vendredi 25 février 2011

Capable de tout, besoin de rien


Shiva balinais


Chapitre 8 : la liberté souveraine


Nous avons déjà expliqué

Le sens général du principe de liberté.

Mais à présent, nous développons ce principe en particulier,

Ce qui doit être exposé de manière exhaustive. 1


La liberté[1] absolue du Seigneur Śiva

Lui est innée. Elle est sa nature,

Car il n'a besoin de rien de plus[2]

Pour s'adonner au jeu excellent des cinq actes[3]. 2


Parce qu'il joue spontanément,

Selon son désir, sans la moindre entrave,

Il n'a pas besoin d'atomes, ni de karma[4],

Ni de souvenirs[5], ni de rajas[6],

Ni même d'une "ignorance sans commencement"[7]. 3


Le Grand Seigneur à imaginé tout ceci à partir de lui-même,

Par la majesté de sa liberté souveraine.

Seuls les naïfs - et non les autres -

Affirment que la cause du monde est ceci ou cela[8]. 4


En définitive, (cette cause) n'est autre que le Soi,

En forme de manifestation et animé par la prise de conscience (de cette manifestation)[9]

- "je"-, toujours apparent, réel.

Tout le reste n'est qu'imagination[10]. 5


Balajinnātha Paṇḍita, Le Miroir de la liberté (Svātantrya-darpaṇaḥ), Munshiram Manoharlal, Delhi, 1993


[1] "Liberté" traduit svatantratā, svatantratva ou svātantrya, qui désigne littéralement "l'indépendance", le fait d'être à soit même l'instrument de son action. Il ne dépend de rien, pas même de lui-même.

[2] na kimapi param : la liberté est le fait de pouvoir agir sans dépendre de rien. L'expression fait aussi allusion à la thèse de la Pratyabhijñā selon laquelle la liberté absolue de la conscience est la seule explication des phénomènes qui vaille.

[3] Les cinq actes qui définissent l'activité cosmique de Śiva : émanation (des phénomènes), subsistance, résorption, voilement (du Soi) et grâce.

[4] Les conséquences des actes passés (bouddhisme et théisme dualiste).

[5] vāsanā, les "parfums" laissés par les actes antérieurs qui, selon l'idéalisme bouddhique (cittamātra) sont la cause de tout.

[6] L'une des trois modalités de la nature selon le Sāṃkhya. Rajas est cette agitation au sein de la substance originelle qui instaure un déséquilibre, à la faveur duquel surgissent les mondes.

[7] anādi avidyā : position du Vedānta.

[8] Le naïf (bāla, l'enfant) est celui qui croit que le monde a une cause objective qu'il peut pointer du doigt, que cette cause objective (dans la mesure où l'on peut la connaître sur le mode du "cela") soit extérieure (comme la nature ou les atomes) ou bien intérieure (comme les traces inconscientes ou l'ignorance). La liberté de la conscience est absolue précisément parce qu'elle ne dépend d'aucune cause, externe (la réalité "objective") ou interne (l'esprit, les souvenirs, le passé, un état psychologique).

[9] Point essentiel : le Soi n'est pas comme un miroir qui reflète les choses sans s'en trouver affecté, ni comme un espace impassible. Il réagit, sent, éprouve... autant de formes de prise de conscience se ramenant, selon la Pratyabhijñā, à l'émerveillement (camatkāra).

[10] Notons la distinction entre l'imagination du Seigneur, créatrice et réalisatrice, et celle de l'homme ordinaire, imagination vaine, sans réel pouvoir créateur.


Musique en liberté, liberté en musique :


mercredi 23 février 2011

Les limites des philosophies indiennes classiques

Linga dans un restaurant à Ubud, Bali


Après avoir exposé les principaux systèmes philosophiques de l'Inde, l'auteur passe à leur critique, afin de montrer que seule la thèse de la liberté absolue de la conscience donne entière satisfaction :

Chapitre 6 : les défauts de ces autres théories

Ainsi ces trois théories - commencement (absolu), etc. -

Ont été exposées en bref.

Bien qu'elles soient en partie valables,

Aucune ne l'est entièrement. 1


La théorie du commencement (absolu) est irréprochable

Jusqu'à ce qu'elle parle de la création (comme étant)

Séparée du "seigneur des créatures".

(De même), la théorie de la transformation (réelle)

De la nature matérielle en une série de causes et d'effets est parfaitement valable. 2


La théorie selon laquelle (tout) est apparence (illusoire) tombe juste,

Car il est vrai que tous ce qui est conceptuel est sans réalité.

Mais la racine ultime de ces trois (théories)

Est la liberté (de la conscience). 3


Dans la théorie du commencement absolu,

L'existence des atomes n'est pas formellement prouvée.

