vendredi 31 janvier 2020

Les yeux fermés

Self catering holiday accommodation, cottage, Wales, golden meadow

Trop de lumière tue la lumière.

Trop de lumières dans le ciel. Nos enfants ne pourront plus se perdre dans la Voie Lactée.

Trop de lumière dans les chambres, dans les bureaux, dans les salles d'accouchement, dans les salles d'agonie, sur les écrans...

Trop de lumière, trop de volonté de contrôler, plus de confiance.

La confiance, ce serait de laisser faire le corps, l'instinct, en observant juste, juste au cas où. Trop d'enfants trop stimulés avec des emplois du temps de ministres. La confiance, ce serait de laisser les choses mijoter au petit feu de l'ennui. Sans injonctions, sans techniques, sans enjeux posés. Laisser faire le corps, c'est-à-dire l'intellect, car ce sont-là différentes nuances d'un même spectre, celui de la vie. La confiance, ce serait de laisser la femme accoucher sans lui dire de faire ci ou ça. La parole est un pouvoir merveilleux. Mais dans ces cas-là, ça brise la magie de l'instinct. Rester en retrait. Juste au cas où. Laisser l'être entrer en son état second, un état qui n'est pas un état discursif, mais intuitif. Il y a un temps pour tout. 

L'intellect fait partie du corps. Penser, c'est sentir, et il n'y a pas de sensation si brute qu'elle soit absolument dépourvue de tout discours. Il y a continuité à travers une infinité de degrés.
Mais il y a un temps pour tout. Comme les régimes d'une boîte de vitesse. Pourquoi opposer la 1ère et la 5ème ? Seulement, chaque régime à son temps et son lieu. 

Quoi qu'il en soit, fermer les yeux. La sieste. L'ennui. La solitude. Il y a des pouvoirs du corps qui ne s'éveillent que dans les ténèbres. Baisser la lumière. Pour naître et pour mourir. Or méditer, c'est un peu cela : mourir et renaître. Comme accoucher et agoniser. Comme s'endormir et se réveiller. Comme tomber malade et guérir. Comme manger puis digérer. Comme l'hiver et le printemps. La nuit et le jour. C'est très important l'obscurité. Le silence. La solitude. C'est dans cette mort que l'arbre rassemble sa sève pour un nouveau cycle. Je regard ce paysage, glacé, immobile, envahi de ténèbres. Les animaux, quand ils sont malades, se cachent. Quand ils sont parturiants aussi, et agonisants. Or, ne sommes-nous pas des vivants, des êtres de vie ? 
Alors oui, des sages-femmes, des sages-hommes, des conseillers, des coachs, des hypnotiseurs, des chamans, des anges, des guides... mais discrets, en retrait, juste au cas où/ 

Comment "je médite" ? Par instinct. Je laisse l'attention vagabonder, papillonner, butiner. Puis parfois se poser. Plonger. Humer. Savourer. Puis repartir. Décroché. Vacant. Rêvassant entre chien et loup, indistinct, souple, sans plan, virevoltant. Parfois plus vif, parfois sombrant. Calligineux. Chaud et lourd, ou frais et léger. C'est le véritable et bon sens de la posture de Témoin, à mon sens. L'action dans le repos, le repos dans l'action : formulation abstraite, dont le sens est le vagabondage sauvage. Pif paf pouf. C'est une musique, une danse, parfois immobile, parfois dynamique.

Mais dans une demi-vue, un clair-obscur. Un entre-deux mondes.
Et pour que cela s'active, il faut fermer les yeux, les oreilles. Se taire. C'est ce que je fais spontanément quand je me sens fiévreux ou nauséeux. Comme n'importe quel vivant. Et cela ne détruit pas mon individualité. Ni mon intellect. Au contraire, la personnalité est plus déliée, fluide, imbibée, nimbée de cette clarté crépusculaire de fin de chaude journée. Il n'y a aucun conflit là-dedans. Les sociétés humains ont longtemps valorisé l'intellect, à cause des circonstances. Aujourd'hui, on tombe dans l'excès inverse. Mais comme demander de choisir entre le bleu et le rouge. Certes, ce sont bien des teintes distinctes. Mais enfin, elles font bien partie du même spectre !

Trop de lumière tue la lumière.
Fermer les yeux. Sans chercher. Laisser venir. Même la posture la plus biscornue. Méditer en cochon-pendu. Qui sait ? Et le remède-miracle de ce moment peut devenir le poison d'un autre. Il faut une longue, une très longue expérience pour commencer à sentir les lois de la vie. Puis on oublie. Puis ça revient. 
D'où le succès du Vijnâna Bhairava Tantra : de brèves inductions, comme autant de pistes de décollage, des presque-riens, car il suffit d'un rien pour partir. Ou pour revenir, plutôt. Pour changer de régime. Les yeux fermés. Trop de lumière tue la lumière. Se laisser mijoter, en paix, en cocon, dans la caverne-matrice. "Laisser pisser", comme on disait dans l'Ancien monde. Confiance totale, instinctive. Des centaines de générations sont nées, ont vécues, sont mortes. Et probablement beaucoup plus, sur les milliards de mondes des milliards d'univers. Trop de lumière tue la lumière. Confiance dans le printemps qui vient, qui a besoin du plein hiver pour venir. 

Il y a plusieurs sortes de chamanismes, de culture : la "tente obscure" et la "tente claire". Trop de lumière tue la lumière. A trop vouloir montrer, on rend aveugle. Un temps et une mesure pour chaque chose.

Laisser l'enfant naître, divaguer, s'ennuyer, tournicoter, laisser le vieillard mourir. Être là, juste au cas où. Ne pas entraver les changements de régime, de vitesse. Laisser faire le hasard. Les énergies du vide. Les puissances du rien. Sans enjeux. Mais sans fuir les tensions non plus. Stress ou détente, une seule vie. Je veux dire : un seul corps, un seul souffle, un seul cœur, un seul ventre, etc.

J'écoute cette musique. Je ne sais pas si je l'écoute ou si je la joue. Je suis à la fois la cause et l'effet. Elle illustre, sans mots, tout ce que je viens d'essayer de dire :

jeudi 30 janvier 2020

Trafiquer l'esprit ?

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Je me demande s'il est juste de faire de l'argent en vendant des produits spirituels.

Je ne suis pas pour la mortification. Je suis pour le plaisir. Mais dans une certaine sobriété. La vie intérieure est nourrie de plaisirs en mouvement et en repos, mais selon un principe d'économie : le maximum d'effets avec le minimum de moyens. C'est cette parcimonie qui rend à l'expérience du plaisir son intensité. Autrement, on est dans la misère consumériste.

De plus, je n'ai jamais payé beaucoup en Inde, quand j'ai payé. L'initiation au Kalaripayattu ? 108 roupies. Les leçons avec mon maître Hemendra Nâth ? 100 roupies. Les leçons de chant dhrupad avec Sanyal ? 100 roupies. Les leçons avec une dizaine d'autres pandits ? 100 roupies la leçon. 100 roupies, soit 1,50 euros, brut.
Mon initiation dans la Shrîvidyâ ? Gratuit. A la déesse Parâ ? Gratuit. A la tradition Vîrashaiva ? Gratuit. A l'hindouisme (Âryasamâj) ? Gratuit. Mes cours de vînâ ? Gratuit. Mes leçons avec Mark Dyczkowski ? Gratuit. Etc. Comment pourrais-je vendre ce que j'ai reçu gratuitement ou presque ? Bien sûr, j'ai du donner autrement, en temps, en confort, en sécurité.

