samedi 31 janvier 2015

Et qu'est-ce qu'on fait des émotions alors ?

Coucou ! Je suis pure conscience, mais je suis aussi désir !



Les approches non-dualistes proposent de reconnaître la Source - ou Dieu, ou la Déesse, comme vous voudrez - par la connaissance, l'intuition, la perception. Dans cette perspective, ils 'agit de voir. Et comme la Source est cela qui voit, on présente la Source comme vision, pure conscience, regard immaculé pareil à un ciel sans nuages, une immensité limpide. On peut transposer cette approche pour les autres sens : la Source est pure écoute, silence qui enveloppe bruit et silence, etc.

Mais qu'en est-il des émotions ? Que deviennent le désir, la volonté, l'amour, les affects, dans cette (non-)histoire ?

Eh bien... rien. 
C'est que les discours non-dualistes contemporains sont en grande majorité inspirés par la doctrine de Shankara. Selon lui, la Source est pure conscience, témoin de tout le reste. Y-compris des désirs et émotions. Donc la réponse que l'on entend souvent sur l'émotion est : "L'émotion est un objet qui va et vient dans l'espace de la conscience. Soyez-en le témoin et les émotions s'apaiseront d'elles-même". 

Ce qui n'est pas faux. Mais insatisfaisant. Car sec. Aride. Je crois aussi que la plupart des enseignants de non-dualité (les éveillés sans histoire, etc.) sentent bien cela. Surtout les femmes. Mais, prisonniers jusqu'à un certain point du style de Shankara, ils/elles n'arrivent pas à exprimer leur expérience. 

Car enfin, l'"éveil", ça ne peut pas juste consister à réaliser un fait du genre "il n'y a pas d'individu", il n'y a rien, juste un mécanisme universel impersonnel ! Ce genre d'idée peut amener une paix temporaire. Provisoire seulement. 

Pourquoi ? Parce qu'elle est en partie fausse. En effet, l'individu n'est pas un simple objet ou construction dans la conscience. Il y a une différence entre une personne et une table ! 

Mais laquelle ? 

Le désir justement. L'émotion. L'affect. La sensibilité. La réactivité. 
C'est cette dimension essentielle de notre être que le courant actuel de la non-dualité ignore, car il ne le comprend pas, même s'il en a une intuition profonde. Il ne le comprend pas, littéralement : il le rejette parmi les objets, les choses inertes et privées de conscience propre, là-dehors dans le monde des bidules et autres constructions mentales. 

Pourtant, il existe une autre approche, celle de la non-dualité tantrique, celle d'Abhinavagupta, celle "du Cachemire" : le tantra non-duel. Selon Abhinavagupta, la Source n'est pas une conscience-témoin, passive devant ce qui passe. Elle est la Source créatrice. 

Autrement dit, conscience=désir. C'est le point-clef. 

Mais, dira-t-on, le désir c'est le mental, l'imagination qui nous éloigne de l'ici-maintenant, nous emporte dans des histoires, des labyrinthes de souvenirs dont on ne sort plus. Sauf à se reconnaître dans l'instant comme conscience-témoin...

C'est vrai. En partie. C'est vrai pour les désirs. Mais tous ces désirs n'en font en réalité qu'un seul. Si l'on considère le désir tel qu'il est coloré par son objet - désir d'une pomme, désir de cette femme, désir de cette expérience-là, etc. - alors oui, on peut parler des désirs. 

Mais c'est comme pour la conscience. Si l'on considère la conscience sans la distinguer des choses, alors elle se réduit à une succession de pensées : conscience de la pomme, de cette femme, d'un souvenir de la pomme, etc. Mais au fond, il n'y à qu'une conscience qui semble "colorée" par une succession de choses - pomme, femme, etc. La conscience se confond avec les pensées parce qu'elle s'aveugle, elle s'identifie aux choses à la faveur d'un manque de lucidité. 