Le Soi suprême y est privé de liberté.

Quant à la délivrance, elle est comme un état d'inconscience !

De même, la relation entre le tout et les parties[1] n'est pas prouvée (comme il convient).4


Comment une nature matérielle et donc privée de conscience[2]

Pourrait-elle engendrer d'elle-même un monde complexe ?[3]

L'Homme[4] n'est qu'une absence :

De sorte qu'il est impossible que cette théorie de la transformation donne satisfaction[5].5


Si tout est une apparence trompeuse,

Alors d'où vient-elle ?

Et qui trompe-telle, cette tromperie ?

De même, qui est ignorant, et pourquoi ?

Et enfin, pourquoi cette ignorance est-elle inexplicable[6] (selon vous) ? 6


De plus, si l'absolu repose tranquillement, confiné en lui-même,

Pareil à un ciel vide et immobile,

Alors où sont la félicité, la conscience, ou bien même l'existence

De cet absolu pareil à un néant ?[7]7


Et si l'absolu est la seule réalité,

Alors qui est l'être vivant et qui est l'auteur de la Māyā ?

De fait, cette théorie des partisans du Veda

Ne peut combler ceux dont l'intelligence est fine.8


Le principal défaut de la théorie (bouddhiste) de l'instantanéité

Est l'impermanence du Soi qui (, selon les Bouddhistes, se réduit) à une série de cognitions.

De sorte qu'ils ne peuvent rendre raison de l'existence ordinaire.

De même, cette théorie est défectueuse pour autant que nul n'aspire à sa propre cessation ! 9


Balajinnātha Paṇḍita, Le Miroir de la liberté (Svātantrya-darpaṇaḥ), Munshiram Manoharlal, Delhi, 1993


[1] avayavībhāva : la relation entre le tissus et les fils, par exemple.

[2] par définition (svabhāvāt).

[3] Qui suppose une organisation, donc une intelligence.

[4] puruṣa, la pure conscience inactive défendue par le Sāṃkhya.

[5] Satisfaction théorique et existencielle.

[6] Selon le Vedānta, l'ignorance est la cause de l'erreur qui nous fait croire que tout est réel. Mais cette ignorance est elle-même indéterminable en termes d'être et de non être : on ne peut dire qu'elle existe, car elle ne résiste pas à un examen poussé ; mais on ne peut dire non plus qu'elle n'existe pas, car elle apparaît. C'est ici le Vedānta de Mandana Miśra (c. VIIIe ?) en particulier qui est critiqué. Mais cette thèse de Mandana sera reprise par le Vedānta tardif.

[7] śūnyakalpa. Car le Vedānta affirme que l'absolu est "être, conscience et félicité". Mais comment cela est-il possible si cet absolu est aussi immobile que le néant ?

jeudi 17 février 2011

Le Vedanta et autres illusions


Linga et son Nandi à Bali


Suite et fin du chapitre 6 consacré à l'exposé des théories imparfaites :


Les esprits droits savent qu'il existe

Quatre modes d'enseignement principaux,

Selon que ceux-ci dépendent plus ou moins de l'enseignement (du Seigneur),

Ou bien qu'ils l'emploient parfaitement. 4


Le premier est la théorie du commencement (absolu),

Le second celle de la transformation (réelle),

La troisième celle de l'apparence (illusoire),

Et la quatrième celle de la liberté absolue,

La seule qui soit démontrée de manière concluante. 5


Ceux qui se délectent du nectar de l'amour

Y voient le jeu merveilleux de la grâce.

Ceux dont le cœur est desséché par la (Puissance) d'emprisonnement

Se querellent en des polémiques agitées par de (vaines) conjectures. 6


Bien que les trois premières théories

Soient acceptables à cause de la diversité des intelligences des disciples,

La quatrième théorie est (seule) concluante.

Elle comble les esprits aiguisés (car) elle est admirable. 7


Ceux qui observent les différences[1] sont épris de (la théorie) du commencement.

Ceux qui font de fines distinctions s'intéressent à la transformation[2].

Ceux qui sont dégoûtés à l'extrême (se tournent vers la théorie de) l'apparence (illusoire)[3].

Et enfin, ceux qui sont doués de l'amour divin prééminent

S'attachent à la théorie de la liberté absolue (de la conscience)[4]. 8


[La théorie du commencement absolu]

Parmi (ces théories, celle du commencement parle ainsi :) le Seigneur omniscient

Procure aux êtres les expériences et la délivrance.

Il émane toute chose selon le karman (de êtres)

Et en prenant pour matière première les atomes,

Comme (le ferait) un potier. 9


Quand une créature obtient, au sein (de cette création)

La suprême connaissance de la réalité,

Elle devient immuable comme une enclume

Et elle se détourne des qualités qui distinguent (une créature)

Comme la cognition, le plaisirs, etc. 10[5]


La délivrance de la (créature), ce n'est rien d'autre que cela.