De plus, comment trafiquer ce qui n'a pas de prix, ce qui dépasse toute valeur finie ? Comment rendre l'éveil, si ce n'est par l'éveil ? Comment rendre la passion du savoir, si ce n'est par la passion du savoir ?

De plus, le fait de vendre quelque chose en fait une chose, un moyen, un instrument privé d'âme. Ainsi, l'eau que nous vendent Veolia et les autres n'est plus l'eau de la vie, mais une simple abstraction, un nombre de mètres cubes, de composition en aluminium, etc.

De plus, trafiquer le spirituel, c'est faire de soi un vendeur, obligé de séduire, donc de mentir. L'apparence prend le pas sur la réalité. Je deviens l'obligé de mes clients. Je me surprends à me censurer, de manière plus ou moins subtile. C'est un engrenage ou l'argument de la "pente glissante" ("Qui vole un oeuf, vole un boeuf") me semble pertinent, malgré que ce soit, en général, un sophisme. Mais il existe bien des études sur ce glissement du "profit raisonnable" ("Bah quoi ? Un peu de beurre dans les épinards ! Faut bien faire bouillir la marmite") à l'entreprise capitaliste dans toute son impitoyable froideur. Bref, devenir vendeur, c'est devenir esclave des clients et des mensonges que l'on invente pour les séduire. Le commerce corrompt. Comment ma parole peut-elle être libre, si je parle dans la crainte de blesser, d'embrouiller, de contrarier ou de laisser indifférent ?

De plus, comment demander de la richesse extérieure, alors que je clame que la richesse est à l'intérieur ? Ne devrais-je pas plutôt mettre mes actes en accord avec mes paroles ? Autrement, ne suis-je pas comme un pauvre qui irait vendre les secrets de la richesse ? Le trafic de spiritualité n'est-il pas, de fait, une réfutation de ladite spiritualité ? Si vraiment j'ai tout en moi, qu'irai-je demander quelque chose à quelqu'un ?

De plus, comment vendre ce qui n'a pas de limites ?

De plus, comment vendre ce que je ne possède pas ?

De plus, comment vendre ce que je ne maîtrise pas ?

De plus, comment vendre ce que je ne comprends pas ?

Mais, me direz-vous fort justement, "David Dubois vend des stages".
- Oui, c'est vrai.
A partir de maintenant, je décide que mes "stages" seront tarifés quelque part entre leur coût de revient (déplacement, logement, nourriture) et le SMIC, soit 71,05 brut la journée ou 1539,42 par mois ou 18473 euros annuels. Le SMIC me semble être un bon repère. Au-delà du SMIC, je tombe dans les profiteroles. Cela étant, je suis encore loin d'atteindre le SMIC, donc je dis plutôt ça en manière de concession. Mais je me demande si l'idéal ne serait pas de ne rien demander. Juste les frais. Ou alors, même pas les frais. Payer moi-même. Pourquoi les autres devraient-ils payer ? Ou alors, n'aller nulle part. Pas de frais hors de l'ordinaire. Si quelqu'un vient demander, c'est bien. Sinon, c'est bien : j'ai l'infini en moi. De quoi ai-je besoin ?

Mais, me dira-t-on encore, "tu as un corps qui a des besoins !"
- Certes, mais il y a d'autres moyens de satisfaire à ces besoins. Par exemple travailler la terre, ou du moins trouver un emploi en rendant un service.

"Mais la spiritualité est un service !"
- Non. Tout n'est pas à vendre. Le Marché essaie de nous habituer à l'idée que tout se vend. Et il nous vend tout : l'eau, l'air, l'espace, le temps, notre corps, la vie, le bonheur, l'éveil, la conscience ; il nous vend à nous-mêmes ! Tout se trafique. Et le Marché connaît un succès indéniable. Nous payons l'eau sans broncher. Nous achetons du silence sans poser de questions. Nous sommes si malléables.

"Mais alors, comment gagner sa vie ?"
- Le système actuel consiste à gagner sa vie en la perdant. Nous vendons, au fond, la seule chose que nous ayons ou que nous croyons posséder : nous, notre vie, notre temps. Être riche, c'est faire diversion : c'est pouvoir vendre autre chose que sa vie, pour enfin vivre.
Comment vivre sans prendre la vie d'autrui ? Je n'ai pas la solution à ce problème.

Je décide simplement de mettre un frein à mon appétit de profit. Certes, je n'ai jamais pris de risques en ce domaine. Ai-je risqué de m'enrichir en écrivant des livres ou en faisant quelques "stages" ici et là ? Je ne le crois pas. Et on pourrait- à juste titre, me reprocher de renoncer à ce que l'on ne m'a jamais offert. Sans doute.
Mais du moins, je souhaite éclaircir un peu ce sujet dont personne ne parle, sauf pour endormir nos consciences à coup d'arguments spécieux. Alors je décide de suivre un principe, celui de l'indépendance et de la sobriété, qui consiste à donner un peu de sécurité, en échange de plus de liberté.

Laisser le Tout-présent me simplifier

Brindilles...

La vie intérieure, une simplification :

"Dieu est infiniment simple, en ce qu'il est dépouillé de toute composition et multiplicité. Sa puissance est lui-même, sa sagesse est lui-même, son amour est lui-même, la jouissance est infinie qu'il a de soi-même, est lui-même, et les trois Divines Personnes ne sont que la même très simple et infinie essence.

Au premier degré, nous nous occupons en plusieurs et directes méditations, prises sur des sujets tous différents, et par ainsi nous agissons beaucoup et sommes dans une grande multiplicité.

Au second, nous restreignons et recueillons notre esprit à une sainte méditation qui est celle de Dieu, et encore pour le regard de sa seule immensité, de son existence et de sa sainte présence. Et par ainsi nous commençons à nous simplifier.

Au troisième, nous ne recherchons plus comme Dieu est présent et nous ne nous évertuons plus grossièrement de produire des affections en la sainte présence. Mais par l'abondance de la grâce et opération de Dieu en nous, et par une sainte habitude nous possédons le sentiment de sa sainte présence, et nous conservons une vue intérieure de lui tout présent dans laquelle nous formons nos affections, non plus activement et grossièrement, mais passivement et intimement, de sorte que nous devenons encore plus simples et détachés de nous et de nos actes.

Au quatrième, non seulement nous retranchons les méditations, mais encore les diverses affections sur Dieu présent : et communément nous nous contentons d'une élévation simple, amoureuse et respectueuse de notre esprit sur Dieu tout présent. Et par ce moyen nous sommes rendus encore plus simples.

