jeudi 29 novembre 2007

De la bouddhophobie phobomaniaque

J'ai découvert avec stupeur que certaines personnes, sous couvert d'anonymat, utilisent mes billets pour nourrir leur haine du bouddhisme sur le blog d'Isabelle des Charbinières. Plus de huit cent commentaires suivent un article qui prétend révéler les "ignobles vérités" du bouddhisme.
A la lecture des commentaires, il s'avère qu'il s'agit d'une attaque en règle contre le bouddhisme menée par un groupe d'individus qui se définissent comme "chrétiens". Il semble que, pour eux, la fin justifie les moyens : contre-vérités, mensonges, diffamations, citations hors-contexte, "faits" allégués sans la moindre preuve... Bien évidemment, ils citent un certain nombre de Chrétiens "orthodoxes" connus de tous, et grands connaisseurs de l'Orient, comme Verlinde ou Ratzinger.
Ce qui me choque d'abord dans leur propos, c'est le décalage entre la forme - langue maîtrisée, une certaine culture, peut-être des études - et le fond : un torrent de haine et de vulgarité qu'on avait jamais vu dirigé ainsi contre le bouddhisme. A travers leurs propos, ce sont tous les travers de l'extrême-droite française que nous voyons défiler dans le désordre : haine de "l'Oriental", homophobie, misogynie, sectarisme, bigoterie, ignorance crasse de tout ce qui ne concerne pas la spiritualité française au XVIIème siècle (et encore...), suspicion à l'égard de la maçonnerie. Bref, c'est un peu le bouddhisme "critiqué" par un employé du gouvernement de Vichy.
Ce qui m'a interpellé ensuite, ce sont les soi-disant citations de mes billets (prélevés sur mon ancien blog) - avec d'autres noms que le mien, réécrits partiellement -, ou encore les commentaires qui me sont attribués et que je n'ai, bien sûr, jamais écrits. Voici une petite liste :
1/ Une citation m'est correctement attribuée dans un commentaire signé Anargala (?) du 01/10/2007, mais dans un contexte qui déforme son sens.
2/ Deux commentaires du 07/10/2007 sont signés par "Anargala". Evidemment, il ne s'agit pas de moi.
3/ Ensuite, plusieurs billets de mon ancien blog sont cités, comme s'il s'agissait de témoignages d'autres personnes : ceux d'un certain "Jacques" (10/10/2007), "Tsok" (02/11/2007), "Youri" (02/11/2007) et re-"Tsok" (21/11/2007).
Ces manipulations montrent, premièrement, que les auteurs de ces commentaires/billets ne reculent devant aucun mensonge pour nous persuader de leurs "vérités". Deuxièmement, cela m'a rappelé combien il est facile d'extraire un propos de son contexte pour lui faire dire autre chose.
Car il n'a jamais été question, dans mon esprit, de dénigrer la valeur humaine et la richesse des enseignements bouddhistes. Il s'agissait simplement d'anecdotes relatées dans le cadre d'une réflexion critique. Or critiquer, c'est faire preuve de discernement, d'un sens de la nuance qui est tout le contraire de l'esprit pamphlétaire. Je n'ai jamais voulu écrire de pamphlet contre le dharma du Bouddha.
En ce qui concerne le bouddhisme tantrique, qui est l'objet des attaques les plus basses, mon opinion est qu'il constitue une part essentielle du patrimoine spirituel de l'humanité. Il a des travers, sur lesquels certains de mes billets invitaient à une réflexion critique. Mais il ne faut pas jeter le bébé-bouddha avec l'eau du féodalisme tibétain. La réalité est toujours complexe et nuancée. Avec le recul, je réalise que certain de mes propos ont pu être mal compris, et servire à alimenter les passions de quelques fanatiques. Je n'ai jamais voulu ternir la réputation de M. Namkhai Norbu ou M. Sogyal. Le lama tibétain qu'évoque un des billets détournés dans ce blog chrétien militant est Tenzin Samphel. J'ai écrit qu'il semblait "speedé". Mais je ne faisais que décrire une impression subjective, et donc peut-être fausse. A l'époque, c'était un jeune lama, originaire du Spiti et plein du désir de faire partager ses connaissances et sa passion pour le dharma. Il a depuis, confirmé l'authenticité de son engagement en enseignant le Tibétain à langues'o et en fondant un centre qui a accueilli plusieurs lamas réputés. En disant cela, je veux simplement démentir formellement toute intention de nuire au bouddhisme que l'on voudrait m'imputer. Je ne suis pas bouddhiste, mais je n'ai jamais adhéré au genre d'idées décrites dans ce blog qui semble ignorer toute "nétiquette".
Et il en va de même pour les autres personnes que j'ai critiquées dans mes billets. Il s'agit de critique, pas de dénigrement. Du moins, telle est mon intention. Ainsi, je ne remet pas en cause l'intérêt de l'enseignement de Jean Klein, Eric Baret ou Daniel Odier, mais seulement certaines de leurs affirmations quant à leur filiation avec le shivaïsme cachemirien.
Par ailleurs, si nous souhaitons comparer bouddhisme et christiannisme (ce qui est parfaitement légitime), il faut comparer ce qui est comparable. Autrement, toutes les doctrines d'Orient comme d'Occident seront ruinées, et seul le nihilisme consummériste triomphera. Il est aisé de ridiculiser le bouddhisme en mettant côte à côte Thomas d'Aquin et quelques enseignements du Dalaï Lama destinés à un large public. De même qu'il serait aisé de ridiculiser le christiannisme en comparant Gorampa (un philosophe tibétain du XIVème siècle) et un livret de catéchèse pour jeunes de Passy. Même chose dans le domaine politique. Si l'on persiste dans cette voie, tout est ridicule, abjecte et "ignoble".
Mais je crois que tout cela, les auteurs de ce blog le savent. Ce qui rend leurs paroles d'autant plus regrettables.

