dimanche 10 février 2008

Qu'est-ce que le Dzogchen ?





Le Dzogchen est aujourd'hui l'un des systèmes de méditation les plus pratiqué du bouddhisme tibétain. Son nom même désigne le fait que tout est déjà parfait.

Pour comprendre ce que cela veut dire, il faut rappeler qu'à l'époque de son émergence, vers le VIIIè siècle, le bouddhisme avait évolué en intégrant de nouvelles théories sur ce que signifie "atteindre le parfait éveil d'un Boudha". Avec le "Grand véhicule" (mahâyâna), en effet, il ne s'agit plus simplement de se libérer soi-même, mais surtout de libérer les autres. Pour ce faire, il faut rester dans le samsâra, grâce au "plein et parfait éveil" (samyaksambodhi).

Ce parfait éveil consiste à acquérir les trois corps d'un Bouddha : le Corps absolu (dharmakâya), le Corps de parfaite mâturité (sambhogakâya) et le Corps d'émanation (nirmânakâya). Au début (c'est-à-dire à l'époque de Nâgârjuna, vers le IIè siècle), ces trois Corps sont simplement trois aspects de la compréhension de la réalité, au delà de tout concept : le Corps absolu est cette compréhension même; le Corps de jouissance parfaite est le partage de cette compréhension avec autrui; le Corps d'émanation, enfin, sont les actions vertueuses que l'on accomplit spontanément sur la base de cette compréhension.

Mais, peu à peu, apparaît une nouvelle conception de ces trois Corps, surtout des deux derniers, que l'on appelle aussi "les Corps formels". Le Corps de jouissance parfaite est alors compris comme un corps de lumière, en multicolore, transformable à volonté, indestructible et immortel. Selon cette nouvelle tendance, les Corps d'émanation seraient des sortes de corps magiques, manifestés dans notre monde ordinaire pour guider les êtres ordinaires vers le plein Eveil. Il y a dès lors deux sortes d'apparences : 1) les notres, celles du samsâra impur ; 2) et les apparences pures, transparentes et immatérielles qui forment les mondes des êtres spirituellement avancés et des Bouddhas. Il y a donc une vraie dualité entre notre monde matériel et le monde de lumière des Bouddhas. Certains textes affirment même que nous avons tous en nous ce Corps de lumière, mais qu'il est caché par notre chaire, comme une lampe enfermée dans un vase.

Les tantras bouddhistes proposent justement des méthodes pour transformer le corps matériel en corps de lumière immatérielle et incorruptible, ou bien pour qu'il soit libéré au moment de la mort, permettant ainsi à son propritétaire de rejoindre les mondes de lumière.

Deux conceptions de l'Eveil coexistent donc dans le Grand Véhicule du bouddhisme :

1) La conception selon laquelle les Corps formels, les pouvoirs lumineux, l'ubiquité, l'immortalité, les terres de lumières, etc., décrits dans les textes sont des symboles qui s'efforcent d'exprimer ce que l'on voit lorsque l'on voit les choses telles qu'elles sont, sans passer par la pensée.

2) La conception selon laquelle les Corps formels sont à prendre au pied de la lettre. Ce ne sont pas juste des symboles ou des métaphores. Il existe vraiment des mondes de lumières parallèles au notre, et nous avons tous un corps de lumière caché en nous, une sorte d'embryon de Bouddha. Ces idées ressemblent en grande partie aux croyances des gnostiques.

Au VIII au Tibet, le tantrisme et les yogas visant à révéler ce Corps de lumière sont très en vogue.

Mais un autre mouvement s'esquisse parallèlement, une tendance au retour vers l'idée que les miracles décrits dans les sûtras et les tantras sont des symboles. Surtout, des adeptes affirment que TOUT est parfait : les apparences pures comme les apparences impures. C'est la Grande Perfection (dzogchen).

A partir du IXè siècle, certains maîtres du Dzogchen tentent de réintroduire l'idée que les visions lumineuses, les terres de lumières et les corps de lumière sont fondamentaux pour savoir si, oui ou non, on a atteint l'Eveil parfait.

Le Dzogchen se divise alors en deux camps : d'un côté, les conservateurs, défenseurs du dzogchen primitif "sans formes", sans visions ni corps de lumière; de l'autre, les adeptes du Dzogchen "nouveau", présenté dans les "quintessences" (nyingthig). Ce sont ces derniers qui vont rapidement l'emporter. Aujourd'hui, tous les maîtres du Dzogchen, ou presque, sont des adeptes des pratiques visant à transformer le corps matériel en corps de lumière. A leur yeux, la pratique du Dzogchen ancien, qui consiste à cultiver l'intuition que tout est parfait au-delà de tout "pourquoi ? " et de tout "comment ?", n'est qu'un exercice préliminaire appelé trekcheu ("larguer les amarres"); la pratique principale, visant à transformer le corps en lumière est appelée theuguel ("aller encore plus haut").