Au cinquième, comme plus passif et surnaturel, Dieu nous fait perdre notre propre activité et tout notre effort grossier du quatrième degré, avec lequel nous tâchions d'élever notre esprit à lui. De sorte qu'il nous fait faire cette élévation d'une manière plus passive et surnaturel. Et par même moyen il nous rend plus simples et plus intimes.

Au sixième, Dieu nous prive du regard de notre entendement sur lui tout présent et il ne nous laisse que le seul amour, amour sans aucune connaissance actuelle, et par conséquent obscur et ténébreux, dont nous restons tous désolés, craignant de retourner en arrière et de devenir oisifs et moins spirituels, quoi que pourtant nous devenions plus simples, plus intimes et plus élevés, en ce que nous sommes très noblement occupés au meilleur, qui est l'amour.

Au septième, Dieu nous laisse bien son amour, voire même il nous l'augmente, mais il nous prive de tout sentiment de lui, voire même il nous en donne un sentiment tout contraire, par les diverses rebellions de la partie inférieure et par le peu d'action et de résistance sensible de la partie supérieure, dont nous restons encore plus troublés et angoissés, mais en vérité plus simples, plus éloignés de nous et de nos actes, plus purgés de nous-mêmes et de nos imperfections et plus déiformes.

Et au huitième, non seulement nous pratiquons toutes les vertus les plus excellentes, mais encore nous n'opérons plus imparfaitement, bassement, activement et humainement, mais très parfaitement, hautement, passivement et divinement, en ce qu'en toutes nos œuvres nous sommes comme continuellement mus et agis de Dieu. Et par même moyen nous vivons dans une très bonne simplicité, nudité et aliénation de nous-mêmes.

Et par cette simplification de nous-mêmes, nous acquérons une union et si j'ose dire, une unité très admirable avec Dieu."

Les Huit Degrés de l'oraison, par Simon de Bourg-en-Bresse, moine capucin du Grand Siècle, à paraître bientôt chez Arfuyen

Notez que tout ce qu'il y a à faire est de se laisser faire. In-action divine, action intérieure qui détermine une vie intérieure, par l'intérieure, qui flue de l'intérieur vers l'extérieur. Notez aussi que l'individu est simplifié, qu'il ne cesse pas, et que son libre-arbitre est toujours respecté. Enfin, l'accès à Dieu est directe, car Dieu est le seul moteur efficient. De plus, comme il n'y a pas de parties en Dieu tout simple, il n'y a pas de parties de la connaissance de Dieu. Dieu est connu d'un seul coup, tout entier en une présence immédiate. En revanche, mon être a des parties, des parties de mon corps, de mon âme et de mon esprit. L'inaction de Dieu sur elles a donc des parties. Les effets de la connaissance immédiate de Dieu sont donc progressifs. Voilà une voie simple : s'ouvrir instinctivement à Dieu, c'est l'éveil instantané. Puis se laisser faire peu à peu, dans toutes les parties de son être.

mardi 28 janvier 2020

Le Grand Marché, ça marche à l'essence, mais sans bon sens

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La plupart des groupuscules spirituels, des mouvements, des traditions, des cénacles, des maîtres, comme vous voudrez les appeler, dénigrent la pensée, l'intellect, les livres, la connaissance en général, l'esprit critique, le questionnement, le doute.

Il existe pourtant des traditions qui mettent en valeur l'intellect. 
En Europe, je pense au grand platonisme, depuis Socrate (au moins) jusqu'à nos classes de Terminale. 
En Inde, il y a le Vedânta, où le respect du au maître ne se traduit pas toujours par une acceptation aveugle de ses paroles. Ainsi Sureshvara critique certaines positions de Shankara ; sur certains points du moins, comme l'accès des femmes au Vedânta ou la question du renoncement extérieur, il prétend améliorer l'enseignement. 

De manière générale, les enseignements spirituels de l'Inde se sont toujours présentés comme des dialogues, des réponses à des questions et, plus précisément, comme des solutions à des doutes ou des craintes (shankâ). N'importe quel lecteur de cette littérature le constate.

Or, cette dimension essentielle a disparu aujourd'hui. Elle a certes toujours été menacée, car quel groupe ne craint pas l'effet dissolvant de la pensée critique ? Quelle autorité ne voit pas d'un mauvais oeil un intellect bien formé, capable de discrimination ?

Aujourd'hui certes, on met en scène des dialogues, parfois appelés "satsang", un peu abusivement. Car les réponses et souvent, les questions, y sont faites à la l'avance, attendues, ce sont des stéréotypes. Ces questions, ces doutes apparents, ne sont que des occasions de recevoir "au-delà du mental" une mystérieuse transmission d'énergie.

Combien de fois ai-je observé des gens venir m'écouter et qui, en fait, ne m'écoutaient pas du tout ? Ils restent assis en lotus, face à moi, les yeux fermés, l'air absorbé. Je suis ravi d'avoir des auditeurs si recueillis. Ça me change du lycée. En apparence. Car à la fin, quand ces gens viennent me voir pour me confier qu'ils ont ressenti tel ou telle "énergie" émaner de moi ou de je-ne-sais-quoi, je réalise que je me faisais des idées. Le malentendu est total. Ainsi, je me retrouve perplexe face à untel qui me dit : "j'ai bien senti que tu travaillais sur les plans subtils, sous la surface de ce que tu disais ; mais pourquoi tu restes au deuxième chakras ? Pourquoi tu montes pas au troisième ? Alors du coups je t'ai aidé, hein, mais discret quoi". Ah. Merci. 

Bien sûr qu'il y a un au-delà des mots. Par exemple, il y a le sens des mots. C'est là une banalité. En revanche, reléguer un discours à l'arrière-plan au nom d'une soi-disant "énergie" ("ça schtroumphe ? -Oh oui ça schtroumphe ! J'ai senti un très beau niveau de schtroumph. Oui, ça c'est sûr, ça schtroumphe puissant, quelle chance de schtroumpher comme ça !" etc.), n'est-ce pas une astuce pour ne pas entendre certaines vérités qui pourraient déranger ? N'est-ce pas une façon de réduire la souffrance que pourrait entraîner une remise en question ?

Et donc, il y a plein de dialogues, en apparence. Et il y a une réalité sous-jacente, qui n'est pas de l'ordre de la schtroumpherie, mais simplement de la rhétorique. Les questions posées sont des questions rhétoriques. Une question rhétorique est une question dont on n'attend pas de réponse, mais un autre effet, le cas le plus courant étant la question "Comment ça va ?" Bien sûr, personne ne veut d'une réponse littérale. Le but de la question est de commencer une séquence sociale (genre "ta voiture dérange ; tu peux la bouger ?"), pas une confession. 

C'est pareil dans le satsangs. Les questions ne sont que des prétextes. Sur le plan intellectuel, il ne se passe rien. C'est juste une façon de rentrer en contact et de montrer sa soumission, de s'intégrer à un groupe ou de s'évaluer, comme des chiens qui se reniflent. Les chiens ne sont pas là en train de se sentir comme on sent des parfums chez Sephora. Le but est social. Pareil dans les satsangs. D'ailleurs, peu importe le flacon... "Je ne comprends rien à ce qu'il dit ! Mais son énergie, oh la la..." 

