mercredi 31 octobre 2012

Boire du lait, est-ce pire que manger de la viande ?

Il est clair que la consommation de viande est moralement condamnable - parce qu'elle est cause de souffrance pour les animaux.
En buvant du lait et en consommant des produits laitiers, on pourrait croire que l'on en terrain moralement sûr. Mais le sort des vaches laitières est loin d'être enviable. Elles restent souvent debout jusqu'à ce que mort s'ensuive. De plus, elles sont souvent battues et brutalisées de diverses manières. 


Le discours le plus important de votre vie -... par V3nom7

La question n'est pas ici de savoir ce qui est bon pour notre santé, mais ce qui est moralement bon.

Mais si l'on ne doit plus manger aucun produit animal ni aucun dérivé (c'est le véganisme), que manger ? L'argument ici étant que le véganisme est mauvais pour la santé. Mais, même si cela était le cas - et en effet un régime végan sain n'est peut-être pas chose impossible - ne faudrait-il pas faire le choix de ce qui est bon pour les autres ? Notre santé peut-elle servir de justification légitime à la souffrance de millions d'animaux ?
Ainsi, les bouddhistes et les gens qui se veulent altruistes ne devraient-ils pas s'abstenir de tout produit animal, ou du moins y réfléchir ?
Enfin, dans une perspective non-dualiste, comment justifier cette souffrance infligée à autrui, aux autres animaux ?
L'on pourrait certes répondre que l'autre étant moi, je ne fais pas vraiment de tord à autrui en le faisant souffrir. N'a-t-on pas le droit de se faire souffrir soi-même ? Tel est le genre d'argument que l'on entend souvent. Quand j'ai posé la question des camps de concentration à des maîtres du shivaïsme du Cachemire (en Inde), ils ont répondu qu'en réalité, il n'y avait là aucune souffrance moralement mauvaise - seulement un "jeu du je". Mais cet argument me semble peu convaincant, car se faire souffrir soi-même, c'est être fou, c'est souffrir de psychose - d'une scission entre soi et soi. Dans ce cas, la conscience est folle, psychotique, malade. Comment peut-on affirmer qu'elle est libre ? Ou alors, il s'agit de la liberté d'un enfant qui "fait ce qu'il veut" dans une chambre avec une arme chargée... Quoi qu'il en soit, n'a-t-on pas des devoirs, même envers soi-même ? A-t-on le droit de disposer de soi comme d'un objet pour le faire souffrir dans l'espoir d'en tirer quelque plaisir et une certaine gloriole ? De plus, il ne faut pas oublier qu'à cette souffrance causée par nos choix délibérés - ce mal moral donc - s'ajoute la souffrance causée par la nécessité de tuer pour se nourrir chez la plupart des animaux - un mal "naturel" en quelque sorte. 
Donc, manger des animaux ou leurs produits dérivé est mal, et l'idée que nous sommes tous une même conscience qui se fait souffrir elle-même est problématique.

A propos de morale, voici un extrait d'un documentaire (sous-titré en français !) sur l'un des penseurs les plus marquants dans ce domaine, Peter Singer. Auteur de La libération animale, il est malheureusement inconnu en France :



P.S. : On pourrait objecter qu'il y (au moins !) une contradiction dans mon propos. A savoir, je dis d'abord qu'il ne faut pas exploiter les animaux même au risque de notre santé ; puisque j'affirme que nous avons de devoirs envers nous-mêmes, envers notre corps. Or, le devoir de préserver notre santé en fait partie, n'est-ce pas ?

lundi 29 octobre 2012

Sans visualiser ni réciter






Je salue l'être orné d'amour
En qui Śiva apparaît simplement,
Sans qu'il ait d'abord
Visualisé ni récité. 1

Pluie de félicité universelle qui éradique les ténèbres de l'aveuglement,
Clair de lune de la conscience,
Cette déesse pleine à raz-bord
Est unique en ceci qu'elle transcende (tout).

Incité encore et encore
Par une foule de ces êtres qui sont ornés d'amour
Je vais expliquer brièvement
Les hymnes composés par l'auteur des Stances pour la reconnaissance.