Mais a t-on des traces, des témoignages du passage du Dzogchen ancien au Dzogchen nouveau ? Il semblerait que oui. Considérez par exemple, ce passage d'une oeuvre du célèbre Nubchen, défenseur du Dzogchen primitif. Il expose sa conception du Dzogchen contre des adversaires qui ne sont pas nommés, mais qui sont assurément partisans de la sorte de Dzogchen qui va s'imposer par la suite (Mun pa'i go cha, 50, 511.4-513) :


"En ce qui concerne le système du yoga ultime [i.e. le Dzogchen,] selon lequel tout est parfait en tant que Grand Soi : les façons de voir dualistes du genre ''visions pures VS visions impures'' sont naturellement pures et parfaites".
"Pures et parfaites" désigne le terme tibétain pour Bouddha. Tout est donc l'état de Bouddha. Ce qui revient à dire que l'Eveil, ce n'est pas remplacer les "visions impures" par des "visions pures", mais plutôt voir, au-delà de toute raison, que pur et impur sont des mirages, aussi inexistants que des arcs-en-ciel."Bouddha" n'est qu'un nom appliqué par convention à cette vision simple et indicible :
"Il suffit de ne penser à rien, de ne s'accrocher à rien, de ne rien analyser. Dans le tantra du Grand Espace de Vajrasattva, il est dit :


Libéré par la liberté du non-agir,

La Connaissance absolue surgit d'elle-même, sans effort;

Elle indique la voie de la liberté sans libération."


Le Grand Espace de Vajrasattva est l'un des textes les plus prestigieux du Dzogchen ancien. La "connaissance absolue" (jnâna) est la connaissance parfaite propre à un Bouddha. Nubchen poursuit :


"Ainsi, il suffit de ne pratiquer aucune évaluation, de ne pas chercher la réussite (don, skt. artha), pour être dit ''libéré''. C'est seulement une façon de parler, car les phénomènes qui nous ''entravent'' n'ont jamais existé".


Autrement dit, ''le corps matériel impur'' n'est qu'un mot sans contrepartie réelle. Pourquoi alors entreprendre de s'en débarrasser ?


"Donc", pourquit-il, "les seuls liens sont des liens mentaux".


Une objection vient à l'esprit :

"Oui certes, mais enfin, comment fait-on ?"

Nubchen formule cette objection, et y répond ainsi :


"Quand on sait qu'il n'y a rien à savoir, alors on utilise des expressions du genre ''réaliser qu'il n'y a rien à réaliser", "voir qu'il n'y a rien à voir". Conventionnellement, on appelle ça "voir" et "réaliser". C'est un "entraînement" sans entraînement !"


Nubchen ajoute que l'Eveil n'est ainsi qu'une conviction inébranlable qu'il n'y a rien à faire, à changer. C'est cela "la Connaissance absolue" (yéshé, skt. jnâna) qui fait d'un être ordinaire un Bouddha. Nubchen précise en quoi cette Connaissance est pure et parfaite : en bref, c'est parce qu'elle ne se focalise sur rien. Ce regard panoramique, ouvert comme le ciel : voilà l'état de Bouddha.

Puis il fait la remarque suivante, qui semble s'adresser aux partisans du Dzogchen nouveau :


"Un certain ''Grand Etre'', de nos jours, est réputé être le ''pilier du Dharma'' [i.e. du bouddhisme]. Mais il pense que dans le Dzogchen il y a quelque chose à percevoir. Dans ses instructions secrètes sur la ''méthode pour percevoir'', il appelle ça la "libération". Mais manifestement, il n'a pas acquis la conviction concernant la réalité [pure et parfaite]. "



Dans ce passage, le terme "percevoir" (skt. pratyaksa) est justement celui qui est utilisé dans les textes du Dzogchen "nouveau" pour décrire le mode de perception des visions pures et lumineuses. Cela ne laisse guère de doute possible : Nubchen défend sa conception du Dzogchen contre des innovations qu'il juge stupides.


Qu'en est-il aujourd'hui ?

4 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour cet article extrêmement intéressant et éclairant.
    Cette tendance à la réification des aspects de l'éveil est parfois très visible chez certains enseignants ou pratiquants "Dzogchen" ou tantriques actuellement, parfois beaucoup plus subtile, en tous cas c'est un danger toujours présent.
    ... du moins au plan relatif bien sûr!

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    1. Xavier,
      Bonjour,

      C'est sans doute que vous ne saisissez pas très bien la réalité de forme qui est en fait beaucoup plus subtile qu'il n'y paraît que se soit sur le plan relatif autant qu'absolu.

      Cordialement.

      Thierry Poget

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  2. Essai partie 3:

    Si l'on part depuis la source qu'est la base incréé et non née (Dharmakaya), quel est la juste compréhension de notre monde et sa vrai nature?