La structure sousjacente est sociale, économique, commerciale. D'ailleurs, dans le Nuage (le développement de "moi-m'aime"), peu importe le message. Certains disent "vive moi, je crois en moi !" ; d'autres clament "il n'y a personne, aucun moi !", mais le fond est le même : "Sors de ton mental ! Crois en moi ! Ne réfléchis pas, ressens ! Dis ton senti, ne dis rien, laisse-faire, laisse-moi faire". 

Et ce qui compte plus encore que les mots, c'est le ton, l'ambiance. De toute façon, la plupart des clients ont une cervelle de bigorneau et le vocabulaire qui va avec. Et c'est fait pour. C'est comme avec les chiens et les chats. Le medium est bien plus important que le message. 

Et dans ce monde de l'ultra-flexibilité, dans ce véritable paradis macronien, la seule vérité exacte qui demeure est celle des tarifs. Des contrats.

Pour le reste on est sommé de rester "ouvert", "dans le coeur", "en conscience", car "à chacun sa vérité", etc. Comme dans n'importe quel supermarché. Le gérant se fout de vendre des produits contradictoires ou mensongers, du moment que tous le monde passe à la caisse. Et il fait passer cette profonde immoralité pour de la tolérance. Dans le monde du Marché, chacun peut ressentir/consommer comme il sent ! Venez à moi petits mollusques ! Tout est relatif, chacun pour soi. La seule rationalité qui reste dans la spiritualité est celle du Marché. Pour le reste "selon moi, de mon point de vue, personnellement, évidemment, je ne chercher pas à convaincre/transmettre, l'humilité c'est important (comme me l'ont transmis mes Maîtres Atlantes), il n'y a que le présent, le percept, le senti, l'énergie, sans passé, sans mémoire, sans référence, sans choix". Juste, avant le 15, ce sera moins trente pour cent. En chèque ? Bah, en liquide, c'est mieux... enfin, avec le coeur et en conscience, bien entendu. Mais ne soyons pas négatif. Le chômage baisse, paraît-il. Et le Nuage gonfle.

Et le Nuage, tel le Brouillard de Stephen King, a englouti jusqu'au shivaïsme du Cachemire. Limpide, parlant sans parler, discours intello mais bien anti-intellectuel dans l'air du temps, ce Nuage cachemirien fait feu de tout bois, hypnotise sans vergogne, et vend du miel "originaire de pays hors de l'EU". Du sucre, donc. Pas du miel. Quelques pourcents, au mieux. Mais comment faire la différence ? Et, quand on est accro au sucre, que s'en foutre ? Peu importe le faucon, pourvu qu'on ai le chat ? 

Le shivaïsme du Cachemire est-il devenu un yoga, un massage, une danse, et surtout, une variante du développement personnel, avec son catéchisme anti-intellectuel dans sa forme la plus orthodoxe. 

Carrefour du Cachemire, Leclerc du Laisser-faire, Lidl de Mysore, Naturalia version Nâth, Yoga Leader Price, Ayurveda des Robinsons, Intermarché du Pouvoir Instantané, Mon Casino Non-duel, Ma Collection Arlequin avec option massage et pelotage, Mon Veolia à Moi de la purification des mémoires cellulaires : innombrables variantes du même produit. Hydre aux mille visages. On coupe une tête, mille repoussent. 

Soi-disant "initiatique" ou commercial décomplexé : dans tous les cas, il faut laisser son bon sens à l'entrée. 

Pourtant, le Vedânta est une tradition de réflexion, de discrimination. Pas de yoga du ressenti pour ressentir. Encore moins pour faire de l'argent.
Pourtant, le shivaïsme du Cachemire est une tradition de yoga... de la raison. Tarkam yogângamuttamam : "le suprême auxiliaire du yoga, c'est la raison", dit Abhinavagupta. 

Mais le Marché corrompt tout. Tel un compost fou, telle une pourriture, il transforme tout, il digère tout. Il est à la culture ce que l'Oeil unique est au Feu secret (pour celles et ceux qui lisent Tolkien).

Je ne pas sûr de savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais là-dedans, mais je reste perplexe.
Et vous ?

Le grain de la voix

Medieval Musicians

Comment interpréter une musique d'un passé dont on n'a aucun enregistrement ?

Voici une vidéo passionnante qui examine ce problème à propos de l'ensemble Grain de la voix :


D'un côté, les partisans du "récentisme", selon qui il faut s'appuyer sur les traditions les plus récentes, dont on a des enregistrements, par exemple la chorale anglaise ou le grégorien bénédictin. C'est la voie suivie par la quasi totalité des chanteurs de musique ancienne jusqu'aux années 1990.

De l'autre, les partisans du réformisme, selon qui il faut s'appuyer sur des traditions récentes, mais voisines : chant corse, géorgien, libanais, etc. Ces groupes, comme Organum et Grain de la voix, s'appuient aussi sur des textes, ceux de compositeurs italiens par exemple. Mais ces textes sont eux aussi difficiles à interpréter.

Organum, avec une influence corse/occitane manifeste :


Grain de la voix interprète la messe de Machaut :


La même oeuvre de Machaut par Organum, plus monastique :


La même oeuvre de Machaut par l'ensemble Gilles de Binchois, plus "récentiste" :


Au total, on pourra entendre une dizaine de versions de cette célèbre messe. Les interprétations sont très différentes, pour le moins.

Finalement, le goût est en partie au moins, une question d'éducation. L'auteur de la vidéo ci-dessus compare ces façons d'interpréter au pain blanc et au pain rustique. Ce dernier est plus corsé, d'aspect comme de goût, mais sa palette de saveurs est plus riche. Pour y accéder, il faut accepter de suspendre provisoirement ses références culinaires. Il en va de même pour la musique. Et pour tout. 

On reproche à Grain de la voix un ensemble un peu flou, nuageux, voire confus, à l'opposé des progressions bien tranchées à l'anglaise. Mais, même des défauts peuvent contribuer à relever une saveur, comme le notait déjà Marc-Aurèle. 

Le juste prix de la liberté

La plupart des spiritualités sont fondées sur la foi. Si vous critiquez, si vous questionnez, si vous pensez, vous serez mis au ban.

La liberté, c'est s'appuyer sur le dialogue entre l'expérience et la raison. La raison seule est creuse. L'expérience, seule, est aveugle.
Quant aux traditions, elles ne sont pas des papas et des mamans de substitution, mais des amis. Celles et ceux qui cherchent d'abord la sécurité, perdront à la fois la liberté et la sécurité, en échange d'une liberté et d'une sécurité illusoires. Tôt ou (trop) tard, ils réaliserons qu'ils ont vendu leur liberté pour de la pacotille.

Bien sûr, c'est là un idéal, l'idéal que quelques uns. La majorité sacrifie sa liberté à une sécurité imaginaire, en se vendant à des traditions imaginaires payantes, "traditionnelles" ou "modernes", fondées sur des techniques de manipulation bien connues. Pseudo-tradition, pseudo-modernes, pseudo-scientifiques, mais vraiment commerciales et religieuses. La religion et autres business de groupe ont toujours été des affaires commerciales : les monastères ne sont-ils pas les ancêtres des entreprises ? La seule forme de communauté digne de ce nom est celle de l'amitié entre égaux.