Eh bien, il en va exactement de même pour le désir, les émotions. A première vue, une succession de désirs et d'émotions nous traversent. Mais cela est vrai seulement si l'on envisage les choses visées par ces désirs, ces émotions. Si l'on regarde l'émotion en elle-même, elle est une, d'une seule saveur. Il n'y a qu'une émotion. Un seul désir. Et, de même que dans la reconnaissance de la pure conscience, on reconnaît que tout est en nous, dans la reconnaissance du pur désir, de l'émotion pure, on ressent que l'on ne fait qu'un avec la Source. 

Mais alors l'expérience n'est plus aride, sèche. Ce n'est plus cette non-dualité quelque peu anémiée qui lasse et qui passe. Car quand je reconnais que le premier ébranlement de tout désir est désir de tout, désir de la Source, désir provenant de la Source, et qui est la créativité pure de la Source elle-même, je me ressens comme un avec tout et tous. J'en fais l'expérience directe, immédiate, au cœur du désir. Toute émotion est mouvement vers la Source, élan vers le divin. Et ressenti comme unité avec toute chose, Avec tout être. C'est très différent ! La saveur de l'expérience est  alors celle de la plénitude. Pas juste une morne paix "sans personne pour...". Le cœur s'ouvre. Lentement, avec des rechutes, mais il s'ouvre. C'est indubitable. Alors que dans l'approche non-dualiste "sèche", l'amour tarde. S'il arrive jamais. Ca reste un peu abstrait, si vous voyez ce que je veux dire... On ne fait pas immédiatement l'expérience de l'amour. On entrevoit plutôt l'amour à travers un raisonnement : "Je suis conscience, tout est conscience, donc je suis tout, donc je suis l'amour". Mais l'expérience de la conscience-témoin n'est pas celle de l'amour. 

Encore une fois, je suis persuadé que, parmi les "éveillés", beaucoup font l'expérience directe de la Source comme désir, comme émotion, comme amour. Mais ils manquent des mots pour le dire, et ils sont un peu prisonniers de doctrines et de discours qui ne sont pas adaptés à ce qu'ils désirent partager. D'où des "satsangs" parfois un peu laborieux. Et des remises en question, des évolutions. Comme celle de Jeff Foster : parti du monde de l'impersonnel bien lisse, il a ensuite redécouvert l'individu, le personnel, le singulier, l'affectif, le désir. A côté de l'approche par la vision, il existe une approche par le désir.

Donc voilà. Je voulais juste signaler qu'à côté du non-dualisme impersonnel, il existe d'autre possibilités.
Bonne journée !

vendredi 30 janvier 2015

Comment pratiquer le silence ?



Cet exercice de silence se doit faire à l'exemple de celui de Dieu, qui n'a qu'une seule parole bien simple, spirituelle et sans bruit...

Cela se fait par une seule et simple vue ou souvenir de Dieu, qui tombe doucement dans le fond de l'esprit, et de l'esprit, encore plus doucement et plus amoureusement en Dieu, et ce avec une vive foi et une douceur indicible.

Attachez-vous y donc sans étude, et vous efforcez sans force, de faire cette heureuse chute de votre souvenir en Dieu le plus souvent, paisiblement, simplement, amoureusement, gaiement et librement qu'il vous sera possible, sans aucun bandement d'esprit, ne regardant pas cet exercice comme une tâche qu'il vous faut faire, mais comme une récréation sainte et libre, et dont la discontinuation vous est indifférente, quoique involontaire, faisant tout votre possible pour la continuer sans empressement ni attache, laissant à Dieu de vous conduire pour aller et venir comme il Lui plaira.