Par contre, le Soi suprême[6] a un penchant pour l'altruisme.

Il prend donc part à l'activité (divine) de création[7] :

Emanation, subsistance, résorption. 11


[La théorie de la transformation réelle]

La Nature est dépourvue de conscience.

Elle a trois qualités.

A cause de la (qualité) d'agitation, elle devient agitée.

Ensuite, elle se transforme en l'intellect, etc.

En vue (d'accomplir le but de) l'Homme. 12[8]


Les Hommes voient dans (leur) intellect

Leur propre reflet de pure conscience.

Mais bien qu'ils soient (alors) de purs témoins (et non des agents ni des patients réels),

Ils souffrent ici-bas parce qu'ils ne font pas la différence

(Entre leur pure conscience et son reflet dans l'intellect).

Ils font alors l'expérience des qualités de l'intellect

En leur totalité et leur complexité,

Car ces (Hommes) sont prisonniers (de leur manque de discrimination). 13-14a[9]


Mais il est clair que l'intellect

Paraît doué de conscience

Parce qu'il est capable de refléter l'Homme

(Et non parce qu'il serait lui-même doué de conscience). 14b


A cause de ce manque de discrimination,

L'univers, qui est une série de transformations (de la Nature aveugle),

Se poursuit ainsi. 15a


Mais quand la discrimination apparaît,

La Nature se détourne d'elle-même (de l'Homme)[10].

Puis l'Homme abandonne son statut de témoin (des transformations de la Nature).

L'Homme devient indifférent à la Nature.

Pour les partisans de la théorie de la transformation,

La délivrance se cantonne à cela. 15b-16


[La théorie de l'apparence illusoire]

Le monde apparaît aux êtres

A cause de l'ignorance sans commencement,

Comme une cité dans les nuages.

Cette ignorance est de même un faux-semblant, elle est inexplicable

Bien entendu...[11] 17


Seul existe l'absolu, un, réel, tranquille,

Eternel, être, félicité, conscience.

Quant à cette illusion par laquelle apparaît

Cette diversité de (choses) différentes (les unes des autres),

Elle est un faux-semblant. 18


Si l'on est certain de cela, (qu'on l'a compris) sans erreur,

Alors l'âme, heureuse, se dissout en l'absolu.

Telle est cette théorie de l'apparence trompeuse

Du Vedānta, selon laquelle tout changement est illusoire[12]. 19


[Le bouddhisme]

Selon la doctrine des adeptes du Bouddha,

En définitive, tout est vide à jamais.

Il n'y a ni absolu ni aucune âme,

Ni monde matériel ni même Nature. 20


En effet, la conscience est instantanée.

Elle va comme une série, en fluant.

(Ce flux) est la base de la croyance erronée "je".

Les objets connaissables ne sont que des aspects de ce (flux de cognitions). 21


Dans (ce flux de conscience) il y a

Des impressions sans commencement

Qui sont les causes des cognitions erronées.

C'est à cause de ces séries

Que la conscience transmigre (dans le cycle douloureux du saṃsāra). 22


Mais si l'on a la certitude que la vérité ultime

Est la vacuité de tous les phénomènes,

On se détache d'abord des afflictions, des impuretés, etc.

Puis la conscience, quand elle abandonne le corps (au moment de la mort),

Etant instantanée, n'engendrera pas une nouvelle série.

On atteindra alors la vacuité, qui est l'extinction. 23


Ainsi leur délivrance

Est un état de vacuité atteint par la cessation du Soi.


Balajinnātha Paṇḍita, Le Miroir de la liberté (Svātantrya-darpaṇaḥ), Munshiram Manoharlal, Delhi, 1993


[1] Les partisans du Vaiśeṣika, "ceux qui différencient". En effet, pour eux les différences sont réelles et presque innombrables. Ce sont des réalistes, alliés au Nyāya. Ensemble, ils s'efforcent de démontrer que l'origine de toute chose dépend d'un Dieu qui agent une matière préexistante et réelle.

[2] Ce sont les partisans du Sāṃkhya-Yoga. Pour eux, tous est fait d'une même étoffe inerte - la Nature - dont tout dérive par transformation.

[3] Ce sont les partisans du Vedānta, pour qui le monde est une apparence erronée surimposée à l'absolu.

[4] Pour la Reconnaissance (pratyabhijñā), le monde est le libre jeu de la conscience souveraine.

[5] Pour le Nyāya-Vaiśeṣika, l'âme délivrée est au-delà de la conscience, dépourvue de plaisir comme de peine. Elle est "sans cognition", elle ne perçoit rien, n'a plus aucune pensée, ni souvenir, etc. Elle est, simplement, sans aucune forme de conscience de soi.

