vendredi 30 septembre 2022

Désir et imitation


Le désir est inséparable de la vie. Au fond, il n'y a pas de vie sans désir, ni de désir sans vie, si bien que les deux sont inséparables. De même, le désir est inséparable de la conscience. Ceci revient à dire que le désir n'est pas étranger à la conscience, ni même une qualité de la conscience, mais un autre nom pour la conscience même.

Comprendre le désir en toute sa portée est donc ouvrir la porte à une réalisation de la vie, de la conscience. 

Or, l'un des visages du désir est l'imitation. 

Du moindre degré de conscience jusqu'à la contemplation la plus simple, l'élan vers l'Un est désir d'union, d'assimilation, d'intégration, de fusion, voire de digestion. 

Les humains s'imitent. La participation, la bhakti, sont au cœur des relations humaines. L'admiration, la dévotion, l'identification sont au cœur de l'expérience. Le Tantra appelle ce pouvoir vimarsha, terme le plus difficile à traduire. Être conscient, c'est se manifester et s'identifier à certaines manifestations en opposition à d'autres.

Les héros, les gourous, les dieux que l'on prie : autant d'images, de présences auxquelles on s'identifie. Tout le monde imite. Des symboles, des modèles, des stars, des archétypes. L'éducation est imitation, depuis l'apprentissage de la langue jusqu'à la fin.

L'une des pratiques du Tantra consiste à imiter une incarnation du divin. L'osmose joue à tous les niveaux et dans tous les sens.

Mais aussi, désir à cause d'un manque, d'une contraction. D'où le consumérisme, l'hédonisme, l'épicurisme. D'où la croissance, le progrès, l'exploration, inévitables.

Le yoga, en tant que désir d'union, est une des formes de l'imitation.  

La bhakti, l'amour divin ou dévotion est, bien sûr, imitation de l'Objet aimé.

lundi 26 septembre 2022

Stage méditation d'éveil selon le Tantra

 Stage weekend de pratique intensive de la méditation selon la tradition du Tantra.

A Nogent-sur-Marne, près de Vincennes en région parisienne. 

Les 22 et 23 octobre 2022.
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dimanche 25 septembre 2022

Yoga de l'émerveillement


Description du yoga de l'espace, de la Méditation de Shiva (śiva/bhairavamudrā) :

hānādānatiraskāravṛttau rūḍhimupāgataḥ /

abhedavṛttitaḥ paśyedviśvaṃ citicamatkṛteḥ // 

Abhinavagupta, Tantrāloka, V, 74

"En se familiarisant avec 

le Mouvement qui ne prend ni ne rejette,

grâce à ce mouvement unifié,

on voit toutes choses dans l'émerveillement :

la conscience vivante."

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La méditation n'est pas un effort mécanique, mais une familiarisation qui enracine tout l'être (corps, énergie, esprit, inconscient) dans un regard simple.

Ce regard est décrit comme "mouvement" (vṛtti). Le choix de ce terme est très significatif. Dans les autres traditions, vṛtti est en effet connoté de manière péjorative. Selon la célèbre définition du yoga donnée par Patanjali, le yoga consiste à bloquer les mouvements du corps, de la parole et de l'esprit.

Ici, nous sommes dans une approche radicalement différente. La conscience est immobile, mais d'une immobilité en mouvement, une vibration, spanda. Elle est un élan d'extase créatrice, non une chute subie dans une dualité accidentelle. La conscience est vibration, mouvement, élan, vague, onde, désir, éveil, éclosion, expansion. Autant d'images traditionnelles qui pointent vers le paradoxe qu'est notre essence. Le monde, le corps, le mental, ne sont pas des étrangers venus troubler la paix du Soi, mais les manifestations du Soi, leur prolongement inséparable, comme les vagues sont la manifestation de la mer.

Et donc, on habite ce mouvement de manifestation du vide dans le vide, comme des nuages dans le ciel :

les cinq sens totalement ouverts, le mental absolument silencieux. Pure perception sans mot dire. Bouche bée, pure ouverture, transparence sans aucun filtre, l'attention se fond dans l'émerveillement. 

Rien ne disparaît, tout se révèle dans la lumière, lumière sur lumière, ciel dans le ciel, sans aucun conflit ni inconfort, comme des reflets sur une eau calme. 