Pas de liberté spirituelle - pas de liberté tout court ! - sans un apprentissage et une pratique concrète du questionnement.
C'est souvent douloureux, c'est un travail, c'est le prix de la liberté.

lundi 27 janvier 2020

Lecture du Pratyabhijna Hridayam mardi 28 janvier 2020

Lecture du Pratyabhijnâ Hridayam
Mardi 28 janvier 2020 sur Skype
DaviDuboisTrika
 Nous en sommes au sûtra 16 qui explique comment et pourquoi l'expérience de l'unité est compatible avec l'expérience de la dualité.

Texte sanskrit :

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dimanche 26 janvier 2020

Mandala d'éveil


Jamais il n'a été si facile d'accéder aux connaissances. Mais sans fil directeur, nous nous sentons perdus, barbouillés. Nous avons donc besoin de cartes pour nous repérer.
Voici ma carte ou mon mandala des connaissances sur l'éveil :

\infty  d'expériences d'éveil et d'interprétation

360 de jeux d'éveil

5 familles d'éveil

4 yogas d'éveil

3 échelles d'éveil

2 faces de l'éveil

1 éveil

_________________________________________


Quelqu'un voudrait bien essayer de dessiner ce mandala ?

Avant de les décrire en très bref, je précise que, dans ce mandala, les interprétations de l’expérience et l'expérience elle-même sont plus ou moins mélangés. 

D'abord, il y a d'innombrables éveils, portes uniques selon les tempéraments et les circonstances. L'éveil de la conscience en un moustique, une baleine, un tortionnaire, une IA, une étoile, un président de la république, sont à chaque fois différents. Mais il y a bien sûr un seul éveil.

Ensuite, il y a la collection des 360 jeux d'éveil. 360 est un nombre un peu symbolique, cette liste n'est pas close. Parmi ces jeux, certains sont plus abstraits, d'autres concernent la vision ou un au sens, d'autres le souffle, d'autres encore les arts ou le mouvement. Il y a les 112 jeux du Vijnâna Bhairava Tantra, plus les 27 du Bouquet pour l'éveil, les 16 du Tantra de la félicité suprême, les 16 du Grand secret des parfaits, les 64 expérience de spiritualité quotidienne, etc. Bien sûr, tous ces jeux ne sont pas entièrement différents les uns des autres. Il y a beaucoup de variant, d'autres se recoupent.

Puis mes cinq familles d'éveil, cinq traditions ou approches qui me nourrissent chaque jour :
Le shivaïsme du Cachemire, qui englobe les quatre autres et qui propose une voie unique de l'éveil à partir du désir. Un Trésor inépuisable.
La Visions Sans Tête, qui pointe directement, qui intègre la modernité, qui est sans maître, sans religion ni croyance. Une merveille de simplicité.
Ce sont mes deux familles essentielles, l'une en Orient, au Cachemire (aujourd'hui disparue, aucun rapport avec Odier ni avec le "yoga du Cachemire"), l'autre en Occident, l'une pré-moderne, l'autre moderne. Elles se complètent très bien et s'illustrent mutuellement.
Les trois autres familles sont moins importantes :
La tradition platonicienne et la mystique française du XVIIe siècle, pour sa simplicité, son enracinement local, la beauté de la langue, la profondeur psychologique et morale, la vision de l'éveil sur le long terme.
La tradition dzogchen, sur la méditation de l'espace, les yeux ouverts.
La tradition mahamudrâ, sur la détente, l'éveil en lâchant prise.
Pourquoi ces traditions et pas d'autres ? Parce que ces approches sont plus directes que les autres, moins chargées de croyances.

Ensuite, tout cela se condense en les quatre yogas d'éveil : compréhension, souffle, espace et désir.
Deux livres à paraître sur ce sujet en avril 2020.

Puis les trois échelles d'éveil :
spirituel, les quatre yogas
moral, le stoïcisme, en gros
politique, la liberté d'abord

Puis les deux dimensions inséparables dans l'éveil, plus simple :
silence et vibration
plus difficile à décrire

Enfin, l'éveil un,
ineffable

...
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samedi 25 janvier 2020

Traduction italienne du "Yoga selon Vasishta"

Pour celles et ceux qui ont le plaisir de parler la langue de Dante, une traduction italienne de l'Essence du yoga selon Vasishta, déjà disponible en français chez Almora.

Le Clair de lune de l'émerveillement

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vāgdevī vadane mama sphuratu yā dhvanyātmanollāsinī  / I.1/
"Puisse la déesse Parole illuminer ma face et ravir les esprits grâce (au pouvoir) de la résonance".
śikṣā kāvyaprayojanam /
śikṣa ca sacamatkāraṃ bodhitā sthiratāṃ bhajet // 1.5 //
camatkārastu viduṣāmānandaparivāhakṛt /
guṇaṃ rītiṃ rasaṃ vṛttiṃ pākaṃ śayyāmalaṅkṛtīm // 1.6 //
saptaitāni camatkārakāraṇaṃ bruvate budhāḥ /
"Le but de la poésie est la culture de soi.
Or, une fois éveillée par l'émerveillement, la culture s'enracine.
Quant à l'émerveillement, il est source d'un flot de félicité pour ceux qui sont cultivés.
Les sages disent qu'il y a sept causes qui concourent à l'émerveillement : qualité, style, saveur, surprise (vritti), maturité, rhétorique et ornement."
Vishveshvara Kavichandra, Camatkârachandrikâ

Ce "Clair de lune de l'émerveillement" témoigne de l'influence du shivaïsme du Cachemire bien au-delà du Cachemire et des cercles d'initiés. Vishveshvara était un poète de l'Andhra de la fin du XIVe siècle.

vendredi 24 janvier 2020

L'intuition ne suffit pas

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L'intuition ne suffit pas.
Elle a besoin de la pensée discursive pour venir à la clarté.
C'est ce que dit Abhinavagupta :

āsūtritānāṃ bhedānāṃ sphuṭatāpattidāyinīm /
trilocanapriyāṃ vande madhyamāṃ parameśvarīm //

"Je célèbre l'énergie intermédiaire du Seigneur suprême,
aimée dans tous les mondes,
source de clarté
pour les différences esquissées [dans l'intuition]."

"L'énergie intermédiaire" est la Parole médiane, entre l'intuition et la parole articulée avec le corps. Autrement dit, c'est la pensée discursive. Le plan des "différences esquissées" est celui de la pensée ou de la parole intuitive, "voyante" car comparable, dit Abhinava à la vision globale que l'on peut avoir d'une ville depuis un point haut. Par exemple, Shrînagara depuis l'une des montagnes qui l'entourent. On voit alors les différences - la ville - mais seulement esquissées, car embrassées dans un regard fixe. Pour apercevoir les détails, il faut passer à une vision progressive, qui chemine de-ci de-là. C'est la parole discursive.

La parole visionnaire est le plan de l'entre-deux que j'évoquais dans le billet précédent.