dimanche 18 novembre 2007

Nous sommes capables

Douglas E. Harding (1909-2007) fut l'un des philosophes les plus originaux du siècle passé. Plus connu comme inventeur d'une série d'outils expérimentaux pour la connaissance de soi, il eut avant cela une longue période de réflexion solitaire. Le premier fruit de ses méditations fut un livre imposant (plus de 600 pages tapées à la machine) qui parût en Angleterre en 1952. Mais, bien qu'il bénéficia d'un certain succès d'estime, Harding se sentait frustré par ce qu'il ressentait comme son incapacité à faire partager sa vision.
Cette vision est pourtant fort simple : elle consiste à prendre au sérieux la vision que nous avons de nous-mêmes et du monde à partir du point de vue de la première personne. Cette approche permet de prendre conscience des différences vitales entre ce que nous paraissont être vus du dehors, et ce que nous voyons de nous-mêmes, ici, "à zéros centimètres" de nous-mêmes. Ici, en effet, au-dessus des épaules, je ne vois pas une tête, mais je vois un espace conscient et illimité, capacité d'accueil pour le monde, les autres et pour "mon" visage, là-bas dans le miroir. Bref, selon lui "voir qui a le problème est la solution du problème".
Cet espace que je vois, "ici", au-dessus des épaules, englobe en fait tout ce que je peux voir. Il embrasse la hiérarchie des choses visibles, de l'infiniment grand à l'infiniment petit. D'où le titre du livre, La hiérarchie du ciel et de la terre, réédité par The Shollond Trust en 1998.
C'est un véritable livre-univers, rempli de notes, de citations et de dessins. Il expose une théorie selon laquelle il est possible de décrire l'ordre de l'univers à travers la multitude des points de vue possibles, tous étant inclus dans le point de vue de la première personne.
Tout cela en fait une lecture passionnante mais de longue haleine. Harding s'appuie sur de nombreux philosophes et hommes de science qui l'ont précédé dans son approche perspectiviste. On sent, dans son effort pour hiérarchiser les points de vue, l'esprit de l'architecte qu'il était. Bien sûr, beaucoup des connaissances scientifiques qu'il convoque sont dépassées. Cependant, l'essence de son message demeure vivante et parfaitement actuelle.
C'est à travers les "exercices" qu'il inventa par là suites avec quelques amis, et qu'il présenta le restant de sa vie à travers le monde, qu'il trouva le moyen de faire partager sa vision. Des outils simples, voire enfantins, et pourtant d'une grande profondeur. Ils nous permettent de renouer avec la grande tradition de la philosophie comme connaissance de soi, avec son regard neuf et naïf.
D. E. Harding insistait sur le fait que cet Espace qui embrasse tout n'a pas de nom en soi, pas d'appellation privilégiée, contrôlée ou enregistrée. Mais il utilisait souvent le mot de "capacité". Car cet Espace, cette ouverture immense nous rend capables, capables de vie et de relation aux autres. C'est cette immensité limpide qui rend possible toutes nos expériences. Elle est, ainsi, capacité, puissance, conscience. Voici un poème d'un auteur anglais que Harding appréciait beaucoup, Thomas Traherne :
Je n'ai senti ni écume ni matière en mon âme,
Ni rebords ni frontières, comme nous les voyons dans un bol.
Mon essence était capacité,
Qui sentait toutes choses.
La pensée qui jaillit de là s'élève d'elle-même...
Elle n'agit pas depuis un centre sur un objet au loin,
Mais est présente quand elle voit,
Etant avec l'Etant elle sent tout ce qu'elle fait.
"My Spirit", in Complete Works of Thomas Traherne, London, 1903, p. 41, cité dans The Hierarchy of Heaven and Earth, p.1.