L'auteur des Stances pour la reconnaissance est renommé : il est le maître Utpaladeva. Il fut le maître de notre maître. Le fait que notre Soi est le Grand Seigneur lui était évident sans aucune interruption. Parce qu'il désirait intensément fait prendre conscience de cette même vraie nature (aux autres aussi), il composa des vers épars et éloquents, rassemblés (ensuite en hymnes) tels que l'hymne qui résume l'essentiel, l'hymne de la transcendance, l'hymne de l'amour... C'est alors qu'un jour il arriva qu'ils furent mélangés. Les ayant trouvés en cet état, Rāma et Ādityarāja en rassemblèrent les fragments et les éditèrent. Quant à Viśvāvartta, l'on dit que, inspiré par notre Soi, il les disposa en les vingt hymnes (que nous avons). Ce sont ces hymnes poétiques, à commencer par celui "qui résume l'essentiel", que nous allons élucider ici en nous appuyant sur les commentaires antérieurs.
Afin de montrer que le souverain bien consiste à être absorbé en le Seigneur Suprême, c'est-à-dire en la délectation de posséder intimement la bonne fortune de la liberté, il énonce un hymne - et non un syllogisme - qui célèbre l'être doué d'amour absorbé jusqu'à l'identité dans le Seigneur Suprême qui est sa vraie nature.
Celui "en qui Śiva apparaît tout simplement", sans aucune méthode fondée sur une dualité illusoire (māyā), pour celui-là, le fait que notre Soi est Śiva se manifeste en toute son évidence. Il est orné, embelli, par l'amour seulement, lequel consiste à être absorbé (en Śiva). Il n'est pas enlaidi par le désir d'autre chose en plus de cela. 
"Je salue cet être d'amour", de l'amour qui est identité avec le sublime Śiva qui se déploie au grand jour par la force du miracle étonnant / de l'expérience longuement savourée de l'amour, puisqu'en effet, il se dit à lui-même qu'il devient ainsi absorbé en Śiva par Śiva, inséparable de lui. 
"Simplement ainsi, sans visualiser", etc. suggère la victoire sur les impuretés. Car en effet, il est (vrai que) pour tous les êtres (ordinaires), la visualisation et la récitation orientent vers ce qui est visualisé et récité, de sorte que la forme correspondante se manifeste. Alors que pour "l'être orné d'amour", en revanche, c'est sans aucune méthode que le sans-forme qui a toutes les formes - cette dense nuée de félicité et de conscience, notre vraie nature, notre Soi qui est Śiva -, brille (pour lui) à chaque instant. 
Voilà pourquoi il dit "sans qu'il ait d'abord" : sans qu'il ait d'abord pratiqué une méthode qui serve de cause, sans cause préalable donc. Car en agissant ainsi, il faut bien voir que toutes les pratiques sont "contractées" ; dès lors, ceux qui possèdent la bonne fortune d'être possédés par le Réel comprendront que toutes ces méthodes qui visent notre vraie nature non-contractée sont obsolètes, comme le dit l'enseignement (de Śiva) dans la Transcendance de la déesse de l'alphabet, depuis:

En ce qui concerne (notre vraie nature),
Tout est bon...

jusqu'à :

...Pour celui qui ne se soucie de rien.

De même, le Chant du Seigneur dit aussi :

Quand je les possède...

Parce que toutes (les pratiques), à commencer par le culte et le sacrifice, sont résumées dans la visualisation et la récitation - qui sont en réalité manifestation et prise de conscience - seuls ces deux-là sont mentionnées ici.

Utpaladeva, Une Guirlande d'hymnes à Śiva, expliqués par Kṣemarāja

vendredi 26 octobre 2012

Quand on le regarde, on ne le voit pas

 Posture du repos dans la Présence


Se battre pour ce qui n'existe pas, c'est jeter l'eau dans un lac !
C'est comme une gazelle qui courre après l'eau d'un mirage !
Qui médite en rejetant l'état (naturel) de non-méditation
Perpétue la souffrance sans réaliser l'éveil.
La Perfection profonde

La source incréée, le fond de toute chose, transcende
Les concepts de méditation et de non-méditation.
La connaissance transcendante et ultime ne médite que la réalité.
C'est (donc) une erreur de la nommer "méditation".
Pourquoi ? Parce que (la réalité) transcende toute expression.
S'entraîner à l'état sans concept comme antidote contre les concepts
Est le pire des concepts.
Bien plutôt, si un concept qui se présente est reconnu
Pour être la réalité, c'est comme reconnaître que le poison est l'antidote.
Il n'est pas besoin de chercher ailleurs la réalité.
La contemplation lumineuse et sans concept
Ne comporte pas la dualité entre méditation et méditant.
L'Océan transparent

