vendredi 8 mars 2013

Miel ou désert ? Miel ET désert !

Il y a deux genres d'expérience intérieure : la savoureuse et l'aride.
J'en ai parlé à plusieurs reprises. Comme de la question de la stabilisation de l'expérience.



Les deux expériences, l'affective et la cognitive, peuvent et doivent se nourrir. Mais la plupart des méditants l'ignorent, et il est vrai que la chose est difficile. Nous avons besoin de l'aide de maîtres, de gens comme nous, mais qui ont de l'expérience. Non pour décider à notre place, mais pour nous faire partager leur expérience, leurs erreurs, leurs conseils. 
Or, Dominique Tronc vient de publier le second volume des Expériences mystiques en Occident. Quel rapport, me demanderez-vous ? Ou encore : à quoi bon un livre de plus sur les Pères de l’Église et Maître Eckhart ?
Détrompez-vous. Ce livre porte sur de nombreux mystiques, mais inconnus. Notamment une tradition de méditation française qui a vécut au XVIIè siècle, avec des maîtres comme Pierre de Poitiers, Jean-François de Reims, Maximilien de Bernezay, Jean de Saint-Samson ou Martial d’Étampes. Des gars bien de chez nous. Une vraie tradition de méditation, certes engoncée dans le piétisme, le dolorisme et le dogmatisme religieux, mais bien vivante. Et surtout précieuse, utile, actuelle. Des gens d'ici qui ont vécu des vies de méditation, des passionnés de l'instant présent, des fous du silence intérieur, fins observateurs des pièges de la vie mystique. Je les place au même niveau que maints grands méditants du Tibet, même si le contexte est, certes, celui d'une religion qui recouvrait les esprits d'une chape de plomb. Mais cet handicap est largement compensé par le fait qu'ils s'expriment en français, notre langue, de fort belle façon, et qu'ils sont nos ancêtres. En outre ils témoignent de l’universalité de l'expérience mystique, de sa rationalité. D'autres hommes, d'autres femmes, il y a à peine trois cent ans, ont vécu là où vous vivez, ont connus vos ancêtres, et ont vécu une vie de profondeur qui peut encore vous parler. Il n'y a pas que le saucisson, le pinard et les produits du terroir ! Il y a aussi une tradition de méditation. Une vraie, qui rassemble l'expérience de plusieurs générations. Et des instructions explicites pour la vie de tous les jours, pour les vrais problèmes des vrais gens comme vous et moi. Dans les milieux spirituels, il y a ce préjugé de répéter sans cesse "En Occident on ne peut pas comprendre..." ; "c'est si éloigné de la mentalité occidentale..." ; "pour un mental d'occidental, c'est impossible..." ; "les Occidentaux, à cause de leur esprit cartésien...". Préjugés ignobles ! Ignorance crasse ! Il y a eu des maîtres de méditation contemporains de Descartes. Par exemple Benoît de Canfield qui vécût à Montmartre. Oui, Montmartre. Et Jean de Saint-Samson, qui jouait de l'orgue dans l’église Saint-Eustache. Oui, vous avez bien lu : l'église à côté du Forum des Halles à Paris. 

Lisons un passage d'un élève de Benoît de Canfield, Martial d'Etampes (mort en 1635) :

"Il faut passer au travers des images, objets, distractions et diverses pensées qui se présenteront à notre pauvre esprit pour détourner notre vue de Dieu, et demeurer fixes en ce simple regard tant qu'il nous sera possible, sans pourtant nous forcer, ni violenter la tête, ni l'estomac ; et pour pratiquer ceci plus facilement, il faut jeter les yeux de l'esprit sur la grandeur de Dieu (...) particulièrement sur son amour (...) comprenant telles perfections seulement en bloc, et sans aucune spéculation ou distinction, les admirant et contemplant simplement au plus intérieur de notre âme. Ce regard doit être accompagné d'une grande révérence, qui causera une douceur en notre intérieur et un silence de notre esprit, dans lequel nous devons demeurer tant qu'il durera" (p. 307).

Le but est ici de s'absorber en Dieu, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. "Dieu" n'est pas un article de foi ou une vague construction imaginaire, mais l'expérience de notre vraie nature. Inutile de croire aux dogmes chrétiens pour entendre ce que ces méditants ont à nous dire. Peut-être même sommes-nous mieux à même de recevoir leur enseignement si nous avons pris acte que nous vivions dans un monde absurde, désenchanté, si nous ne croyons plus aux sirènes du surnaturel.