jeudi 18 octobre 2007

Liberté sauvage, suite

La rencontre de Nishkriyânanda avec la déesse Sauvage et le maître se poursuit ainsi :

« [La déesse Sauvage] parla en se riant de moi :
« A quoi bon cette arrogance ? A quoi sert ce piège que sont les traités ? Ton égarement n’a toujours pas disparu ! Regarde le livre que tient en sa main le brahmane, le maître accompli.
Ô toi qui a maîtrisé le [culte du] cycle [des Kâlîs] ! sache que ses cinq nœuds qui constituent sa solide reliure sont la Puissance faite des cinq sens. Ses deux anneaux sont l’état de veille et de rêve.
Mais écoute ce que sont en bref les deux planchettes [qui font sa couverture] ! La planchette supérieure est le souffle expiré qui a, dit-on, sept flammes. La planchette inférieure est le souffle inspiré. Je suis en réalité présente sous la forme de ce double mouvement.
Selon la tradition, ces deux planchettes symbolisent l’éveil cyclique à la transcendance puis à l’immanence. Ce sont les deux absorptions : l’extase dans l’action, et l’extase apaisée. Celle qui est en haut, [l’extase dans l’action], est la Puissance d’éveil, majesté parfaite. Celle qui est en bas, [extase apaisée], est la Puissance du Seigneur, qui dévore [le Temps], émaciée [pour représenter le fait qu’elle est insatiable].
Sépare ces deux planchettes, contemple consciemment ce qui se trouve en leur centre :

Le Grand Vide au-delà du vide,
Vierge de permanence comme d’impermanence,
Intangible,
Espace ultime,
Sans demeure,
Insurpassable,
Au-delà de tout,
Invisible,
Toujours et partout présent,
Destructeur qui dévore la naissance, l’existence, la mort et le temps,
Suprême,
Affranchi de tous les voiles,
Essence de soi,
Présent en soi. »