Martial d'Etampes, L'Exercice du silence, 1639



L'exercice du silence

L'exercice du silence est l'exercice de Dieu


On peut dire que Dieu n'a parlé qu'une fois en toute l'éternité, parce qu'il n'a engendré qu'un Fils qui est sa parole...
[Dieu] est finalement dans un silence de toutes sortes de changement et mouvement, parce qu'il est essentiellement immuable, infini, parfait en toutes manières, et par conséquent incapable de déchet et d'aucune nouvelle perfection ; d'où il s'ensuit qu'il est en un entier et perprétuel silence et inviolable repos, et même qu'il est naturellement silence, paix, repos, le centre de soi-même, des anges et des hommes.
Cet exercice du silence est donc merveilleusement excellent, puisque c'est l'exercice de Dieu et son essence même.

Martial d’Étampes, L'Exercice du silence, 1639

mardi 27 janvier 2015

Nouvelle traduction : Pour la pureté de l'âme

Pour la pureté de l'âme Cittavishiddhiprakarana

Le tantra c'est quoi ? Peut-on vraiment vivre par-delà Bien et Mal ? Être libre de tout tabou, est-ce être libre ? Qu'est-ce que l'âme ? Faut-il travailler sur soi ou seulement reconnaître ce qui est ?

Voici la traduction inédite d'un texte sanskrit qui répond à ces questions. Ecrit par le maître bouddhiste Âryadeva vers le VIIIe siècle, il évoque sans détour le point essentiel de la voie du tantra : le corps est pur, tout est sacré. Il est possible de guérir de la peur et de l'aveuglement qui empoisonnent la vie. 

Par exemple, ici l'auteur évoque l'attachement aux femmes :

Sachant que tout dans le monde
N’est que magie, mirage,
Fantaisie pareille à un songe,
Qui fait l'expérience de quoi,
Et comment ?

Ceux qui sont immatures
Sont attachés aux belles formes.
Ceux qui sont en chemin visent le détachement.
Mais ceux dont l’intelligence est la plus fine
Sont délivrés parce qu’ils connaissent
La vraie nature des belles formes.



Âryadeva, Pour la pureté de l'âme (Cittaratnavishuddhiprakarana)

Tout pour tout

Dans l'abandon, l'éveil


On peut faire les petites choses avec des dispositions si relevées, qu'elles soient plus agréables à Dieu que de grandes choses faites avec des dispositions moins parfaites.

Celui qui néglige et méprise les petites choses sera aussi négligent dans les grandes.

Dieu ne prend tout que pour rendre tout dans un état d'excellence et de perfection qui est au-dessus de tout ce qu'on peut dire et penser.

Nous gagnerons dans l'éternité tout ce que nous aurons perdu pour Dieu dans le temps ; nous perdrons dans l'éternité tout ce que nous lui aurons refusé dans le temps.

Jean-Nicolas Grou, Manuel des âmes intérieures

Gurushishya paramparâ :

lundi 26 janvier 2015

Immensité transparente

Description du râga Mâlavakosha, apparenté à Chandrakosha

Voici un poème en hindî chanté dans le genre dhrupad, dans le râga chandrakauns.
Ce poème dont je propose ici une traduction est de Baïdjou, l'un des grand musiciens et poète de la cour de l'empereur moghol Akbar au XVIe siècle. Baïdjou est, avec Tansen, une figure légendaire de la musique spirituelle et savante de l'Inde. Leurs rivalités ont inspiré romans et films.

niranjana nirakara parabrahma parameshwara.  
ek hi anek hoye vyapyo vishambhara. 
alakha jyoti avinashi jyoti rupa jagatarana. 
jagannatha jagatapati jagajivana jagadhara. 
baahi mein sab jiva jantu suranara muni guni gyani. 
nabhi kamal te brahma pragatayo shataroopa manvantara. 
kahe baiju vahi brahma vahi virata roopa vahi. 
aap avataar bhaye chaubis vap(s ?)udhara.

