dimanche 30 juin 2013

Deux sortes de méditation






Certains considèrent que l'essentiel est de comprendre que tout est fabrication de l'esprit, que cet esprit est vide, que cette vacuité est félicité, et que cette félicité est conscience. Cette approche met l'accent sur l'idée que "tout est esprit", à l'image d'un rêve. En réalisant ceci, les cauchemars tournent en bon rêves.

Mais, comme le dit Longchenpa, on reste là au niveau des conjectures, des possibilités, fascinantes certes, mais hypothétiques. On s'intéresse ainsi à la relativité de toute chose, à la subjectivité, au contexte, au point de vue. Ce perspectivisme a un certain pouvoir libérateur. Mais, comme dit Jigmé Lingpa, le point essentiel n'y est pas même entrevu. Sur le plan de l'expérience, on reste fasciné par les objets, les pensées, etc. Il est vrai qu'en observant l'objet, la sensation, l'énergie, etc. sans plus, ils se résorbent dans le silence. Mais une autre pensée resurgit, et l'on se retrouve distrait, ou bien l'on recommence l'observation sans jugement, sans fin. Cette méditation ressemble comme deux gouttes d'eaux à la méditation véritable, mais elle en est aussi éloignée "que le ciel de la terre".

Il y a deux sortes de méditation : méditer sur l'objet, ou méditer la conscience, le "sujet". Méditer l'objet amène un certain calme quand les circonstances sont réunies. Mais le problème demeure : la dépendance à l'objet, avec ses variantes : dépendance au maître, à la doctrine, à une personne, une situation. La conscience reste aliénée dans ses créations infinies.

Alors que si je médite la conscience, la conscience se libère des objets. Elle recouvre son indépendance. Elle ne dépend plus - ou de moins en moins -, de la présence ou de l'absence des objets. Quand le mouvement reprend, il reprend comme un mouvement de conscience, transparent sur fond de transparence, la forme en harmonie avec le fond. Et même, il met en valeur ce fond, comme les ronds concentriques formés par un caillou jeté dans une eau dormante.

Dans son manuel intitulé La Conscience au présent comme maître (Yéshé Lama), Jigmé Lingpa distingue soigneusement ces deux approches. La première est mentale, la seconde transcende le mental, d'où son caractère plus direct. Cette voie de la conscience de soi ne dépend pas d'une position philosophique ou d'un positionnement mental.

"Ne manipule pas la conscience du moment.
Laisse-là être telle quelle.
Il n'est pas prouvé qu'elle soit existante, ou inexistante,
Ni partisane (de telle ou telle doctrine).
Elle ne distingue pas entre apparences et vacuité[1].
Elle ne se laisse pas définir en termes de substance ou de néant.
En cet état, rien n'est posé.
Il n'est pas nécessaire  de s'appliquer à la théorie ou à la pratique.
Cette liberté totale du présent
N'est pas une libération.
C'est une clarté qui n'est pas forgée par l'intellect,
Une conscience qui n'est pas souillée par les concepts.
L'essence des expériences
N'est pas conditionnées par la théorie et la pratique.
Elle est une égalité sans position,
Et un "retour à l'ordinaire" sans préméditation.
Elle est une clarté indéfinie,
Une immensité sans uniformité."

Conscience au présent, c'est-à-dire conscience de soi, retournée en un instant à 180° vers soi - grande limpidité équanime. Comme un réveil inopiné. Cette conscience est libre, autonome. D'où ses vertus sans commune mesure avec les vertus des méditations mentales.

La nature de l'esprit, ni éternelle ni temporelle,
C'est ce qui se présente, sans bon ni mauvais.
Telle est la vision de sagesse, ni "oui", ni "non".
C'est moi, l’Éveillé en toutes circonstances, qui l'ai révélée.
Cette nature de l'esprit, sans acceptation ni rejet,
Perçoit les choses dans une liberté spontanée,
Sans prendre parti.
Elle est "la grande vision de sagesse qui embrasse toute chose".
Moi, Éveillé en toutes circonstances, je l'ai révélée.
Cette nature de l'esprit, sans torpeur ni agitation,
Est la vision de sagesse de la grande égalité.
Elle est "la vision de sagesse de l'état naturel des six sortes (de perceptions)"[2].
Moi, Éveillé en toutes circonstances, je l'ai révélée.
Cette nature de l'esprit est sans peur.
Elle perçoit les choses sans attente ni déception.
Elle est "la vision de sagesse qui habite la confiance en l'égalité au présent".
Moi, Éveillé en toutes circonstances, je l'ai révélée."

Les Six espaces de l’Éveillé originel

"Cette essence des expériences
Est sans fondement.
Laissée à elle-même sans la chercher,
Elle est la plus grande des merveilles.
Cette conscience qui va et vient sans jamais se mélanger,
Est la plus grande merveille.
Cette grande conscience du présent
Qui repose au présent, indépendante de tout remède,
Est la plus grande merveille.

L’Amas de joyaux


[1] Vacuité est ici synonyme de "réalité". La conscience au présent ne différencie pas les apparences de leur "réalité". Elle ne se pose pas ainsi ni autrement.
[2] Les cinq sens plus le mental.

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