Tout s'unifie, le corps, l'attention, la volonté, le monde, ne forment plus qu'une seule sphère, comme une fleur éclose en plein jour.

La dualité de disparaît pas, l'unité ne s'impose pas. "Sans prendre ni rejeter". Comme l'enfant béat, un regard simple plonge jusqu'aux racines de l'être et ouvre les nœuds, défait ce qui est factice, comme une eau fraîche dans une terre desséchée. 

dimanche 18 septembre 2022

"Tu es le corps" et non pas tuer le corps


 

On me dit souvent que le Tantra, 

c'est "la Nature mobile, Prakriti, face à la Conscience immobile, Shiva".

C'est tout simplement faux.

Cette idée-là, c'est le Tantra tardif, le pseudo-Tantra où la philosophie du Tantra est remplacée par la philosophie dualiste du Sâmkhya.

Le Tantra authentique enseigne justement l'inverse : Shiva est la matière, l'objet ; Shakti est la conscience, le sujet. Shiva est le contenu de l'expérience ; Shakti est le contenant, l'expérience elle-même, ce pur élan qu'est la conscience.

Cela se retrouve même dans les tantras tardifs, comme par exemple ici, dans le Brihan-nîla-tantra "le Grand Tantra de la Déesse bleue", quand Shiva dit à la Déesse :

ahaṃ deho maheśāni dehī tvaṃ sarvarūpadṛk || 7-86 ||

"Ô Maîtresse des dieux !

Je suis le corps.

Toi, tu es cela qui possède le corps,

tu es cela qui perçois toutes les formes".

"Moi, Shiva, je suis le corps, je suis la matière, je suis le contenu, cela qui est perçu".

"Toi, Shakti, tu es conscience, mouvement, vision, perception, tu es cela qui, en chaque être conscient, voit."

Cette inversion est la base du Tantra shâkta, centré sur la Shakti.

Inversion totale donc par rapport à la répartition classique des rôles. En général, le masculin est l'esprit et le féminin est la matière qui reçoit les formes de l'esprit, tout comme la femme reçoit la semence de l'homme.

Mais dans le Tantra, c'est l'inverse. Shakti est la pure conscience, le mouvement infini. Shiva est la matière première de ce mouvement. Shakti est le potier, Shiva est l'argile.

iti tantrâgatakramam.

samedi 17 septembre 2022

La Bhagavad Gîtâ de la Déesse


 Le livre le plus connu de l'hindouisme est la Bhagavad Gîtâ. Sur ce modèle, il existe de nombreuses gîtâs, de nombreux "chants", dont un pour Shiva.

Moins connu, il existe un équivalent pour la Déesse : La Majesté de la Déesse, Devî-mahâtmya.

A côté de ce poème fondateur, il y a la Devî-gîtâ, dans lequel il y a un chapitre plus spécialement philosophique. La Déesse y énonce ses "noms". Or, parmi ces noms figure vimarsha, terme intraduisible qui définit la Shakti dans la grande tradition du Cachemire, et plus particulièrement dans la philosophie de la Reconnaissance, Pratyabhijnâ :

vimarśa iti tāṃ prāhuḥ śaivaśāstraviśāradāḥ /

avidyāmitare prāhurvedatattvārthacintakāḥ //

"Ceux qui connaissent l'enseignement de Shiva

l'appellent 'vimarsha'.

Ceux qui méditent la vérité impersonnelle du veda

l'appellent 'ignorance'." 

(Devîgîtâ, IV, 10)

"l'enseignement de Shiva", ce sont les tantras. Le terme de vimarsha désigne la philosophie de la Reconnaissance et le maître qui l'a institué, Utpaladeva. Ce texte est donc postérieur à Utpaladeva qui a vécu au Xè siècle.

Il est intéressant de constater que ce verset met le Tantra côte à côte avec le Vedânta. Il s'ensuit que vimarsha est identifié à avidyâ, à l'ignorance. Autrement dit, la Déesse affirme qu'elle, la Shakti, est ignorance !