Ce n'est certes pas en l'observant avec acharnement
Que l'on voit l'étendue sans limites du Corps absolu sans concepts.
Il se montre (au contraire) quand on se détend.
Le Corps absolu est par-delà apparition et disparition
Puisqu'il manifeste toute chose !
Le Corps absolu est spontanément complet depuis toujours
Puisqu'il enveloppe tout !
Le Corps absolu transcende les attributs des phénomènes (tels que "pur" ou "impur")
Puisqu'il est sans dilemmes !
Docteur abyssal

Parce que l'égalité sans concepts du Corps absolu
Manifeste n'importe quoi à partir de rien, il est Corps de création magique.
Parce que le Corps absolu jouit de lui-même,
Il est Corps de parfaite jouissance.
Parce qu'il est sans fondement objectif,
Il est Corps absolu.
Puisque ce fruit des trois Corps est spontanément présent,
On a expliqué son trait singulier - il n'est pas séparable (en trois Corps séparés).
Docteur abyssal

mercredi 24 octobre 2012

"Je suis je"





Quand cette réalité que l'on perçoit dans le cœur
Émerge peu à peu du cœur et se déploie comme conscience,
Elle prend des myriades de noms.
Mais à y regarder de plus près, le plus éminent est "je".
Il est le plus éminent car il est présent dans le cœur de chacun,
Accompagné de "suis",
Sous la forme de l'expérience du Soi toujours présente, "je suis",
Révélation de l'existence.
"Suis" est donc le sens véritable de "je", les deux sur un pied d'égalité.
Dieu, l'être transcendant,
Est présent dans le cœur sous la forme d'un "je suis je",
Essence du Soi, être simple, libre des pensées.
Parmi les innombrables noms qu'on lui donne
Dans les religions et les langues des hommes,
Nul autre nom n'est aussi juste ni aussi élégant
Que ce nom : "je".
Pour ceux qui sont attirés par le Soi,
Seul le nom "je suis je", parmi tous les noms de Dieu,
Résonnera sans cesse au firmament du cœur
Une fois l'ego anéanti.
Et il restera là, au centre de l'attention,
Telle une ultime parole silencieuse.
Même si vous vous contentez de penser sans cesse
Ce nom premier, "je suis je", l'attention recueillie sur ce sens du "je",
Alors cette pratique vous conduira à la source d'où jaillit la pensée fausse "je (suis Untel)",
Matrice de l'ego qui fait lien avec un corps (limité).

Une Guirlande de paroles lourdes de sens, Guru Vacaka Kovai, poèmes de Muruganar et Ramana Mahari, 712-716, traduit par TV Venkatabramanian, R. Butler et D. Godman.

mardi 23 octobre 2012

L'effort, cette maladie épuisante





Les efforts (que l'on peut faire pour faire l'expérience de notre vraie nature) se dévoilent n'être que des entraves.
C'est pourquoi cette révélation sur la perfection de toute chose enseigne que cette maladie épuisante qu'est l'effort appliqué à l'état sans effort, est un obstacle.
Quand on imagine l'(état sans effort), on ne réalise jamais la réalité alors que la réalité est (déjà) présente[1].
Les Dix sūtras


[1] Le locatif est sans doute ici à prendre comme un "locatif absolu".

La Grande Complétude qui transcende le yoga[1] ne dépend pas d'une pratique qui dure dans le temps.
Bien plutôt, l'on se détend, l'esprit non amendé, dans l'état naturel authentique.
Quand la conscience ordinaire n'est pas amendée, ces idéaux que sont le corps, la parole et l'esprit (d'un Bouddha) sont naturellement présents.
Une Clef magique pour ouvrir la chambre aux trésors

Dans la réalité sans construction, le concept "état naturel" est absent.
Cependant, les phénomènes se manifestent en leur variété.
Ils sont le (Bouddha éternel) Toujours-Bon, par-delà acceptation et rejet.
Cet état est depuis toujours au-delà des combats (spirituels) et des pratiques.
L'on transcende donc cette maladie qu'est l'effort en vue de gagner ce qui est déjà gagné.
Bien plutôt, on se détend dans ce qui est spontanément présent.
Les dix sutras

L'on n'accomplit point l'éveil parfait, dépourvu de tout effort, en le forgeant de toutes pièces.
On l'actualise par une détente naturelle, sans nulle imagination.
Aucun Bouddha passé, présent ou à venir n'a tenté de fabriquer l'état naturel.
Une Clef magique pour ouvrir la chambre aux trésors


[1] Atiyoga : qui transcende le "grand" yoga de la phase de développement et le yoga "consécutif" (anu) de la phase d'achèvement.