Ces deux plans, chacun étant intermédiaire entre les deux extrêmes de la parole transcendante, totalement indifférenciée, et celui de la parole corporellement articulée, sont semblables à l'Intelligence/Intellect (nous) et à la Raison discursive (dianoia) dans la grande tradition platonicienne. L'Intellect est intuitif, il embrasse tout en un regard instantané. La Raison est la même intelligence, mais qui se met à considérer les éléments du Tout l'un après l'autre. Ce sont deux façon de regarder un tableau, par exemple : synthétique et analytique, respectivement. Quelque chose comme l'esprit de finesse et l'esprit géométrique.

Abhinavagupta, dans ce verset qui conclut son explication du chapitre III de l'Oeil pour voir la lumière de la résonance (Dhvany-âloka-locana), vient de réfuter l'hypothèse selon laquelle la résonance serait purement et simplement ineffable. Selon lui, cette thèse paresseuse est simplement un signe d'incompétence intellectuelle, de fatigue. 

Au temps pour ceux qui voient dans le shivaïsme du Cachemire une vulgaire doctrine du "sentir plus pour penser moins". Rien de plus étranger aux sages du Cachemire que cette vision qui oppose de façon statique l'intuition (ou la perception, puisque la perception est une sorte d'intuitio ou de pratyaksha) au discours. 

Une telle position caricaturale est celle des logiciens bouddhistes, des logiciens brahmaniques tardifs, des romantiques et des adeptes du New Age de l'ère du Marché tout-puissant. 

La pensée raffinée du Pays de Shâradâ répugne à ces ruptures dramatiques, au profit d'une vision continuiste et organique. Abhinava comme Utapaladeva s'attachent à montrer, sans l'ombre d'une hésitation, que toute perception est une pensée, et que même le discours le plus analytique est le déploiement d'une intuition. 

Mais le Marché et ses serfs ne veulent pas de ces subtilités. Tout doit tenir en un slogan, à répéter ad nauseam sur tous les supports possibles, dans toutes les langues (dernières traces de tradition, ennemies du Marché) et sans s'interdire aucune flagornerie.

Les royaumes de l'entre-deux

Rubén Fuentes 2015

Abhinavagupta et les autres artistes philosophes nous invitent à explorer les royaumes de l'intérieur. Or, ces contrées imaginales ne sont ni l'absolument indifférencié, ni l'absolument différencié, mais l'à-peine esquissé.

En effet, le différencié est dominé par l'esprit de profit. Obsédés par l'efficacité, ses esclaves ne savourent pas, tels des moutons gloutons.

L'indifférencié, quant à lui, confine souvent à l'indifférence. Le culte du Sans-forme se traduit par une sorte d'insensibilité. De toutes façons, dans l'indifférencié, il n'y a pas assez de différence pour savourer, pour déguster le sucre tout en étant le sucre.

Le domaine de la souveraine jouissance est donc intermédiaire entre ces deux états 1)de pure dualité dans l'oubli du fond, et 2) de pure unité dans l'indifférence. 

C'est le royaume du premier jaillissement du désir, des esquisses et des murmures, des mondes subtils, vraiment subtils, entre chien et loup, assez différenciés pour que les voyages y soient possibles, mais suffisamment indistincts pour que la piste de l'unité ne s'y efface jamais. C'est l'état de libre jouissance (bhoga-moksha, jîvan-mukti), la terre salvifique de la tradition de la Déesse. Ce sont les sentiers de la rêverie, de l'oraison du cœur, des ravissements intimes, des randonnées vacantes, de l'oubli de soi dans le réveil de la magie la plus sauvage, ce sont les baronnies des yoginîs à jamais à l'abri des margoulins. C'est le fil de l'épée, l'assag ouvert à tous à chaque instant, la république du libre-esprit. C'est le monde intermédiaire où le désir, en plein élan, n'est pas satisfait, tout en étant plongé en pleine délectation, à la fois toujours affamé et à jamais rassasié. C'est le royaume du Big Bang à l'échelle de Planck, où l'infiniment grand ne fait encore qu'une seule chair avec l'infiniment petit, où le passé et le présent se tiennent par la main, où la quantité est tout entière mesurée en sa qualité. Et ainsi de suite.

C'est le plan de la Pure Science, de la Vraie Science où la Mâyâ coexiste avec la pleine conscience, où la différence et l'altérité forment une seule identité, comme en un rêve parfait. C'est le monde des visions, mais de celles qui ne sont pas visibles, ni par les yeux de chair, ni par les yeux de l'âme. C'est un fourmillement, un frémissement, c'est le bruit des plantes qui poussent, une nonchalance pleine d'ardeur. Ça n'est pas exactement la présence entre deux pensées. C'est plutôt le midi, ou l'après-midi, le domaine des siestes, des attentes en gare, des chemins qui ne mènent nulle part, des instants qui fleurissent sans pourquoi.

Tel est, pourrait-on dire en manière d'approximation, le véritable idéal suggéré par le shivaïsme du Cachemire. C'est un entre-deux d'élégance, gouverné par le principe d'économie, à la façon du boucher de Tchouang Tseu. N'être personne, c'est être vraiment la personne que l'on est. La définition de cette personne, c'est la totalité du déploiement des temps et des mondes. Mais tout cela est accessible, dès maintenant, dans cet entre-deux, cet éternel instant démarrant, un éternuement qui n'en finit pas.

jeudi 23 janvier 2020

La voie de la poésie

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Au Cachemire puis en Inde, la poésie est considérée comme une voie vers l'accomplissement de toutes les fins humaines : le plaisir, la prospérité, la vertu et la liberté. Dans les termes propres au Cachemire, la poésie est une voie complète, à la fois vers la conscience et qui, en retour, flue d'elle, parole transcendante qui se cristallise dans le jeu étroit des mots et de leur sens.

Vâmana, vers 850, est l'un des premiers cachemiriens à parler de poésie dans ses Sûtras de l'ornementation poétique. Comme la plupart des poètes de la vallée, il fut sans doute un initié. La mystique transparaît dans l'art, tout comme l'esthétique infuse et nourrit la mystique. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la notion de camatkâra, l'émerveillement, vient de la poésie et des arts de la scène. Inversement, on peut se demander dans quelle mesure l'importance accordée à l'expérience dans la tradition de la Déesse (devînaya ou kâlîkrama) reflète les pratiques artistiques des initiés.

Selon Vâmana, la perfection en poésie, c'est-à-dire le génie (pratibhâ), naît du réveil des habitudes formées dans les vies passées :

kavitvabījaṃ pratibhānam // VKal_1,3.16 //

"Le germe de l'état de poète est l'intuition créatrice".


kavitvasya bījaṃ kavitvabījaṃ janmāntarāgatasaṃskāraviśeṣaḥ kaścit 
"Le germe de l'état de poète est une sorte d'habitude spéciale provenant des vies antérieures."

Encore faut-il être capable de se concentrer :

cittaikāgryamavadhānam // VKal_1,3.17 //

"L'attention est le fait d'être concentré vers l'esprit/le coeur."