[6] Dieu,le Seigneur.

[7] ārambha-kāritā désigne ici l'action créatrice au sens fort, comme dans le monothéisme. Dieu fait venir à l'existence à partir de rien... mais il s'appuie sur les atomes. Cependant, on peut dire que le Nyāya a une position forte sur la causalité : causer, c'est faire passer du non être à l'être. La pousse n'existe pas dans la graine. Elle est une chose nouvelle : c'est la thorie de l'inexistence (de l'effet dans sa cause, asat-kārya-vāda). Le Nyāya, en tant qu'il insiste ainsi sur la nouveauté de l'activité créatrice, préfigure la liberté absolue de la conscience.

[8] La Nature n'a pas de but, de finalité, car elle est dépourvue de conscience. Mais sans le savoir, elle participe à la délivrance de l'Homme - la pure conscience - par son jeu de transformation, notamment en devenant un intellect individuel. Car c'est dans l'intellect - partie la plus subtile de la Nature - que la lumière de la pure conscience peut se manifester, et qu'ainsi l'Homme peut réaliser sa différence absolue d'avec la Nature.

[9] L'intellect reflète la lumière de la pure conscience car il est assez pur pour cela, bien qu'il soit en fin de compte aussi matériel et inerte que le reste de la Nature. Mais c'est justement cette pureté qui prête à confusion. Comme dans le miroir que l'on n'aperçoit pas justement e raison de sa limpidité, les Hommes s'identifient à tord aux qualités de l'intellect - et à travers lui à celles du corps - en raison de l'extrême pureté de cet organe.

[10] Comme une danseuse qui quitte la scène.

[11] L'auteur se fait ici ironique car, comme il s'en explique dans sa glose en anglais, cette pseudo position philosophique est une vraie fuite. Les accusés sont le Vedānta et le bouddhisme.

[12] Encore une pointe d'ironie. L'A. suggère en effet que la théorie du Védānta est elle-même un vain verbiage (vivarta signifie à la fois "transformation illusoire" et quelque chose comme "tourner en rond").

mercredi 16 février 2011

Quoi, vous n'êtes toujours pas éveillé ?

Je continue mon petit voyage au pays de la non dualité où argent et éveil spirituel ne font qu'un, la parfaite intégration intégrale, Visa Gold fashion.
Découvrons Stuart Mooney (non, ce n'est pas une blague). Il nous annonce qu'un véritable tsunami spirituel va nous submerger le 11 février 2011...
Euh, mais c'est pas déjà passé ça ? Ah ben oui. C'est que, pour profiter de cette Vague divine et de l'état d'éveil permanent de Stuart, "autorisé par le Shankaracharya du Sud de l'Inde à enseigner plus de 100 secrets spirituels", il faut s'offrir les services de Stuart.

Vous êtes impatient de connaître le prix de l'Éveil ?
Vous n'avez qu'à lui écrire !
Et dépéchez-vous. Car Maître Siyag a prédit la fin du monde courant mars.
Mais comme je vous sens fort impatient, voici un échantillon des "services" proposés par Stuart, après un speech sur "nobody is here, nobody gives the service, nobody is there to receive it" :

The Personal Intensive Programs now are available in three versions. "Personal Intensive I" is a 50 minute session that contains a discussion directly aimed at your personal Enlightenment along with a series of Blessings or Grace Transmissions to shift the brain into this Awakened State. It runs $90. It is by far the most popular process I offer. Everywhere I go to do workshops, I end up spending a couple of days doing this "Personal Intensive I ".

There is a more powerful version, the "Personal Intensive II" which takes 90 minutes. It contains twice the personal discussion and twice the Grace. It runs $140.

The third version is the "Personal Intensive III" is twice as potent as PI II and is 140 minutes in length. It runs $210. It is extremely powerful!!!


Un peu de bon sens à propos de l'affaire Genpo. Mais ce que dit E. Rommeluère s'applique à tous. Toujours au sujet de Genpo, je ne peux qu'attirer l'attention sur ce qu'en dit Brad Warner, un maître zen punkoïde ("tissé de contradictions") : sur les séminaires à 50 000 dollars (oui, vous avez bien lu !), sur Genpo et Ken Wilber. Soit dit en passant, il me semble à présent qu'il y a décidemment quelque chose de pourri au royaume de l'intégralitude. Le beau Ken a de fait passé sa vie à faire la promotion de gourous aux tendances margoulinesques avérées : Adida Franklin Jones, La Méditation Transcendentale, Holosync, Andrew Cohen, Genpo Roshi... Comment se fait-ce ?

Puis, peut-être, pour se défouler :