vendredi 28 janvier 2011

Le monde est-il un mythe ?

Autre extrait du poème sanskrit de l'élève de Ramana, Lakhsaman Sharma, avec à nouveau la stance inaugurale. Remarquez que le "Cœur" est certes mentionné, mais la définition donnée reste assez abstraite ("la conscience"). C'est que l'auteur semble adopter une perspective très "védântine". Chaque disciple ou témoin de Ramana a ainsi proposé une interprétation colorée par sa propre philosophie. Notons aussi que la quasi totalité des livres relatant l'enseignement de Ramana sont traduits du tamoul oral, car Ramana s'est toujours exprimé dans cette langue difficile. Aujourd'hui encore, même les livres en tamoul vendus à l'ashram sont en fait des traductions de l'anglais ! La seule source tamoule de l'enseignement de Ramana est l'œuvre de Muruganar, cet incroyable poète. Il aurait composé près de 20 000 vers sur Ramana et son expérience auprès de lui. Parmi les textes traduits, la référence, avalisée par Ramana, est le Guru Vacaka Kovai, en 1254 versets. Mais voici l'extrait :

L'Upaniṣad de la science ultime selon Ramana (Śrīramanaparavidyopaniṣad)

de Lakṣmaṇa Śarma


Seigneur présent en son essence

A l'intérieur de toutes les créatures

Comme "je" (bien qu'il) ne soit pas objet de science,

Maître des maîtres, dieu primordial incréé,

Je te salue, sublime Ramana, océan de compassion.


Je salue Dakṣiṇāmūrti[1]

Dont le corps imbibe, comme l'espace,

Ses trois formes manifestes :

Le Seigneur, le Soi et le maître. 1


Nous exposons ici l'habitation naturelle[2] en soi-même,

Synonyme de "connaissance",

Enseignée dans les principales Upaniṣads comme la Māṇḍūkya[3]

Avec la méthode de réalisation adéquate

Et révélée parfaitement par l'expérience innée[4]. 2


(...)

Le réel est dans le Cœur, spontanément manifesté.

Il est l'unique réalité innée, l'essence même de la connaissance.

Reposer dans le Cœur l'esprit en paix,

C'est s'éveiller à lui, et c'est aussi la délivrance. 7


Cette manifestation dans le Cœur est l'essence du Soi,

Et aussi la conscience limpide, une à jamais.

Elle est la réalité - (comme) le fondement -

Du monde entier, nommée "l'Absolu".

(Le monde et sa réalité) sont à la fois différents et identiques. 8


Mais cet univers est projeté mentalement par ignorance

Sur ce fondement immaculé - la réalité -, qui est notre essence innée.

Il semble voiler (la réalité) et paraît réel

Aussi longtemps que dure l'ignorance. 9


De même que le serpent voile la corde

A la faveur de la pénombre,

Le monde voile le Soi

Et paraît réel aussi longtemps que dure l'ignorance. 10


Par ignorance, le Soi (se croit) limité par le corps.

Il est (alors) prisonnier du devenir - "je suis heureux", "je suis malheureux".

Il semble ignorant, séparé du Soi suprême,

Mais il est le Soi lui-même, et rien d'autre. 11


Cette transmigration du Soi est donc une pure affabulation.

Mais on ne le comprend que dans l'état non mental.

"Car il n'y a pas d'ignorance en dehors de l'esprit.

L'ignorance, c'est l'esprit, forme (même) des liens du devenir"[5]. 12



[1] Forme de Śiva qui enseigne la non dualité par le silence. Jeune, ses auditeurs sont des sages âgés. Abhinavagupta et Ramana étaient tous les deux comparés à Dakṣiṇāmūrti.

[2] Sahaja : terme essentiel. "Naturel", donc facile, inné. Ramana disait que la réalisation du Soi est la chose la plus facile.

[3] Texte magnifique et célèbre à juste titre, non dualité inspirée par le bouddhisme du Mahāyāna autant que par les Upaniṣads.

[4] Nija : fait écho au sahaja de la première ligne. Nous sommes déjà le Soi (ātmā). La seule pratique nécessaire et efficace est de s'y plonger (vicāra). Selon l'A., l'état naturel est révélé par lui-même à travers les Upaniṣads et Ramana. On peut aussi comprendre "telle qu'elle a été expérimentée par lui, (par Ramana)".

[5] Citation du Vivekacūḍāmaṇi, traité du XVIe siècle par un certain Śaṅkara Bhāratī, inspiré du Yogavāsiṣṭha.


Écoutez une oeuvre composée par Ramana, "La Science de l'être", récitée dans l'original tamoul. Curieusement, cela sonne parfois comme une récitation coranique par des dévots de quelque confrérie soufie ! :

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