Il explique :

cittasyaikāgryaṃ bāhyārthanivṛttiḥ tadavadhānam / avahitaṃ hi cittamarthān paśyati //17//

"Cette attention (indispensable à la poésie) est le fait de se concentrer vers l'esprit, de se détourner des objets extérieurs. En effet, un esprit concentré voit les significations (des mots)."

Il précise que la poésie a d'autre auxiliaires (anga, comme dans le yoga), à savoir le lieu et le moment, indispensables pour pouvoir se recueillir : le lieu doit être isolé, vivikta, "sans personne", nirjana. Et le moment idéal est le dernier quart de la nuit, "car en vertu de ce (moment de la nuit), l'esprit se désintéresses des choses et devient limpide".

Dès lors, la poésie devient possible, à la fois en vers et en prose.

Les auteurs qui succèdent à Vâmana vont explorer de plus en plus la dimension intérieure de la poésie. Avec Kuntaka (975), une génération avant Abhinavagupta, les notions de spanda, "vibration, pulsation, frémissement" et de dhvani "résonance, suggestion" deviennent centrales. Après Abhinava, la poésie est comprise comme la voie royale de la reconnaissance.

mercredi 22 janvier 2020

Transformer le monde ou le faire disparaître ?

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Il y a plusieurs visions des conséquences de l'éveil sur le corps et le monde.

Toutes ont en commun de dire que le problème est l'ignorance et que la solution est la connaissance.

Mais à partir de ces prémisses, il est possible de repérer au moins trois visions des conséquences de l'éveil (bodha) ou de la connaissance (jnâna) sur le monde.

1) L'éveil fait connaître que le monde est illusion, mais sans le faire disparaître
2) L'éveil fait disparaître le monde
3) L'éveil ne fait pas disparaître le monde, mais le transforme

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Les deux premières hypothèses s'inscrivent dans le Vedânta et sont l'objet d'âpres débats au sein de cette tradition riche de nombreuses factions plus ou moins déclarées selon les époques et les lieux.


1) D'un côté, les partisans, majoritaires, d'une disparition de la croyance en la réalité du monde, sans disparition de l'apparence même du monde. Cette vision se retrouve dans le Madhyamaka : l'éveillé est comme le magicien. Il voit la même magie que les autres, à cette différence qu'il n'est pas dupe. 

La vie éveillée serait comparable à un rêve lucide. La connaissance détruit les idées fausses, non les apparences. Le rêve se poursuit, plusieurs points de vue coexistent.

Cette vision a l'avantage d'être simple, claire et crédible, car en accord avec l'expérience commune. Cependant, on peut se demander à quoi il sert de comprendre que le monde est une illusion, si cette illusion demeure, avec toute ses souffrances, ses maux, ses injustices, etc.

2) D'un autre côté, il y a les partisans d'une disparition du monde lui-même. Selon eux, quand ont voit la corde, le serpent disparaît nécessairement. La vision du serpent et la vision de la corde ne peuvent coexister. Dire que l'on voit le serpent en sachant qu'il n'existe pas, revient à confesser qu'on ne voit pas la corde. En effet, le propre de l'illusion n'est-il pas de s'effacer sous la lumière de la connaissance ?

La vie éveillée serait comparable au réveil d'un rêve. La puissance de la connaissance est incompatible avec la poursuite du rêve. Ombre et lumière ne peuvent coexister au même lieu, du même point de vue.

Cette vision présente l'attrait d'une grande cohérence avec les principe internes du Vedânta. Mais il se heurte à l'expérience commune : qui pourrait affirmer qu'il ne perçoit plus le monde, sans par là-même se contredire ?

Ces deux hypothèses ne forment pas véritablement des écoles, sauf chez certains passionnés. Il serait plus juste de dire qu'il s'agit de problèmes présents dès l'origine dans la pensée du Vedânta et que le Vedânta, pour diverses raisons, n'est jamais parvenu à surmonter entièrement. 

3) Une troisième hypothèse est celle de la transformation du monde : la connaissance du monde, de son origine, de sa substance et de son fond, suffit à changer jusqu'en son fond et en sa substance, sa figure, comme nous pouvons tous en faire l'expérience en observant une figure ambiguë. Quand je réalise que je ne suis pas dans le monde, mais que le monde, de fait apparaît et donc existe dans la conscience et par elle, comme les reflets dans un miroir, alors je perçois le monde comme mon corps. Le monde ne disparaît pas. Il devient vivant. Le corps ne disparaît pas. Il s'universalise. Un autre modèle pour donner à penser cette expérience est celle de l'art, en particulier du théâtre, du roman ou du cinéma. Nous y faisons l'expérience des choses de la vie (autrement, comment y croire ?), mais dans une situation de connaissance qui transforme son objet (autrement, pourquoi aller voir de la souffrance ?).

Selon la plupart des traditions spirituelles, l'éveil transforme le monde. Parfois, cette transformation est si profonde, que l'on peut parler, par hyperbole, d'une "fin d'un monde" et du début d'un autre. Mais cet accent mis sur la rupture ne saurait masquer la continuité du processus, foncièrement organique.

C'est aussi la thèse du shivaïsme du Cachemire ou de la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), ainsi que du bouddhisme Yogâcâra et du dzogchen tibétain.

Pour l'éveillé comme pour les autres, l'objet est le même. Mais c'est le regard ou le jugement porté sur l'objet, qui changent, comme dans le cas d'une image ambivalente ou d'une oeuvre esthétique, un poème par exemple.

Cette approche a l'avantage d'être cohérente, en accord avec l'expérience commune, tout en préservant l'idée d'un changement objectif et radical. C'est donc la thèse la plus satisfaisante.

Bien entendu, il faudrait développer tout ceci, mais cette esquisse donne du moins une idée générale, à partir de laquelle chacun pourra suivre son chemin.



Une vision tantrique de l'éveil

Est-il nécessaire de renoncer aux plaisirs et de pratiquer la méditation pour atteindre l'éveil de la conscience ?


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La tradition védântique stricte (Shankara lui-même, etc.) prétend que oui. Et selon la plupart des approches, le renoncement extérieur est une condition nécessaire de l'éveil spirituel, même s'il ne suffit pas.

Une exception est le Yoga selon Vasishtha, une sorte de Mille-et-une-nuits de l'éveil. A l'origine, ce texte immense se veut spirituel et non religieux, indépendant et autosuffisant. Il transforme par la simple lecture et par la réflexion. Et surtout, il n'exige pas un renoncement extérieur. Selon Vasishtha, le lâcher-prise intérieur est seul essentiel.

Mais il existe encore une sorte de version tantrique du Yoga selon Vasishtha, la "section sur la connaissance" du Secret de la Déesse Tripourâ.

Son chapitre XVII raconte l'histoire du roi Janaka. Ce personnage incarne, dans la tradition, l'éveil accessible en dehors de tout renoncement extérieur. Il apparaît dès la Brihad Âranyaka Upanishad, l'un des plus ancien texte d'éveil, si ce n'est le plus ancien. Depuis, différentes traditions racontent son éveil selon leurs présupposés.