Le maître accompli transmet alors cent cinq instructions secrètes de la tradition orale à Nishkriya, lequel atteint le Royaume de l’Inopinée. Nous pouvons lire treize de ces aphorismes dans Les Vātūlānāthasūtra, traduits par Lilian Silburn. Ils correspondent à la seconde méthode du Kâlîkrama, celle des « paroles secrètes » (chummâ, kathâ). La méthode ultime, transmission non verbale (samkramanam), est illustrée ici par le regard du maître qui plonge le disciple dans l’Inattendue (sāhasam). Un exemple d’instruction orale : « Elle est folle et libre de folie »…
Mais redonnons la parole à Nishkriyānanda, qui relate en ces termes cette transmission orale :

« Ainsi, j’expérimentais directement et instantanément la réalité ultime et abandonnais entièrement et dans sa totalité ce piège que sont les traités. Le sage maître accompli, qui avait renoncé au tissu de mensonges des traités, me regarda et dit :
« Fils dont la compréhension est vraie ! tu es maintenant digne de ce Grand Cycle si difficile d’accès. »
Sur ce, ce seigneur pénétré de compassion m’éveilla à l’enseignement des expériences intimes, tout le détail des paroles secrètes extraordinaires, difficile à comprendre même pour les grands yogis. Grâce à cela, je m’élevais de force au plan impérissable de la Grande Inopinée sauvage, en l’état parfaitement éveillé. »

Puis Nishkriya s’adresse à un disciple, lui promettant de lui transmettre, tel qu’il l’a reçu, cet enseignement :

« De la même façon que j’ai atteint la réalité merveilleuse par la grâce du maître accompli, je vais te dire sans rien laisser de côté ce qui ne peut être enseigné, ce qui anéanti le flot des doutes, qui est indéfinissable et sans précédent. Tu erres dans tous les lieux sacrés, établi en Brahman… Pourtant, tu n’as pas obtenu le repos suprême. Fils ! pourquoi erres-tu de tous côtés, l’esprit en proie à la confusion ? Tu es digne de la connaissance suprême. Alors arrête ! Je vais te dire la tradition orale dans l’ordre dans lequel je l’ai reçue. Elle est dépourvue des philosophies orthodoxes et [même] du Kâlîkrama. Elle est toujours disponible, réalité ultime affranchie des restrictions que sont « l’adorateur » et « l’adoré ». Toi qui est magnanime ! écoute, l’esprit recueilli en prenant conscience de cet Eveil, l’ensemble des paroles du secret, en détail et dignes d’être comprises ! »

Sanderson n’a pas édité « l’ensemble des paroles secrètes ». Si je parviens à me procurer le manuscrit, soyez sûr, cher lecteur, que je ferais tout pour le partager !

vendredi 5 octobre 2007

Liberté sauvage

Parmi les différents courants de ce que l'on a coutume d'appeler le shivaïsme du Cachemire, la tradition du Kâlîkrama est tenue pour être la plus élevée. Son tantra fondamental est le Jayadrathayâmala qui, en 24 000 stances, expose le culte de différentes variétés de la déesse Kâlî, laquelle n'est autre que la conscience.




Plus tard apparût au Cachemire un culte cyclique de treize aspects de la déesse Kâlî. Une des particularités de cette liturgie est l'absence de visualisations. Dans cette forme épurée, il n'y a plus que des mantras, essence de la vacuité. La source légendaire de cet enseignement est une certaine "Madame M" (Makâradevî), à savoir Mangalâ. On sait par une source tibétaine que sa statue se dressait à l'entrée de la capitale du petit royaume d'Oddiyâna. Celui-ci n'est autre que la vallée du Swat, aujourd'hui située au Nord du Pakistan. Aux abords de la ville, nous dit-on, s'étendait un champ de crémation, le Karavîra, lieu des rencontre avec les yoginîs, celles qui justement révélèrent l'enseignement secret sur Kâlî.

En gros, il y a trois méthodes. Tout d'abord, le culte des Kâlî, assez complexe, mais sans visualisations. Cette liturgie est censé reproduire le cycle naturel de la conscience créant et engloutissant le monde à chaque instant, pour chacun d'entre nous. Cette voie quelque peu artificielle doit déboucher sur une intuition indicible et soudaine (sâhasâ), la révélation de l'espace infini de vacuité qui dépasse tous les contraires.

