Les mystiques de tous les pays et de tous les temps évoquent la perte de soi dans la divinité. C'est le sentiment océanique dont parla Romain Rolland à Sigmund Freud.
Mais la perte de l'ego débouche t-elle toujours sur la félicité ? De même que l'on peut se demander si les messieurs hyperamnésiques de ces documentaires sont heureux, on peut s'interroger sur la valeur de la perte de l'ego.
Ainsi, les rares individus atteints du syndrome de Cotard affirment qu'ils n'existent plus, qu'ils sont morts, ou bien qu'ils n'ont pas de corps. D'autres n'utilisent plus les mots "je" et "moi", un peu comme dans certains milieux non dualistes. Ils vivent dans un monde purement objectif : pour eux (?), personne ne voit, personne n'entend, etc. Il n'y a plus que des pensées sans penseur, des actions sans agent, des phénomènes dépourvus de centre de référence.
Deux psychiatres citent le cas d'une patiente pour qui l'ego était devenu totalement inutile :
"Aux stades les plus avancés [du syndrome] le sujet peut aller jusqu'à nier son existence même, en abandonnant tout usage du pronom personnel "je". Une patiente se désignait elle-même comme "Madame Zéro" afin de souligner sa non existence. Une autre dit, en faisant référence à elle-même : "Cela ne sert à rien. Prenez-le et jetez-"le" à la poubelle".
Cité dans : Enoch et Ball, Uncommon Psychiatric Syndromes, Hodder, London, 1991, p. 167
Un article intéressant de psychiatrie sur les pathologie du corps et du "soi".
Très intéressant, comme l'est l'ensemble de votre blog.
RépondreSupprimerJe me demande si la "distance" d'avec "l'éveil" ne provient pas du fait que dans un cas la chose est subie et dans l'autre voulue, désirée, mise en œuvre ?
Konrad.
Ton questionnement rejoint le mien. Dans la tradition chrétienne, les mystiques parlent de mourir à soi tout en évoquant une communion des personnes. Est-ce une contradiction ? Ou bien ne faut-il pas voir là un paradoxe à incarner ? Être prêt à se dépouiller de soi-même n'a-t-il pas du sens qu'en faveur des autres personnes ?
RépondreSupprimerPeut-être faut-il établir deux distinctions.
RépondreSupprimer1) Présent et intemporalité.
Le présent à une durée floue plus ou moins brève, ce n'est pas l'intemporalité, les hyper-amnésiques en vivant dans le présent vivent toujours dans la mémoire, mais celle-ci
est restreinte au minimum.
2) Blocage et libération.
Les personnes atteintes du syndromes de Cotard me semblent sous l'emprise d'énormes blocages,
dans la dépression le sentiment du je est dévalorisé, ici il est tout simplement nié, il n'est pas libéré, il subsiste fortement dans leur inconscient.
C'est pourquoi le sentiment du Je revient une fois le syndrome passé.
Merci pour vos commentaires éclairants.
RépondreSupprimerKonrad : il y a sans doute de cela. D'un autre côté, l'Eveil est souvent subi et la grâce peut être mal vécue. Les éveils sont souvent proches des cas pathologiques. A ce sujet, Michel Hulin a rassemblé des témoignages dans "La mystique sauvage", PUF.
Serge : oui, tout à fait d'accord (même si l'on pourrait écrire des bibliothèques en s'évertuant à élucider ce mystère !).
Space : exactement. Mais cela doit nous inviter à reconsidérer la valeur de l'instant présent et celle de la non pensée. En soi, ce ne sont que des faits, loin de tout éveil à une vie intérieure. On confond la cause et l'effet. La grâce conduit à vivre davantage dans l'instant et le moi prend une autre place, non l'inverse.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe ne suis pas très au fait des questions "d'éveil", c'est pourquoi le livre de Michel Hulin me sera utile.
Merci.