Dans le Secret de Tripourâ, Janaka raconte lui-même son éveil (78-107) : c'est une nuit d'été, chaude donc. Il se rafraîchit au clair de lune dans un jardin royal doté de tous les conforts. Allongé sur une couche moelleuse, il enlace son amante et tout son corps ressent les effets de l'ivresse (madirāmadaghūrṇitaḥ). Il n'est donc assez éloigné de l'état de pureté idéale que l'on imagine. Non seulement son corps est dans un mélange de tamas et de rajas, mais encore son intellect (buddhi) est complètement enivré d'alcool, il est en plein vertige, ses membres se balancent et, pour couronner (!) le tout, il est excité et attaché, au propre comme au figuré, à une femme. Il est l'antithèse du candidat à l'éveil selon Shankara et Patanjali. Pas une once de sattva en vue.

Or, à ce moment passe dans le ciel un escadron d'éveillés (siddha) qui chantent la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), l'essence de la non-dualité (advaita-tattva). Il les écoute négligemment, puis il lui suffit d'y réfléchir (vicâra) pendant 24 minutes pour atteindre l'éveil. Puis il reste 48 minutes dans un état sans pensées (nirvikalpa-dhyâna). 

Malgré son état embrumé, son intellect est donc apte à écouter, à comprendre et à méditer en profondeur, trois étapes traditionnelles vers l'éveil (bodha).

Cependant, son éveil n'est pas complet : en émergeant de son état sans pensées, il aspire un moment à y replonger à jamais. Il se sent prêt à renoncer à tous ses plaisirs royaux, voyant qu'ils ne valent rien à côté de l'infini plaisir de la conscience. 

Mais il poursuit sa réflexion et il réalise que cette idée est stupide. En effet, si tout est conscience, à quoi bon maîtriser le mental ? En quoi l'absence de pensées pourrait-elle révéler la Lumière qui révèle cette absence ? En quoi la présence de pensées pourrait-elle cacher la Lumière qui les révèle ? Et en quoi la maîtrise d'un seul esprit, le "sien" pourrait-elle changer quoi que ce soit, puisque les autres esprits ne seront pas maîtrisés pour autant, alors que tous baignent dans la même et unique conscience !

Dès lors, il comprend que l'éveil n'est rien d'autre que cette profonde compréhension qui ne dépend pas d'un état particulier et il est "libre en cette vie même" (jîvan-mukta) car il a reconnu la liberté absolue de la conscience. Il ne l'a pas atteinte, mais il l'a simplement reconnue en mettant fin aux croyances erronées.

Le commentateur de ce texte apprécié par Ramana (sans que ce dernier n'adhéra jamais complètement à sa doctrine) est généralement assez juste. Il a conscience que le Secret de Tripourâ enseigne une doctrine de l'éveil différente de celle du Vedânta, car le Vedânta soutient mordicus que la conscience de la dualité est absolument incompatible avec la conscience du Soi, tandis que la Reconnaissance (que notre commentateur cite et connaît) affirme que l'expérience de la dualité est parfaitement compatible avec celle de l'unité, et que c'est d'ailleurs en cette harmonieuse réconciliation de la dualité avec son fond d'unité que consiste la véritable non-dualité et la libération en cette vie même.

Toutefois, on sent ce commentateur (originaire d'un village de l'Andhra au XIXe siècle) hésitant face au récit de Janaka. Il explique son éveil si singulier par "les traces des vies antérieures". Mais ça n'est pas ce que dit Janaka, qui explique plutôt son éveil par la supériorité de son intelligence. Et cette supériorité elle-même s'explique par la liberté de la conscience : aucun moyen ne peut servir à l'éveil, car seule la conscience s'oublie, et elle seule peut se réveiller, elle-même par elle-même. 

Selon Abhinavagupta et le Secret de Tripourâ, seule la raison (tarka) est utile. Pour "atteindre" l'éveil, seule compte la capacité de réfléchir par soi-même, c'est-à-dire selon la raison, laquelle est "un aspect" de la conscience elle-même. 

C'est pourquoi, selon Abhinavagupta et la Reconnaissance, le yoga, les rituels et les pratiques ne servent à rien. Ce ne sont là que des concepts et des images inertes, privés d'énergies, la seule énergie étant la conscience. C'est la conscience qui anime ces pratiques. Mais l'ordre inverse est impossible : elles ne peuvent animer la conscience, puisque la conscience est déjà leur âme. 

Abhinavagupta se moque donc de ces doctrines de l'effort et il célèbre une approche en douceur, élégante et intuitive. D'ailleurs, comme je le suggère dans mon précédent billet, Abhinavagupta était un proche du roi du Cachemire, et ça n'est sans doute pas un hasard si, dans cette histoire de l'éveil de Janaka, c'est aussi d'un roi dont il s'agit. De Janaka au râjânaka Abhinava, la consonance est-elle une coïncidence ?

Abhinavagupta se défie du bétail des esclaves (pashu) des religions, des religieux et des commerçants, ainsi que des bureaucrates. Seul compte à ses yeux la grâce, c'est-à-dire la liberté, l'autonomie, et les arts. Quand il décrit des rituels, c'est toujours avec un regard critique.

Abhinava se moque non moins de ces yogis desséchés, devenus insensibles à force de sâttvitude et de pétrification répétés. Ils sont devenus des machines, privées de la beauté de la conscience, source de beauté et jouissance dans la beauté. Car n'est-il pas vrai, comme l'enseigne Diotime, que "c'est dans la beauté que l'on devient fécond" ?

A l'opposé, le roi Janaka, incarnation du raffinement et de l'esprit de goût, se réveille alors même qu'il est sous l'emprise de l'alcool, sans doute le vin, en lequel Abhinavagupta reconnaît "Dieu sous forme liquide" et capable de liquéfier les inhibitions dans lesquelles la conscience s'est empêtrée. Abhinavagupta ne prône certes pas la vulgarité d'une ivresse de compensation, d'une ivresse de fêtard. Mais il voit dans le vin une substance divine, presque médicinale, une manifestation de la conscience qui peut servir de voie vers l'éveil, ou du moins d'auxiliaire (anga), au contraire des pseudo-auxiliaires de Patanjali, dépassés par la raison, seule véritablement utile dans le yoga (tarkam yogângam uttamam). 

Et l'amante ? La femme, selon Abhinavagupta, n'est pas une ennemie, ni un objet de puissance. Non, dans le chapitre XIX de son Illumination des tantras, il affirme que la femme atteint bien plus vite l'éveil, pour une raison simple : elle porte en elle la puissance créatrice de la conscience sous une forme plus évidente, à savoir, le pouvoir de procréation qui se manifeste chaque mois. Tandis que l'homme possède la conscience, la vie, mais sans ce pouvoir de créer la vie dans son propre corps. La femme est donc, en ce sens, différente de l'homme, mais aussi supérieure à lui. Voilà pourquoi, dans sa tradition, une femme seule peut initier, tandis qu'un homme ne peut initier qu'en compagnie d'une femme. Mais la tradition Kaula dont se réclame Abhinavagupta est bien éloignée des traditions Kaulas qui existent aujourd'hui, entre occultisme vulgaire et intellectualisme mortifère.

Je vous conseille de lire ce récit de Janaka dans la traduction de Michel Hulin, aux éditions Fayard.