Au total, ce texte est intéressant, mais il est imprégné du Vedânta qui domine la scène indienne après les invasions musulmanes. Néanmoins, il y a des versets à approfondir, notamment les 11-12-13-14-15-16-17 du même chapitre, qui démontrent que la conscience est conscience de soi, réflexive, mais sans dualité. 

Au verset 13, la conscience se manifeste elle-même en manifestant les choses et les êtres, "comme une lampe" (dîpavat). Il est ensuite montré que la conscience est l'expérience même (anubhava) et que, donc, tout est conscience. Non pas la conscience comprise comme substance inerte, mais la conscience comprise comme acte pur.

Mis ensuite, le verset 16 identifie la conscience au "témoin" et repart en direction du Vedânta. 

Quoi qu'il en soit, la présence de ce point sur la conscience réflexive non-duelle est importante, car il est propre au Tantra et au Yogâcâra bouddhiste. Il est contesté par le Vedânta qui, au contraire, soutien que toute conscience de soi implique nécessairement une dualité, une séparation. D'où la conscience définie par le Vedânta qui finit par ressembler à une étrange "conscience inconsciente". En effet, qu'est-ce qu'une conscience qui n'est pas consciente d'être consciente ? D'un autre côté, être conscient de la conscience, n'est-ce pas objectiver la conscience ?

Le Tantra affirme que non, que la pleine conscience de soi - "je suis" - n'implique nulle dualité.

lundi 12 septembre 2022

Espace et toucher

(Yves klein)

Pourquoi les textes ?

Parce que les tantras (=les livres) sont pleins de trésors inconnus.

Par exemple, l'état de conscience tantrique est ainsi décrit : 

yā sparśā sparśagagane carantī nirniketā /

sarvāvaraṇanirmuktā mudrā sā khecarī smṛtā //

(Mahânayaprakâsha d'Arnasimha, 102)

traduction :

"L'état de conscience spatiale

est absolument transparent,

il est sensation qui s'élance

dans l'espace du toucher, sans limite."


mercredi 7 septembre 2022

Yoni, union ou séparation ?


On entend souvent dire "LA yoni". En sanskrit, le mot est plutôt masculin, mais peut parfois être féminin : yonî. Toutefois, dans les poèmes les plus anciens, yoni est toujours masculin.

L'origine du mot YONI n'est pas claire. On trouve deux racines, de sens contraire. Suivre ces pistes est l'étymologie, différente certes de l'étymologie sanskrite traditionnelle, nirukta. Isidore de Séville nous invitait à "trouver la vérité des choses en trouvant la vérité des mots."

D'abord YU- "séparer, éloigner, tenir à distance", rattaché à YUCH- "s'en aller, partir"

Puis YU- "unir, joindre", rattaché à YUJ- "joindre, unir, ajuster" qui a donné YOGA.

Le yoni évoque donc à la fois séparation et union. Il désigne aussi un lieu de réunion, de convergence, des eaux par exemple ; une source, un lieu de naissance, une fontaine, un nid, le foyer d'un feu, la matrice et, par extension, un genre, une race, une espèce.

A noter que, selon le Tantra, il y a un linga dans le yoni et un yoni dans le linga. Shiva et Shakti s'interpénètrent. 

Le yoni est le lieu du yoga. A l'origine, la réunion.

Pourquoi bloquer les mouvements ?

 


Certains yogas aspirent à supprimer les mouvements (vṛtti), tous les mouvements.

Le Tantra propose des yogas différents : adorer le début et la fin des mouvements pour transformer les mouvements. Une alchimie d'écoute et, donc, d'amour.

Les mouvements ordinaires, pleins de souffrance, chevauchent les souffles de l'inspir et de l'expir. Ils sont attraction et aversion, passion et colère, naissance et mort, exaltation et abattement, combat et fuite, et ainsi de suite. 

Entre eux palpite le Souffle originel, comme entre les articulations, entre les doigts et autres interstices du corps subtil. 

"Adorer", c'est donner son attention.

Quand le début et la fin des mouvements ne sont pas adorés, ils deviennent inconscience et profond sommeil. Les mouvements sont alors états de veille et de rêve, perception et imagination dont on se sent le jouet. 

Ces trois états se succèdent sans cesse et forment le samsâra, le cycle de l'existence absurde.