Transparent, sans forme,
Il est l'Immense en sa transcendance, 
Le Seigneur suprême.
Un, il se fait multiple
Et il imprègne toutes choses.
Lumière ineffable,
Lumière imprérissable,
Lumière qui sauve le monde,
Il est le refuge du monde,
Le berger du monde,
l'äme du monde, le fondement du monde.
En lui vivent les créatures,
Les dieux, les hommes, 
Les sages, les vertueux et les savants.
De ton nombril jaillit un lotus,
De lui Brahmâ
et cent cycles des hommes.
Voilà ce que dit Baïdjou :
C'est lui l'Immense,
Lui le glorieux.
Il est le créateur 
Des vingt-quatre trésors de la terre.

Ecoutez ce poème chanté par Wasifuddin Dagar :




dimanche 25 janvier 2015

Nous sommes ce que nous aimons


Si je m'unis à des choses qui sont dans un mouvement continuel, j'éprouve la même agitation ; si je m'attache à Dieu, qui seul est immuable, je participe à son immuabilité, et rien ne peut m'ébranler, tant que je ne m'en sépare pas.

Jean-Nicolas Grou, Manuel des âmes intérieures

La voie


Le salut n'est pas dans le yoga
Ni dans la voie abstraite,
Ni dans le difficile chemin des conjectures,
Ni dans une intelligence sans espérance
Qui renonce à ce monde-ci et à l'au-delà.
Il existe un mystérieux berger,
(Tous) aspirent à devenir son ami
Et  pourtant, 
Il s'attache à nous
(Comme) à ses bien-aimées.
Les sages cherchent à comprendre...
Existe t-il merveille
Plus merveilleuse que cela ?

Narahari, L'Essence de l'éveil


samedi 24 janvier 2015

Une vue simple, sans discours

Sans discours


La contemplation est une

"simple vue de foi actuelle sans considération, sans discours et sans raisonnement, bannissant et anéantissant toute la lumière naturelle de la raison, et toute sorte de pensée et de connaissance de l'entendement qui ne pense, ne voit et ne croit que Dieu seul tel qu'il est en lui-même".

Cette nudité

"excite dans le même instant et comme imperceptiblement un amour de Dieu actuel pur et simple dans la volonté qui s'embrase tellement en l'amour de Dieu que la foi lui montre être tout en elle, qu'elle trouve un goût spirituel, et une joie et satisfaction intime en Dieu tout présent en elle, dont elle a une paix et un repos que l'on peut beaucoup mieux expérimenter qu'exprimer ; ce qui est la cause que souvent l'âme passe des heures entières dans cette oraison de pure foi comme s'y elle n'y avait été qu'un moment ; et qu'après cette oraison elle se porte à tout ce qui est de la plus grande perfection avec une facilité et une ferveur tout à fait surprenantes".

Paulin d'Aumal, Discours du Dieu seul, dans Mystiques franciscains

vendredi 23 janvier 2015

Un petit geste

"Virûpa stoppe le soleil"


Le soleil est le mental qui émerge dans le ciel de la conscience. 
Il est la manifestation de l'espace.
Pourtant, par son rayonnement, il aveugle et cache le ciel qui l'accueille. 
Le yogi prend le soleil entre ses doigts (essayez, c'est plus facile qu'il n'y paraît), puis cache le soleil du doigt : le mental est un rien qui semble tout cacher ! 
Il contemple alors le ciel, illuminé et non plus caché, par le soleil.




La Semence divine


Rasânkushî


Dans le Tantra de l'Océan mercuriel (Rasârnava), la Déesse demande à Dieu de lui dire l'origine du mercure. Comment est-il descendu (avatara) sur terre ?
Dieu répond qu'il est engendré par leur union :

"A jamais,
Tu es la mère de tous les êtres.
Et je suis leur père.
Le mercure est le fluide vital (rasa)
Engendré par nous deux :
Il est né de la grande étreinte !"

Il décrit ensuite les différentes sortes de mercure. Le cinabre (sulfure de mercure en cristaux rouges, abondant autour de certaines sources en Inde) est la semence de Dieu tombée à terre. Parmi les substances terrestres, le mercure est, avec l'or, la plus puissante. Mais il faut aussi comprendre que cette semence est notre âme et son support charnel - le sperme (masculin) et le sang (féminin).
Le mercure est l'objet. La conscience est le sujet. Et la semence sexuelle est le lien entre les deux, entre la conscience manifestée et la conscience manifestante. Car, nous dit Abhinavagupta, la semence a pour cause la félicité (la conscience manifestante) et elle résulte de la félicité (conscience manifestée). 

