samedi 21 mars 2009

Le Grand Arcane des Parfaits - XII




Le Grand Arcane des Parfaits

Chapitre cinquième : Grandeur de la Puissance

Le meilleur des yogas,
Le yoga authentique,
est découvert quand
le yoga de l'agir,
le yoga du connaître
et le yoga du désir
atteignent leur plénitude. 1

Notre ultime yoga
est ce yoga
dans lequel rien n'est fait
ni connu,
ni désiré. 2

Je me délecte de la parfaite sève
qui s'écoule de l'étreinte du "je" et du "ceci".
Je suis alors le Royaume immuable,
immortel, puissant,
que l'on n'obtient pas sans peines. 3

Là où il n'y a plus de recherche
de la vertu, du plaisir, du profit ou de la délivrance,
là se trouve pour nous
le but de l'homme :
lui, le grand Seigneur,
le suprême Shiva. 4

Là ou l'étreinte
des Parfaits et des Yoginîs
touche à la parfaite plénitude,
puisse le puissant Seigneur,
le plus grand,
nous rendre victorieux. 5

Ce que les sciences
des brahmanes,
des adeptes de Vishnou
et des autres
sont incapables de décrire,
ce secret qui les réduit au silence,
est pour nous intégralement présent
dans le Puissant. 6

Toutes les fins
tous les moyens
et tous ceux qui aspirent à les atteindre,
tous sont autant de vagues
dans l'océan du Puissant,
en qui tout existe. 7

Les méthodes
de l'activité,
de la connaissance
et du pur élan
ne s'animent qu'en s'appuyant
sur le Puissant, Vie de toutes choses. 8

Le fruit de la cause.
La cause du fruit.
Ce couple existe en un seul lieu,
où il puise sa force.
Cette efficience,
comme toute force,
est enracinée dans le Puissant. 9

Ce qui n'existe pas
naît de ce qui existe.
L'univers, qui existe,
naît de ce qui n'existe pas.
La force de tout cela
est enracinée dans le Puissant. 10

["Ce qui n'existe pas
naît de ce qui existe.
L'univers, qui existe,
naît de ce qui n'existe pas" : De Shiva naît la Mâyâ, de la Mâyâ naissent les mondes.]

Amritavâgbhava, Le Grand Arcane des Parfaits (Shrîsiddhamahârahasyam), Jammû 1983.

samedi 7 mars 2009

Tantra in India

On me demande parfois si les pratiques (sexuelles !) décrites par le shivaïsme du Cachemire et les tantras en général, sont encore pratiquées en Inde. Je crois avoir déjà répondu. Mais bon, les gens sont plus curieux des ces sujets que de la vraie spiritualité. Alors je répond encore une fois, dans l'espoir d'aider peut-être quelques âmes égarées. Car en effet, si vous croyez qu'aller en Inde vous rapprochera de ces traditions, vous vous bercez d'illusions. Je ne dis pas que c'est impossible, mais disons que cela demande plusieurs compétences, beaucoup de temps et de chance. D'abord, il faut connaître au moins une langue locale, comme l'hindi. Autrement, c'est l'arnaque assurée, en particulier à Bénares. Puis il faut être un peu familier de ces traditions, avec des rudiments de sanskrit.
Le tantrisme, dans l'Inde d'aujourd'hui, ce sont d'abord des sortes de marabouts (plus sophistiqués certes) qui s'appuient sur les traditions les plus populaires pour faire fonctionner leur business du "retour d'affection", etc. Les rationalistes, de leur côté, cherchent à les démasquer, ce qui est difficile vu les faiblesses humaines, faiblesses que ces rationalistes ne sont d'ailleurs pas en mesure de combler. Tenez, en voici un qui a mis au défi un maître tantrique de le tuer sur place par ses formules magiques (mantra). Ce maître, du Nord de l'Inde, invoque Bagalâmukhî et Tchandî, deux déesses très populaires. Vu que cela ne marche pas, il commence un hôma (offrande dans le feu), avec disciples et moultes ustensiles, mais sans résultats. A la fin, le rationaliste (avec la barbe) s'esclaffe : "Vous voyez, les tantras et les mantras n'ont aucun pouvoir !" Evidement, les esprits sagaces diront que ce "rationaliste" était en réalité protégé par des mantras encore plus puissants !
Pour ma part, j'inclinerais plutôt à penser que ce "maître tantrique" n'est qu'un acteur. Les mantras qu'il récite ne sont pas adaptés : ce sont des louanges à Shiva, à la Déesse, ou (à la fin) un mantra pour paralyser. Mais rien pour tuer. De qui se moque t-on...
Evidement, le tantrisme ne se réduit pas à ces divertissements. Mais il faut tout de même savoir à quoi s'attendre, afin d'éviter les déceptions et autres malentendus sources de rancunes tenaces.