Pour illustrer les deux autres méthodes, lisons un extrait autobiographique d'un maître ancien de cette lignée, Nishkriyânanda. Il relate sa rencontre avec un "siddha", un être accompli :

"A cause de la majesté de son regard, je m'effondrait à terre en un instant, tel un arbre tranché à la racine. En un instant, j'atteignis cette Terre qui est à nulle autre pareille, affranchie des facultés externes comme internes, qui ne peut être objet de science, sans défauts, au-delà du Temps et de son absence, dont la présence infuse et transcende (tout), sans demeure fixe, ni changeante ni immuable, débordante du flot émerveillé de cette félicité ultime qui ne (résulte) pas d'un contact, au-delà de la félicité elle-même, inpénétrable, libérée des jugement erronés tels que "c'est" et "ce n'est pas", affranchie des pensées comme de leur absence, par nature au-delà de la conscience, dépourvue de toute trace de conditionnement.

Je restait longtemps immobile. Puis soudainement je me réveillais à peine, par la force de sa grâce. Je titubais en me délectant dans la joie de cette expérience sans précédent. Je me tenais stupéfais, réjouis de cette joie éternelle. Je m'étais détourné du bavardage mensonger des traités. L'ego avait disparu. J'interrogeais alors le maître accompli qui se tenait là, un livre à la main. "Cette Terre inaccessible et sans défauts que j'ai expérimenté quelque peu par ta grâce, dis-moi comment je pourrais la reconnaître toujours et en toutes circonstances !"

Alors cette grande âme, qui demeurait silencieuse, fixa son regard débordant d'éternité vers le ciel. Par sa bénédiction surgit alors de l'espace suprême la Parole suprême, inséparable de Shiva, sans demeure fixe, qui transcende le Tout jusqu'à la parole articulée. C'est elle, Bhairavî, affranchie de tout support, dont la forme propre n'est pas localisée. Elle est "la sauvage" (Atavîla), incarnation de l'Espace toujours présent, être suprême, beauté de la fusion de la lumière de cette conscience incomparable, parce qu'elle octroie (-la) à ce moment même, éternellement et sans dualité, la liberté sauvage (atavîm) par-delà les (trois) lumières (du sujet, de la pensée et de l'objet), libre de tous les voiles."

Cette apparition pointe le doigt vers le livre que tient le maître. Ce livre, comme tous les manuscrits indiens, est fait de feuilles enserrées entre deux planchettes qui font office de couverture, le tout étant lié par une ficelle. La déesse explique que les deux plachettes sont les deux souffles, inspire et expire, et tous les couples de contraire. Il faut trancher le lien qui les lie, afin de révéler la grande vacuité absolue qui se trouve entre eux...

La suite au prochain numéro. Le texte ici traduit est publié, en partie, par Alexis Sanderson dans un aticle récent paru dans "Mélanges tantriques à la mémoir d'Hélène Brunner".

jeudi 27 septembre 2007

Lilian Silburn, un maître caché

Lilian Silburn, décédée en 1993, fut une pionnière dans l'étude et la traduction des textes du shivaïsme du Cachemire. C'est notamment grâce à ses traductions que moi-même et beaucoup d'autres avons découvert le Vijnâna Bhairava Tantra.

Certains érudits ont critiqué sa méthode et son manque de rigueur. Cependant, elle vivait de l'intérieur ce dont elle parlait. Ses œuvres, à la fois traductions et explorations de l'expérience mystique, sont à cet égard uniques et précieuses.

A côté du shivaïsme du Cachemire, elle avait rencontré dans les années cinquante un maître hindou lui aussi assez original, puisqu'il appartenait à la fois à une lignée soufie, et à la tradition si particulière des "sant", parmi lesquels on trouve le célèbre tisserand poète, Kabîr.

