lundi 2 juin 2014

"Mais c'est que de la théorie !"


Quand on entend un enseignement non-dualiste (vraiment non-dualiste, pas un succédané de Pétarland), on a souvent l'impression de comprendre, mais que cela ne change rien. On se dit "Oui... et alors ?" On présuppose que l'illusion est la plus forte. on sait bien que la petite voix du mental est mensongère, mais elle ne veux rien entendre. Le droit (la non-dualité) semble contredit par les faits (la dualité mentale).

Voici l'objection dans un texte traditionnel :

"Mais même si la connaissance vraie est puissante, elle est réfutée par la connaissance fausse (quand bien même celle-ci) n'est pas valide : voilà ce dont nous faisons l'expérience ! Car de fait, même chez celui qui s'est éveillé à la vérité ultime, les expériences dues à l'absence d'éveil, comme par exemple la croyance que l'on est un agent, une personne qui vit des expériences, douée d'attraction et d'aversion, tout cela continue de se manifester ! Même quand la connaissance vraie (est réalisée), les expérience qui la contredisent et la réfutent peuvent se produire... (donc c'est du flan)."

Le maître Sureshvara répond :

"-Non. Pourquoi ?
Parce que l'ignorance a été réfutée,
Elle ne peut absolument pas réfuter la connaissance.
Les habitudes (mentales) qui sont l'effet de la (connaissance)
Conduisent infailliblement à se remémorer la connaissance."

La Réalisation qui ne dépend pas d'une pratique, 1, 37-38

Que veut dire Sureshvara ? 
Sans doute qu'une fois l'ignorance perçue comme ignorance, plus aucun retour en arrière n'est possible. C'est un peu comme le Père Noël. Une fois que vous avez compris qu'il n'existait pas, vous ne pouvez revenir en arrière. Sauf pour jouer à croire, pour faire plaisir à des enfants par exemple. La connaissance vraie ne supprime pas le mental ni le monde. Elle supprime seulement la croyance en la réalité de tout cela. La vie continue, et même plus intensément qu'avant, mais sans le voile de l'aveuglement. On peut comparer la situation à un spectacle de théâtre, de cinéma où à la lecture d'un roman. La conscience de la situation de spectateur n'empêche pas de se plonger pleinement dans la situation du récit ou du film. Au contraire même. Cette posture réelle permet d'apprécier plus intensément la posture fictive. Et même une mauvaise posture devient une forme de jouissance esthétique, une délectation, un rasa comme dit Abhinavagupta. L'éveil est donc à la fois liberté et jouissance, moksha et bhoga.

Voici pour finir un extrait d'un film (en télougou, mais on comprend quand même) récent sur la légende de Shankara, plus précisément sur sa rencontre et son débat avec Mandana (celui qui porte un châle rouge puis jaune dans cet extrait). Mandana était un non-dualiste maître de maison. Shankara est censé avoir gagné le débat. Mandana serait alors devenu renonçant sous le nom de Sureshvara. On pourra comparer cette version avec celle du film sanskrit de 1981. Shankara est ici affublé comme une drag queen et Mandana ressemble à un bouffon bouffi d'orgueil. L'ensemble respire la vulgarité du cinéma contemporain du Sud de l'Inde. Comme quoi, l'ignorance de la culture sanskrite n'est pas seulement le fait de l'Occident. On notera que Mandana est censé ici défendre la thèse selon laquelle "seule la pratique est efficace" - karmayeva jayate inscrit sur le fanion qui orne le toit de sa demeure et récitée par les perroquets devant l'entrée. Or c'est précisément le contraire de la thèse que défendra Sureshvara. Quoi qu'il en soi, le vrai Mandana ne  prétendait pas que seule la pratique peut délivrer, mais croyait plutôt en une combinaison de connaissance et de pratique :



3 commentaires:

  1. Bonjour M. Dubois, ce que vous êtes productif. Je peine à pouvoir tout savourer ce que vous nous offrez!

    Je suis fasciné par les paradoxes, même les faciles du genre l'infiniment grand est contenu dans l'infiniment petit.

    Je suis plus qu'intrigué par la non-dualité et si la conscience est réflexion, tel l'univers se repliant sur "lui"-même, l'absurdité d'une persistence autre que ce "repliement" indique et la futilité d'un élan cartésien et l'absolu solitude qui est bouddhéité ou réalisation du Soi.

    M'enfin, je ne suis qu'un amateur,
    un mystique avec un verbe mal articulé peut-être quoique le message de Sri Krisna Menon me plaît profondément... et perdure un sourd scintillement dans mon âme.

    Et non seulement vous lire mais visionner tous ces documentaires; oh la la.

    Et je ne veux être zen vis-à-vis l'ennui et par extension, une mauvaise estime de soi, seulement être lucide à ce qu'est la paix.

    OK, libre est le mot plus souvent utilisé.

    Ça vous dit: "moksha"?

    Amitié

    .:.

    Anandgyan

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  2. en fait à partir de cette position tu te retrouves à la fois dans et hors, au summum de la non-dualité :) Hors de l'illusion en train de faire l'expérience de cette illusion :)

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  3. Salut Renaud, M Dubois et tous, je ne suis pas à l'aise avec le terme 'illusion' dans votre commentaire même si les mots mage et magicien partagent un tantinet d'étymologie; une certaine appréhension d'un quelconque dédoublement m'empêcha de bien savourer la métaphore... Euh, bien illusionné sur un certain statut de p'tit Jo Connaissant ou bien lucide sur une pseudo-falsification? ;-)

    Je demeure fasciné par cette image d'un miroir qui reflète... j'approxime cette possibilité au "terrain" de la conscience, si ce n'était que les deux peuvent réfléchir. Alors que dire? Et bien, causons!

    Le contenu de l'image, le reflet n'est pas le miroir proprement dit, facile, hein? Les pensées donc peuvent être observées en tant qu'objects... Nous sommes rien sans pensées et ne sommes que pensées lorsque vient le temps de signifier une association de celles-ci car "deux" sait qu'un délire religieux ce n'est pas la réalisation de soi et turiya-la-la-lère.

    N'est-ce pas là l'enjeu? Éviter l'ennui suprême d'avoir à justifier son existence sans propos morbides face à la futilité et l'absurdité de la vie? Illusion! Ha?

    À propos de signification... Un rituel peut être fait mécaniquement, même si la gestuelle remonte à la nuit des temps grâce à une tradition non-altérée. Quelle est la différence si elle est faite contrairement? Si le rituel n'était qu'un prétexte pour une danse nouménale poétique, un haïku chorégraphié ou un folklore métaphysique bien huilé... Ne serait-on pas à relier le ciel à la terre et célébrer l'unité, l'absolu et/ou le Grand Manitou?

    M'enfin, avant de délirer avec élégance ;-) ... Que dire de ces "dépoussiéreux" de tradition qui se devaient de rétablir la rectitude d'un enseignement et rétablir le "courant" tel Tsongkhapa, Jésus ou Gautama?

    Finalement, la mort, est-elle une illusion ou pas?

    Pour mieux finir... hehehe

    Amor!

    .:.

    Anandgyan

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