mercredi 6 octobre 2010

Au lieu de nulle chose




Dans le chapitre intitulé"L'homme miroir de l'univers" de son Livre du sage, Charles de Bovelles propose une vision à la fois traditionnelle et audacieuse des rapports entre l'homme et le monde.

D'abord, "L'homme n'est pas une chose parmi les autres". Il est, en effet, tel un miroir placé au centre de toutes choses, situé "au lieu de nulle chose", centre ou rien n'est, et où tout peut apparaître.

Grâce à ce miroir central, l'auteur peut expliquer ainsi le rapport de l'être et de l'apparence :

"La vraie place de l'homme est [...] au lieu de nulle chose, où rien n'est en acte, en ce non lieu où cependant toute apparence doit se produire. Toutes les réalités sont en effet au pourtour du monde et elles peuvent apparaître en son centre. Où elles sont toutes, elles n'apparaissent pas. Où elles peuvent apparaître et apparaissent, elles ne sont pas" (trad. P. Magnard).

De même qu'un miroir inverse tout, ce miroir qu'est l'homme permet à toute chose de passer de la puissance à l'acte, de l'être à l'apparaître. Parce qu'ici, au centre, je ne suis rien, tout peut s'y manifester comme en un miroir limpide. Eckhart dit aussi que l'œil n'ayant aucune couleur en propre, il peut les accueillir toutes.

Ce miroir, n'est-ce pas la conscience, ou plutôt l'espace de conscience dont j'ai l'intuition, la vision directe, lorsque je retourne la flèche de mon attention de 180 degrés ?Grâce à la conscience, en elle, l'être en puissance s'actualise, se manifeste, d'abord comme être, puis comme vie, puis comme sensation, puis comme pensée.

La raison d'être de l'homme, du sujet, est de donner un lieu où l'univers puisse se manifester, vivre et grandir, une "clairière" en laquelle l'être peut se récapituler. L'homme est ce lieu vide ou tout s'écoule et passe progressivement dans une perfection éternelle, "banquet sans fin" du sage.

Avant Pascal, Bovelles affirme que l'homme, petit par son être, est illimité par sa conscience :

"Si le monde embrasse tout, il ne sait ni ne connaît rien. Si l'homme est infime au point de n'être rien, il sait et connaît tout" (p. 88, trad. P. Magnard).

Si les points de vue objectifs et subjectifs semblent opposés au point d'être inconciliables, c'est parce que l'homme est le miroir en lequel l'un s'inverse en l'autre. Il est "comme un universel entremetteur", un nœud, une liaison entre le grand et le petit monde, le macro et le microcosme.

On rencontre des idées remarquablement analogues dans les spéculations d'Abhinavagupta sur la conscience-miroir en laquelle tout s'inverse, le sujet-cause de la matière devenant un objet-effet de cette matière, et la conscience, cause première, se manifestant en dernier, de même que s'inversent, dans l'orbe d'un miroir, le haut et le bas. Enfin, dans la Reconnaissance, la conscience est cet Acte par lequel l'être devient manifestation, existence, tout comme chez Bovelles, l'homme est catalyseur de l'être en apparences.

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