L'enseignement de ce maître, Radha Mohan Saksena, était axé sur une transmission silencieuse d'énergie, de cœur à cœur. Concrètement, le disciple s'assoit face au maître et reçoit à travers lui un courant d'amour et de félicité. C'est alors le début d'un cheminement intérieur d'autant plus intense et riche en surprises que tout se passe dans le plus profond silence.


Radha Mohan "Adhauliya" Saksena


L'oncle de Radha Mohan, Ramchandra, fut le premier Hindou de la lignée soufie. Il était fort charismatique au vu du grand nombre de disciples qu'il eut. Il composa une œuvre assez importante, en hindi et en urdu. Il désigna plusieurs disciples pour perpétuer le Courant. L'un d'eux fut le fondateur de la "Ramchandra Mission", dont l'histoire est étudiée sur ce blog. Cette branche est devenue assez mondaine, voire s'est transformée en une sorte de multinationale, très éloignée dans l'esprit de la discrétion et de la simplicité chères aux maîtres de Lilian Silburn.

D'autres branches existent encore dans le Nord de l'Inde, dont quelques une ont leur site internet. Certaines ont franchement "hindouisé" leur vocabulaire, d'autres sont restées plus proches des formulations soufies. Mais tout cela reste assez semblable, car cette tradition ésotérique de l'islam, à savoir la naqshbandiyya, a toujours mis l'accent sur "la science des centres subtils", équivalente à la science tantrique des cakra-s.

Quoi qu'il en soit, Lilian Silburn finît par être, elle aussi, autorisée à transmettre ce Courant. Un cercle de disciples et d'amis se forma autour d'elle dans sa demeure à l'ouest de Paris. Elle guidait ainsi dans le plus grand anonymat. On pourra lire quelques témoignages de disciples à la fin du volume "Le maître spirituel", coll. Hermès, vol. 3, Les deux océans (série par ailleurs d'une grande richesse).

Aujourd'hui, ce Courant ne s'est pas interrompu. Il se perpétue à travers des êtres parfaitement inconnus des milieux "spirituels", mais bien vivants !

dimanche 23 septembre 2007

La Parole est pour moi glorieuse

En l’éternellement pur, où y aurait-il place pour l’altération ? Pour Lui, il n’y a ni lien ni délivrance. Je suis ce Śiva. Je suis Un et fait de toutes choses à la fois. Je suis évident et toujours manifesté. 220


Je suis manifeste en cet instant même, allant sans cesse m’épanouissant. Je ne tend vers nulle contraction, car je suis souverainement libre. Tout ce que l’on voit en ce moment même apparaît à partir de l’apparence du corps. Tout cela brille en moi. 221

Celui qui perçoit tout, qui tisse le Tout, qui est l’Auteur de tout par lui-même, est sans agir. Voyant et écoutant, il s’égare. Je salue ce Sage, Śiva. 222

La douce déesse Parole, libérée de la souillure, baignée dans les eaux purificatrices du sage Pāṇini, affranchie de la confusion (entre le Soi et le non-soi), établie en notre propre Soi, offre un triomphe à l’être fortuné que je suis, commandée par le maître Lakṣamaṇa, qui est Śiva ! 223
[Le « maître Lakṣmaṇa » est le Svāmi Lakṣman Joo de Śrīnagara.]

La déesse Parole, Puissance qui anime les catégories pures, s’ébranle. Elle est la Parole universelle, infinie et unique, que l’on nomme « Śiva », « Brahmā », etc. 224
[Les « catégories pures » sont les cinq catégories (tattvāni) qui se trouvent au-dessus de Māyā, dans la hiérarchie des trente-six catégories de la théologie śivaïte commune.]

Que n’ai-je entendu ? Que n’ai-je pas fait ? Que n’ai-je pas vu ? Quelles satisfactions n’ai-je pas obtenues (au cours de mes innombrables existences passées) ? (Mais) à présent, je ne prête plus attention au corps. Je suis établi dans le Royaume inné, comblé, parfait, d’une seule et même saveur. 225
Râmeshvar Jhâ, La liberté de la conscience