mercredi 5 novembre 2014

Où trouver le sens ?

Notre cerveau (notre corps) est ainsi fait qu'il ne peut s’empêcher de voir du sens, même là où il n'y en a pas.
Regardez par exemple cette image :


Nous voyons un triangle. Même si nous savons qu'il n'y a pas de triangle. Notre cerveau relie les formes pour leur donner du sens. Involontairement.
Notre cerveau produit des hypothèses à partir des données qui se présentent à foison à chaque instant. Et à chaque instant, il calcule et recalcule, sans y penser, les hypothèses les plus vraisemblables. Il sélectionne les interprétations les plus probables. Mais pas nécessairement celles qui sont vraies, qui correspondent à la réalité.

Cette tendance innée à voir du sens, même là où il n'y en a pas, à relier des éléments qui n'ont a priori aucun lien, explique les apparitions surnaturelles, par exemple. Dans des formes données, notre cerveau voit des visages. Faites l'expérience. Fixez les nuages, en cherchant un visage. Ou même en regardant n'importe quoi d'autre. Ça marche. Plus pour certains, dont l'hémisphère droit est dominant. D'autres surinterprètent les expressions, les paroles ou les actes. Mais nous sommes tous plus ou moins enclins, instinctivement, à voir ce qui n'existe pas. A surinterpréter. 
D'où les superstitions, les miracles, etc. jusqu'aux théories du complot. Ces mécanismes sont admirablement mis en évidence dans le roman d'Umberto Eco, Le Pendule de Foucault.

Mais pourquoi ce travers ? Car enfin, comment expliquer que notre cerveau soit ainsi fait ? Il aurait pu être autrement ! 
Il faut voir que le cerveau n'est pas fait une fois pour toutes. Il est fait d'habitudes, de plis qui se font et se défont au gré des circonstances. Les habitudes les plus avantageuses sont conservées et renforcées. Les autres passent à l'arrière-plan, voire disparaissent.
Mais comment une habitude aussi désavantageuse a-t-elle pu survivre ?
Tout simplement parce que, dans un environnement naturel, il vaut mieux projeter des dangers qui n'existent pas, plutôt que de louper un vrai danger. Ceux qui projetaient ont survécu. Les cerveau trop rationnels sont morts...

La plupart des croyances sont des stratégies du cerveau pour aider le corps à survivre et lui donner l'occasion de se perpétuer.

Mais alors, faut-il conclure que rien n'a de sens ? Que l'univers est absurde ? Que tout est projection ? Que tout sens est arbitraire, mécanisme de compensation, de consolation, de sécurisation engendré automatiquement par la machinerie probabiliste qu'est notre encéphale ?

Je le crois, oui, en grande partie.
Et souvent, notre tendance à projeter du sens se trompe, et nous plonge dans des croyances, des labyrinthes de croyances, absurdes et déprimants. Comme les malentendus entre personnes, les délires paranoïaques. Comme les théories du complot.

Mais ce n'est pas tout.

Paradoxalement, le sens véritable se dévoile quand on lâche prise, quand on délaisse ces sens fabriqués par notre cerveau.

C'est ce dont on fait l'expérience dans le silence intérieur. On ne fabrique rien. Aucun sens. Nulle interprétation. Et pourtant, on découvre la fontaine du sens absolu, bienfaisant, total, la plénitude incomparable. 
Bien sûr, ce sens là ne peut être exprimé par des mots. 
Mais il peut nous inspirer des mots. Des mots bienfaisants. 

Il faut ajouter cependant que cette recherche d'expression, d'incarnation, est une aventure dangereuse. Souvent, elle se traduit en un flot d'images sans queue ni tête, en superstitions, en règles délirantes, en système de correspondance magiques, en une sorte de cancer mental qui voit tout en tout, en dogmes et en religions. 
Mais on ne peut s'en empêcher.

L'attitude juste consiste donc à garder un œil critique sur notre tendance à voir du sens partout, tout en nous ouvrant au sens véritable qui se révèle dans le silence, en accueillant le besoin de l'exprimer, mais là aussi en gardant un certain recul critique.

Le sens absolu se trouve là où l'on a renoncé à tous les sens relatifs.

Pour entendre le Verbe du silence, il faut faire taire la parole discursive, comme un orchestre fait silence juste avant de commencer à jouer.  

1 commentaire:

  1. Les images dont vous parlez sont appelées des paréidolies;
    Un monde sans imaginaire, des enfants qui ne joueraient plus à guetter les palais dans les nuages et leurs ogres barbus, quelle tristesse...
    Ce serait alors la fin des ornementations fleuries et les armées de bouddhas ne jailliraient plus des lotus.

    Libre apparition des images
    Les paysages défilent
    L'esprit n'en est pas affecté

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