dimanche 1 mars 2009

Le Grand Arcane des Parfaits - XI




Chapitre quatrième : Louange du maître divin



Louange au seigneur de la colère[1],

Incarnation de la grâce.

Par sa bonté, j’obtins le secret[2],

Suprême purification. – 1

Quand j’eus atteint ma seizième année[3],

Ce sage dont la compassion est pareille à un océan

M’apparut soudain, car son cœur avait été agréé

Par la lecture d’un hymne que j’avais composé.

M’octroyant alors la grâce,

Il m’instruisit du grand cœur de la pratique spirituelle,

Le yoga intégral[4]. 2-3

Je m’abandonne

A la divine enfant[5], à l’élue,

Pareille au feu de la fin des temps qui consume les péchés,

Semblable à l’aube d’un million de soleils,

Adorée par les trois déesses du mantra. 4

Je m’abandonne en la divinité,

Semblance de millions d’éclairs,

Sise au centre d’un lotus blanc grand ouvert,

Tenant le livre et le rosaire

Faisant les gestes du don et de l’absence de peur[6]. 5

Je m’abandonne en la divinité élue[7] (de mon cœur),

L’écarlate,

La ravissante qui réalise tous les désirs,

Dense nuée de compassion,

Origine de toute les pensées. 6


Amtavāgbhava, Le Grand Arcane des Parfaits (Śrīsiddhamahārahasyam), Jammū, 2003.


[1] « Le seigneur de la colère » est une épithète du sage mythique Durvāsa, réputé pour son caractère irascible et sa tendance à lancer des malédictions. Il est aussi un personnage central dans la transmission de la gnose śivaïte.

[2] Le « secret », selon Balajinnāth Paṇḍit, disciple de l’auteur, c’est le « sceau de Śiva » (śāṃbhavīmudrā), attitude qui consiste à contempler de Soi les yeux grands ouverts.

[3] Le chiffre seize, celui de la pleine lune, symbolise la plénitude.

[4] Le « yoga de la plénitude » ou « intégral » est le cœur de toute discipline spirituelle. C’est la contemplation du Soi mentionnée précédemment. Notons que cette expression de yoga « grand » (mahā) ou « intégral » (pūra) était employée à cette même époque par Gopināth Kavirāj et Aurobindo.

[5] La « divine enfant » est la déesse Bālā dans la tradition de la Śrīvidyā. Son essence est le mantra en quinze syllabes, fait de trois parties également divines : Vāgbhava, Kāmarāja et Śaktibīja. Dans le maṇḍala de la déesse, elles correspondent aux trois angles du triangle central.

[6] Cette déesse, « blanche comme la lune et transparente comme le cristal », n’est autre que Parā, la Suprême, déesse centrale professée par Abhinavagupta dans son commentaire au Parātrīśikātantra, et transmise dans le Sud de l’Inde, par exemple dans la Parātrīśikālaghuvtti et la tradition de la Śrīvidyā. Le « livre », ce sont Les Stances pour la reconnaissance de soi d’Utpaladeva, ou encore La Quintessence de la reconnaissance de Kemarāja.

[7] L’élue (iṣṭam) : c’est ainsi que l’on désigne traditionnellement la forme divine sur laquelle on médite, élue par l’inclination spéciale que l’on éprouve à son endroit.