Remercions donc Dominique Tronc pour ce travail qui nous permet d’accéder à ce trésor qui gît sous nos pieds, mais que nous ignorons.

4 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec vous, sauf sur un point. Ces hommes appartenaient à des communautés, pesantes peut-être, mais elles leurs permettaient justement de ne pas s'égarer dans l'illusion (tout comme vivre en couple permet de ne pas se faire d'illusion sur sa "sainteté"! Pour le reste je relève aussi une contradiction. SI 99 pour cent des chercheurs spirituels ne sont pas intellectuels, pourquoi refuser l'architecture de la doctrine chrétienne qui tente de ne pas mépriser la raison ? QU'en pensez-vous ?

    AMicalement

    François

    RépondreSupprimer
  2. Les communautés pour ne pas s'égarer dans l'illusion ?!

    Juste un exemple : Jean de la Croix. Ses sympathiques frères l'ont enfermé durant huit mois dans un cachot parce qu'il voulait les ramener à la contemplation. Il s'est enfui on ne sait comment.
    La mystique, comme la philosophie, ne s'est pas élaborée avec les communautés, mais bien contre elles. Car la raison d'être d'une société (et une communauté est une société) est de se conserver, de se protéger contre tous les facteurs dissolvants. Or la mystique, individualiste, en est un.
    La vie des mystique est toujours la même histoire tragique : naïfs, ils veulent partager, et ils se font laminer. Certains en réchappent. Certains. Voyez Guyon, elle a voulu changer Versailles. Verdict : huit ans de Bastille. Et ceux qui ont voulu réformer leur communauté. Les pauvres. Empoisonnements, cabales... Même les Carmes. Surtout les Carmes. Seule solution : retrouver, dans la communauté, une forme d'individualisme. C'est la solution cartusienne. Pas de vie intérieure sans une bonne dose d'individualisme. Regardez les Khampas au Tibet. Réputés, redoutés pour leur indépendance. Ils ont produits les plus grands méditants.

    Pour les 99%, je parlais d'aujourd'hui. En outre, le christianisme n'est pas une spiritualité, mais une religion. De plus, il emploie la raison. mais il la met au service de la foi, d'une croyance irrationnelle. Ce qui se trouve être la définition de la passion, maladie de l'âme. Employer la raison, tout le monde le fait. Même les fous, même les terroristes. Avoir confiance en la raison, en revanche, est chose bien rare.
    Bien à vous

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour.

    J'ajouterai à cette liste un auteur plutôt visionnaire que mystique : Emmanuel Swedenborg.
    En lui s'unissent l'expérience et la connaissance, la foi et la connaissance : "Nunc licet intellectualiter intrave in arcana fidei" " Maintenant, il est permis d'entrer par l'intelligence dans les arcanes de la foi".
    J'ai découvert cet esprit immense lors d'une recherche sur le net, par hasard, j'ai eu la curiosité, connaissant les oeuvres de Suzuki sur le bouddhisme, de lire"Swedenborg Buddha of the Nord" de D.T. Suzuki. Un article de Loy est inclu dans ce livre et on peut le lire traduit en français sur scribd : fr.scribd.com/doc/112790132/Le-Dharma-d-Emanuel-Swedenborg. D'autres études aussi.

    Karen

    RépondreSupprimer
  4. Merci David pour votre réponse !

    Ce que vous écrivez me semble juste ! Surtout pour Madame Guyon, dont je viens de lire la biographie par Mallet-Jorris. Je voulais seulement exprimer que se confronter aux autres, lorsque l'on tente d'être méditant, permet de voir où l'on en est réellement. Ainsi de cette histoire de je ne sais plus quel maitre tibétain qui va voir un ermite réputé pour son austérité qui en quelques phrases bien tournées arrive à mettre ce dernier en colère !

    Et pour la raison, je suis d'accord aussi. Les fous ont leur raison. Oui le christianisme est une religion, mais c'est aussi une spiritualité. J'ai fait le choix de m'y inscrire, pour ne pas être justement un "zappeur". Au bout du compte j'essaye simplement d'aimer, non par des paroles (encore que l'on peut avec elles célébrer réellement la vie !) mais par des actes. Et c'est vrai que cela peut déranger !

    Amicalement

    François

    RépondreSupprimer

Pas de commentaires anonymes, merci.