Quand le début et la fin des mouvements sont adorés, tout devient le pur cycle de la créativité de la Présence, la dans de la conscience.

Les mouvements ne sont pas à bloquer ni à supprimer, mais à écouter en leur surgissement et en leur fin. Aube et crépuscule.

Epouser les moments de suspens.

L'écoute des intervalles est le secret du Tantra.

Supprimer les mouvements (vṛtti) revient à supprimer la Shakti, la Déesse ; car, comme le chante la Célébration de la Déesse :

yā devī sarvabhūteṣu vṛttirūpeṇa saṃsthitā /

namastasyai namastasyai namastasyai namo namaḥ //

"Hommage, hommage,

hommage à toi, hommage à toi, hommage à toi,

déesse présente en tous les êtres

sous la forme du mouvement !"

(Mârkandeyapurâna, 82, 29)

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https://david-dubois.com/enseignement/

mardi 6 septembre 2022

La philosophie, juste "intellectuel" ?


J'entends souvent dire que tel discours est vrai, mais qu'il est seulement "intellectuel". La philosophie, de même, serait seulement "intellectuelle". On parle aussi de compréhension "intellectuelle".

Dans ces exemples, "intellectuel" est synonyme de "superficiel". On dit encore que "ce ne sont que des mots", pour dire (encore des mots !) que ces mots sont impuissants à produire en l'âme quelque changement réel, profond et durable.

Mais 

1) Ce genre de cliché est lui-même fait de mots et il est donc lui aussi "juste intellectuel". S'il est vrai, il est donc lui aussi superficiel et stérile - s'il est vrai. Et l'on rencontre plusieurs autres slogans qui souffrent du même défaut (ils sont faux s'ils sont vrais) :"C'est un jugement", "c'est le mental", ainsi que leurs variantes.

2) Que "intellectuel" soit "superficiel", cela est un jugement qui manque de sincérité. On le voit à un fait très simple : si, vraiment, la réflexion philosophique et le débat intellectuel étaient "superficiels", "seulement des mots" et incapables de produire un effet réel, alors ceux qui soutiennent cette opinion devraient se comporter en conséquence. Je veux dire que, si les mots et les idées sont sans importance réelle, alors ils devraient rester calmes en tout échange. Il en va comme ceux qui disent que tout est un rêve et qu'ils sont éveillés à cette vérité. Si vraiment je suis en train de rêver et que je le sais, alors je dois me comporter en conséquence ; en gros, avec équanimité.

Or, je constate que les mêmes gens qui affirment que "ce ne sont que des mots" réagissent fortement aux mots, aux idées. Ils ne restent pas sereins face à certaines idées qui pourtant ne sont "que des concepts"". Ils s'emportent ou se laissent emporter par la feu des mots, comme s'ils y croyaient ou plutôt, comme si les mots étaient loin d'être superficiels, comme s'ils avaient un réel pouvoir sur le réel. Comme si les mots étaient vrais. Et de fait, je suis d'accord avec leurs réactions, je pense qu'il y a des idées graves, puissantes et sérieuses. Des idées qui tuent, qui bouleversent, qui changent des vies...

La réflexion philosophique est donc une PRATIQUE qui engage tout l'être. Débattre, discuter, penser seul ou en groupe, cela n'est pas anodin. C'est une pratique. La philosophie est une pratique de transformation de soi. Penser, c'est se transformer en transformant sa vision du monde. 

Pratiquer la philosophie est difficile. Cela demande de prendre du recul par rapport à nos opinions sans pour cela tomber dans le scepticisme. Il faut exercer l'écoute, l'ouverture d'esprit, la curiosité, l'analyse, la maîtrise de soi, la mémoire, la concentration, la patience, l'humilité. La philosophie est une pratique physique qui enseigne, a minima, la maîtrise de soi.

Si vraiment la philosophie était une pratique superficielle, les gens devraient pouvoir débattre sans jamais s'émouvoir. Or, on constate qu'il n'en est rien. Pourquoi ? Parce la pensée est un vrai pouvoir. Bien sûr, on devrait, par la pratique justement, apprendre peu à peu à prendre du recul. Mais cela demande de la pratique. Un exercice quotidien.