    Es-ce qu'à l'instant où émerge de la base cette puissance dynamique lumineuse sagesse auto connaissant, émergerais les consciences, celles se connaissant comme issue de la base déploierait l'énergie sous sa forme éveillée la plus subtile, provoque t'elle le déploiement du Sambhogakaya ?

    Es-ce que le déploiement, ne s'arrêtant pas, celui-ci ne se transmuerait pas en énergies éveillée gelée (apparente matière) pour former le champ pur Nirmanakaya ?

    Es-ce possible qu'à partir de ce champ pur se déploie l'écho des consciences qui ne se reconnaissent pas comme partie du rayonnement de la base mais ce "vivent" comme indépendantes et extérieure à celle-ci, ce qui créerait peut-être alors, les conditions et le conditionnement nécessaire, qui provoquerait la division sous forme d'ignorance, soit le déploiement (les cinq skandhas), du Samsara ?

    Ces conditions ne permettraient-elles pas également aux consciences éveillées de se déployer au niveau de champs purs Nirmanakaya ?

    Ainsi le Nirmanakaya, un des trois corps de Bouddha, ne serait-il pas l'interface à partir de laquelle pourrait s'exprimer autant l'apparition d'êtres éveillés, les champs purs de ces plans éveillés autant au niveau Nirmanakaya que Sambhogakaya, de même, que le déploiement du Samsara et des consciences plongées dans la souffrance due à l'ignorance ?

    Dit sous la forme affirmative:

    Au moment même du rayonnement issue de la base non née et incréé, les consciences apparaîtraient en deux catégories, l'une se reconnaissant issu de celui-ci déterminerait le Sambhogakaya, l'autre, le Nirmanakaya serait l'évolution logique et suivante où l'énergie lumière, tout en restant éveillée ce solidifierait apparemment sous forme de matière.

    Ce serait à partir de ce champ d'énergie lumière (apparement solidifié en matière), que ce déploierait le groupe des consciences se voyant séparées de la base incréé et non née, ce qui par cascades créerait de causes en effets (les cinq skandhas), le déploiement des karmas et du Samsara, alors que le Nirmanakaya corps de bouddha, serait l'aspect avec formes de l'état éveillé de la conscience.

    Dans tous les cas, il semblerait que ce développement du déploiement des mondes avec formes, n'empêcherait ni n'écarterait l'apparition et le déploiement de l'ensemble des mondes des plans et des domaines de mondes sans forme.

    Ce que je ne saurai dire :

    Es-ce que le rayonnement primordial qu'est la puissance dynamique lumineuse sagesse auto connaissant, est-elle issu de la base non née et incrée (Dharmakaya), où es-ce le Dharmakaya lui-même qui s'est transformé en rayonnement?

    Dans le premier cas, es-ce que le rayonnement peut réintégrer la base?

    Dans le second, es-ce possible, voir nécessaire, si la base elle-même, s'est transmuée en rayonnement?

    Concrètement à partir de notre présent état l'on peut se connecter à cela par les pratiques de la méditation de la Vue (Rigpa), ce qui nous permet de réaliser que nous ne sommes pas des consciences individuées existantes sous le mode JE, mais des consciences éveillées issues du déploiement de la puissance dynamique lumineuse sagesse auto existent, issue jusqu'à preuve du contraire, de la base (Dharmakaya), ainsi aussi, par les visions que l'on peut obtenir dans la pratique de Thögyal, qui par nos yeux, nous permet de voir se déployer dans l'espace devant nous, la puissance dynamique lumineuse sagesse auto connaissant insérée dans notre coeur "physique".

    Il semble que se soit ici sur notre planète, deux des différents modes d'accès, nous permettant de transmuer la lumière gelée qu'est la matière, en immatérielle lumière (corps d'atomes, corps d'arc-en-ciel et corps de grand Transfert).

    Clarens, entre le 06 au matin et le 08 décembre 2016 le matin.

    Thierry Poget

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  3. Bonjour,

    Je viens de lire cet intéressant article, sans doute pour la seconde fois, puisqu'arrivé sur les commentaires, je viens de m'apercevoir que j'en avais déjà laissé un entre le 06 et le 08 décembre 2016.

    Il se trouve que depuis ce commentaire j'ai eu une révélation d'éveil et j'ai écris un manuscrit que j'ai nommé "Le livre de l'Eveil" et dont je souhaiterais le voir éditer et distribué pour le bien de tous. C'est une approche novatrice par rapport à tous les enseignements que j'ai reçu et qui permet d'accéder à l'Eveil rapidement en modifiant en profondeur notre regard sur notre environnement, sans passer donc par la pratique de la méditation dite sans objet, où l'on focalise notre attention sur les pensées et les émotions que l'on tente de laisser se dissoudre d'elles-mêmes dans l'espace, sans rien surajouter.

    Pour me joindre mon adresse mail est: thipo@bluewin.ch

    Bien à vous et je vous souhaite un excellent week-end.

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