vendredi 16 mars 2012

Non-dualité : l'obéissance absolue ?

Pourquoi obéissons-nous ?

En particulier, pourquoi obéissons-nous aux injonctions qui vont contre notre conscience ?

On répondra que ce ne sont-là que de petites dissonances dont chacun s'arrange avant de l'oublier devant un rayon de supermarché. Peut-être que nous obéissons seulement dans les cas où notre obéissance n'entraînera pas de grandes souffrances.

Ou peut-être pas. Milgram, dans sa célèbre expérience réalisée en 1963, a démontré qu'environs les trois-quarts des humains, placés dans les circonstances adéquates, obéissent à l'injonction de torturer et de tuer un inconnu qui ne leur a rien fait, et cela sans crainte d'une punition, ni espoir d'une récompense. Juste obéir pour ne pas désobéir.

Dans tous les groupes étudiés selon ce protocole, entre 6 et 15% des individus prétendent, après-coup, qu'ils savaient que cela n'était pas réel. Un subterfuge pour échapper au poids des responsabilités. Dans la version de France Télévision, intitulée Le Jeu de la mort, ces individus mentent quand ils disent qu'il n'y ont pas cru. Car, s'ils n'y avaient pas cru, ils n'auraient pas essayé de tricher - en soulignant les bonnes réponses à l'intention de "l'étudiant". Je remarque ces mêmes réactions chez les élèves à qui je montre ce document (en plus des rires pour évacuer la tension, ou des bavardages lancés par-dessus les cris de "l'étudiant" comme autres subterfuges).

Or, en voyant cela, je ne puis m’empêcher de faire le rapprochement avec les non-dualismes - comme le Vedânta de Shamkara - qui affirment que la non-dualité présuppose que rien n'est réel. Rien n'arrive, absolument rien ne se passe, en dépit des apparences du contraire. Du coup, il n'y a pas de libre-arbitre, pas de responsabilité, pas de souffrance infligée à soi ou à autrui.

Combien de fois ai-je entendu ces arguments pour justifier un acte bas, égoïste ou immature, quand je vivais à Lucknow ! Cette ville où vécut Papaji - aka Poonjaji, l'homme à l'origine de la vogue actuelle de la non-dualité - fût un laboratoire fascinant de ce genre de non-dualisme. Les gens étaient "éveillés" au satsang du matin, en pleine séparation l'après-midi, et suicidaires le soir.J'ai vu des gens passer de l'euphorie à la dépression en quelques minutes. Nirvana en entrée, samsara au dessert.

A mon sens, l'idée que "rien ne se passe" est le plus souvent une forme de fuite. Affirmer que le libre-arbitre n'existe pas - ce qui revient à affirmer qu'il n'y a pas de conscience ! - est une manière de soulager sa conscience... morale. 

De plus, c'est un outil puissant pour rendre les gens dociles. Une personne qui croit ou veut croire que rien n'est réel obéira plus sûrement qu'une autre qui croit à la réalité des conséquences de ses actes. J'en veux pour preuve l'obéissance de certains adeptes du zen à l'époque du Japon impérialiste. Imaginons une société d'éveillés de cette eau : ne serait-ce pas le parfait système totalitaire ? Pas de mémoire, pas d'histoires, pas de concepts, pas de doutes, pas de personnes, pas de fantaisies. La sécurité ultime. Mais à quel prix ?

 
"Le sabre qui tranche par-delà bien et mal"

Bien sûr, ce ne sont là que des croyances. Rien à voir avec l'expérience de la non-dualité, vivante, vive et vivifiante. Mais comme c'est un travers qui coure en liberté ces temps-ci, j'ai cru bon d'en dire un mot.

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je vous rejoins tout à fait pour critiquer cette non-dualité prête à accepter tout et n'importe quoi sous prétexte que tout est Un.

    A mon sens, ce n'est parce que tout est Un et que tout est "parfait" qu'il nous faut nous complaire dans une réalité obscure. Au contraire, c'est parce que tout est "parfait" dans ses imperfections qu'il nous faut être plus conscient de ce que nous sommes pour que nous puissions rendre au réel sa beauté.

    Ceci dit, j'aurais une question :
    Disposons nous réellement d'un libre arbitre lorsque nous avons ce souhait de rendre le monde à ce qu'il est fondamentalement ? N'est ce pas la conscience qui se veut simplement elle-même ?

    Je serais assez d'avis pour dire, à la lumière de votre dernier article intitulé "qui se souvient ?" que le libre arbitre, s'il existe, n'est pas le notre mais celui de la conscience pure

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  2. Bonjour,

    Je lis "A mon sens, ce n'est parce que tout est Un et que tout est "parfait" qu'il nous faut nous complaire dans une réalité obscure. Au contraire, c'est parce que tout est "parfait" dans ses imperfections qu'il nous faut être plus conscient de ce que nous sommes pour que nous puissions rendre au réel sa beauté."
    Le "il faut" est celui de la personne. S'il y a le moindre choix ce n'est pas celui d'une personne, c'est celui de la vie, du tout. Si l'on comprend que rien n'aurait jamais pu être différent de ce qu'il est, alors où est le choix ? Lorsqu'on comprend que chaque acte, chaque pensée, chaque sensation, chaque parole n'aurait pu être différente de ce qu'il est alors où est la responsabilité individuelle.
    Les choses arrivent mais elles n'arrivent à personne même si c'est ainsi que cela apparaît. Il semble que l'on ait le choix mais c'est une belle illusion quand on l'explore vraiment. Que nous soyons d'accord ou non, tout cela apparaît et meurt dans la conscience qui elle n'est pas affecté par ce qui la traverse.
    Le personnage du rêve ne peut décider de se réveiller à main d'un rêve lucide...
    Que certaines personnes se servent d'une sorte de compréhension intellectuelle de la non dualité pour justifier leurs comportements (immoraux pour d'autres), n'est pas, il me semble, un argument pour réfuter la réalité de la de la corde. La conscience ni ne justifie ni ne condamne, elle est. Et cette être là, cette présence consciente que nous sommes, n'est elle pas d'abord cet incroyable Oui à tout ce qui est ? Pas un oui parce que c'est moral ou bien ou beau, mais un oui d'ouverture, un oui d'accueil à toute créativité.
    Les croyances créent l'expérience mais ni les croyances ni les expériences n'affectent la présence consciente en laquelle ils naissent et meurent...
    Belles éclosions à vous tous

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