La prochaine fois que vous avec le réflexe d'employer l'adjectif "intellectuel" dans le sens péjoratif de "superficiel", observez comme des mots qui ne sont "que des mots" peuvent facilement vous toucher au plus profond. Et réfléchissez. La pensée est-elle vraiment si superficielle ? Et si la pensée est toujours superficielle, alors cette pensée même est superficielle.

Dès lors, n'est-il pas plus judicieux de pratiquer l'art de penser ? Sans le dénigrer, sans l'idolâtrer. Mais en s'exerçant avec patience et jusqu'à la fin de notre vie, humblement, chaque jour un peu ?

jeudi 1 septembre 2022

Les désirs sont-ils détruits dans l'éveil ?


Les désirs ne sont pas détruits dans une "extinction" impersonnelle. 

Ils ne sont pas non plus réorientés "vers Dieu", la Déesse, le divin ou quelque équivalent, tout en restant "des" désirs pluriels.

C'est plutôt que le désir s'unifie. Il se révèle, peu à peu ou d'un seul coup, comme étant un seul et unique désir. Il n'y a qu'un désir, une énergie, un élan créateur, qui semble se fragmenter à mesure qu'il se manifeste envers des objets apparemment fragmentés. 

L'unique élan que je suis, que tout est, devient une foule de désirs parfois antagonistes. L'"éveil" consiste à s'éveiller à cette unité : il n'y a qu'un seul désir. 

Il y a donc des renoncements à "des" objets du désir, mais non pas au désir lui-même. 

Le désir, pris en lui-même, ne peut d'ailleurs pas d'être renoncé. Même dans le sommeil profond, le désir est, encore, comme désir de n'être rien, comme désir d'abstraire. Cependant, dans cet état de sommeil profond, le désir pur, total, un, n'est pas pour autant révélé, car il y a encore un objet : ce "rien", justement, cette absence d'objets distincts, absence ou abstraction qui est aussi un objet, une construction délimitée. L'éveil ne peut donc avoir lieu dans le sommeil profond, mais seulement maintenant, dans l'état de veille.

L'unification des objets du désir comprend trois étapes : 

1) l'unité totale, un seul objet ; cet objet, infini, se nomme alors "Dieu", être, un, mystère, etc. Le désir infini de cet objet infini est appelé "Déesse", "Vague", "Vibration", "Volonté", "Puissance", "Conscience", etc. Ici, le désir et son objet sont inséparables. Shiva et Shakti sont inséparables.

2) la multiplicité dans l'unité : l'état idéal d'éveil en cette vie. Il y a comme une fragmentation des objets, mais sans que cette variété ne cache l'unité de la réalisation, du désir, de la conscience, de l'expérience. Ici Shiva et Shakti se distinguent, mais sur fond d'unité prédominante. A l'image d'un balancement, il y a éloignement, puis retour, sans excès. 

3) la multiplicité dans l'oubli de l'unité : l'état ordinaire, dans lequel la multiplicité des objets du désir entraîne une apparente multiplication des désirs parfois contradictoires. D'où le devenir, le temps et l'espace, qui sont déjà une manière de surmonter ces contradictions.

Voici comment Abhinava Gupta décrit ces trois étapes ou états du désir dans sa Grande méditation sur la Reconnaissance du Seigneur : 

camatkāritā hi bhuñjānarūpatā svātmaviśrāntilakṣaṇā 

sarvatra icchā | kvacittu  svātmaviśrāntirbhāvāntaramanāgūritaviśeṣama-

pekṣya utthāpyate yatra sā icchā rāga iti ucyate, 

āgūritaviśeṣatāyāṃ tu kāma iti | 

"1) S'émerveiller/se délecter (camatkâra), c'est être en train de savourer, ce qui se reconnaît au fait que l'on s'absorbe en soi-même (sans plus faire attention à rien d'autre). C'est un désir de tout (sarvatra). 

2) Mais parfois, cette absorption en soi surgit en relation avec un phénomène distinct, (mais) qui n'est pas désiré distinctement. Dans ce cas, ce désir est appelé 'désir coloré (par l'objet)' (râga). 

3) En revanche, si cet objet est désiré distinctement, on parle de 'désir exclusif' (kâma)." 

(IPVV vol. III, p. 252)