, cette vibration que nul ne peut émettre ni faire taire (anâhata).  De fait, on retrouve cette notion de la vibration (nâda, spanda) qui devient de plus en plus subtile, jusque dans la musique classique indienne contemporaine. Écoutons ce morceau de rudra vînâ. Il est une illustration extraordinaire de cette tradition de la vibration, et une illustration sonore du "shivaïsme non dualiste du Cachemire". Parfait pour ceux qui n'aiment pas lire :
Une interprétation au sitar - l'instrument est bien plus récent, il n'existait pas à l'époque d'Abhinavagupta.  Mais son "âme" (jîva) est la même que celle de la rudra vînâ ; il s'agit d'un chevalet plat, légèrement courbe. Le musicien joue à l'extrême sur les prolongements de cette vibration, dans un style plus léger que le morceau précédent :

vendredi 8 juin 2012

"Je ne suis pas cette dualité !"




Voici des instructions de méditation par le maître bouddhiste Dingnâga (vers 600 ?). Le principe est simple : tout est un rêve, ce rêve est sans réalité, vide de tout ce que l'on peut imaginer, dépourvu de dualité, comme "un ciel sans nuages". Le texte en sanskrit.

Introduction au yoga par Dināga

Hommage à la Libératrice !

Le (yogin) doit commencer par lire l'enseignement sublime (sur la Perfection de sagesse),
Puis il doit méditer la réalité en sa vérité ultime.
Installé sur un siège moelleux, plein de foi,
Le (yogin) doit alors commencer le yoga. 1

Il y a une dualité : le sujet qui s'empare de l'objet.
Que l'on se dise : "je ne suis pas cette dualité !",
Et l'on baignera dans le bonheur.
Qu'on le reconnaisse : les pensées innombrables sont (comme) un sortilège.
L'esprit se met alors à l'unisson (de la réalité). 2

(Ainsi) on examinera de près tout ce que l'on peut connaître et percevoir.
Il n'y a là aucun yoga (au sens d'une union du Soi individuel avec le Soi divin).
On reconnaîtra cela dans le corps lui-même
Grâce au diamant (indestructible et tranchant) de la connaissance de la réalité telle qu'elle est. 3

(Cette connaissance) est sans pensée, dépourvue de la distinction entre un début et une fin,
Dépourvue de toute structure.
Elle est ininterrompue et limpide (comme) mille soleils,
Toute pareille à un ciel sans nuages. 4

Tout ce que l'esprit perçoit n'est qu'un aspect de lui-même,
Depuis toujours produit par lui-même (comme dans un rêve).
(Ce yoga) fait voir que tout ce que (l'esprit) voit
Est vu ainsi (comme dans un rêve). 5

Cet esprit qui (réalise) qu'il n'appréhende aucun objet (en dehors de lui-même)
Est la connaissance de la réalité telle qu'elle est - et la cime (de l'existence) !
Ainsi par la pratique répétée,
On gagnera l'éradication des ténèbres dès lors qu'elles sont vues (pour ce qu'elles sont)
Au moyen de la connaissance approfondie. 6

Doté du yoga grâce à ces (méditations répétées),
Le yogin fera le bien des êtres de bien des manières.
Quand (cette méditation) est parfaite,
Le yogin marche sur le noble sentier authentique. 7

[manquent des mots] Il n'est pas même ébranlé par les tempêtes des passions,
Il est sans cesse engagé
Dans la pratique de la Perfection de sagesse. 8

[manquent des mots]
Il accomplit de même à la perfection les (accomplissement) secondaires
Comme le charisme, la générosité et le yoga des samādhis. 9

dimanche 3 juin 2012

L'étonnement éternel


En Mongolie

L’étonnement éternel  

L’Infini, en même temps qu’il est la suprême clarté, est le suprême mystère. L’être infini est une inépuisable réponse à une inépuisable question ; Dieu même, en se comprenant comme être et en comprenant tout par soi, s’étonne d’être ; le jour où nous saurions tout, où nous verrions tout, nous aurions mis un terme à notre ignorance, mais point à notre étonnement ; l’étonnement n’est pas seulement à l’origine de la science, il est au bout et, à l’infini, il se confond avec la science elle-même ; l’infini a besoin, pour résister à la négation, de s’affirmer sans cesse, et c’est cette affirmation renouvelée qui renouvelle le monde ; il y a au fond de toute chose un étonnement divin qui met dans la monotonie des matins renaissants une fraîcheur d’aurore première et qui prolonge dans le rêve les perspectives voilées du soir.

Jean Jaurès, Poésie, p.34

samedi 2 juin 2012

Le "premier instant" : qu'est-ce que c'est ?


Ecouter de la musique dhrupad, c'est faire l'expérience de cette liberté qui est la vie elle-même (jīvan-mukti). Le point-clef est l'absorption dans "le premier instant du désir" (prathamā-tuṭi).
Quand l'esprit est occupé et qu'il est soudain interrompu par un bruit, un choc, un souvenir ("Mince, j'ai oublié le gâteau dans le four" !) ou quoi que ce soit, il y a une interruption de la conscience ordinaire. Un éclatement, une éclosion, un éveil, un moment atemporel de pure présence, de conscience de soi sans aucun objet, sans limites ; mais qui enveloppe en lui-même toutes les expériences possibles. Ou encore, quand on écoute la musique de la rudra-vīṇā ci-dessous, on reconnaît l'intention, l'élan sous-jacent aux mouvements du son.  L'action, quelque soit sa complexité, est le déploiement d'un seul désir. Ensuite, on peut reconnaître cette même volonté dans n'importe quelle action - quand je cuisine, quand je parle, quand je marche - c'est le déploiement d'une seule conscience-en-acte. L'idée que tout est créé par la conscience devient alors une expérience vivante.

Voici comment le maître du fondateur de la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnā) décrivait le premier instant du désir :

"Grâce à la dilatation de la joie (que l'on éprouve) face à la majesté débordante qui est la nature (même) de la conscience, il y a un moment où l'on "se tourne vers" (la manifestation à venir contenue en soi). Cela, c'est "être la conscience", c'est le premier instant du désir, au moment de l'ébranlement de ces créations variées qui composent des tableaux merveilleux.
Or ce (premier instant) peut être perçu dans le cœur au moment où l'on se souvient (soudainement) d'une chose que l'on doit faire, au moment d'une nouvelle réjouissante, à l'instant d'un spectacle effrayant, au moment d'une vision imprévue, au moment de l'orgasme ou quand on en parle[1], quand on parle (vite) et quand on coure. En toutes ces circonstances sans exception, il y a une excitation de toutes les énergies."

Somānanda, La vision de Śiva, I, 7b-11a


[1] Ou bien "quand on prononce le visarga : ahhh...".