Mais Abhinavagupta présente une version du Trika sacramentelle, non pas yogique ou alchimique, quoiqu'il emploie leur vocabulaire imagé : dans le Kula sacramentel on fait l'amour et on offre les sécrétions sexuelles au couple divin. C'est le "sacrifice primordial" (âdiyâga) de la semence extérieure

Dans la branche alchimico-yogique du Trika, en revanche, on travaille sur la semence intérieure, principalement en évitant qu'elle s'épanche au dehors. Autrement dit, il s'agit du hathayoga, avec ses techniques de "rétention spermatique". 

Ainsi il y a deux approches du sexe dans le tantra : sacrementelle ou yogique. 

Dans l'approche sacramentelle, on fait l'amour de façon ordinaire, mais avec une attention extraordinaire portée au ressenti. 
Dans l'approche yogique, on emploie des techniques pour engendrer un ressenti extraordinaire. 
Ce qui ne revient pas à dire que l'approche sacramentelle ignore les arts d'Eros... Au reste, il existe plusieurs traditions des arts de l'amour en Inde. A côté de celle de Vâstyâyana, bien connue à travers son Kâmasûtra, il existe une approche plus affinée, tantrique, avec notamment le manuel de Mînanâtha, la Lampe d'Eros (Smaradîpikâ). Mînanâtha n'est autre que Matsyendranâtha, l'introducteur (avatâraka) du Kula sur terre.

Quoiqu'il en soit, le mercure ou fluide vital est un synonyme de la conscience, de la vibration de vie. Dieu donne l'exemple du son du silence :

"Souveraine des dieux !
Pour qui le Seigneur du mercure
Est présent au creux de l'oreille,
Dans l'espace du cœur,
La délivrance des péchés et des renaissances
Est immédiate."

Evidemment, il peut s'agir des préceptes alchimiques, que l'adepte doit toujours garder présent en son cœur. "L'espace du cœur" est une métaphore classique de l'intellect. Mais à chaque fois, l'interprétation spirituelle est légitime, car les termes employés sont les mêmes. A dessein.
Cependant, il y a toujours, dans l'alchimie tantrique comme dans les autres, une ambiguïté. On ne sait jamais s'il est question de transmutation par le mercure chimique ou pas. Par exemple, notre tantra dit :

"La science du vol (magique) est inférieure.
La science des trésors (cachés) est médiocre.
Quant à la science des mantras,
Elle est supérieure.
Mais la science mercurielle
Est suprême !
Celui qui dénigre la science mercurielle
Alors qu'il connaît à fond
Les mantras et les tantras,
Celui-là va en enfer,
Ou il sera découpé
Et entassé !
La science ultime,
La science mercurielle
Est presqu'impossible à obtenir
Dans les trois mondes.
Elle procure jouissance et délivrance.
On ne doit donc la confier
Qu'à celui qui a les qualités
Requises...
Certains disent que "c'est vrai".
D'autres disent que "ce n'est pas vrai".
Je stipule que celui qui croit réalisera en ce monde.
Celui qui n'a pas cette foi, 
Celui qui insiste que "clea n'existe pas",
Celui-là,
Ô Bien-aimée !
Ne réalisera jamais,
Même après des millions d'existences !
Celui qui (prétend) être délivré 
Par la connaissance de l'absolu
(Mais) qui méprise la (science) mercurielle,
Celui-là est un pécheur.
Je ne le sauverai jamais
Du devenir !
Il renaîtra mille fois comme chien !
Des millions de fois comme chat !"

Des milliards de fois comme fourmis, asticots, etc., etc.
Bref, faut pas se moquer des alchimistes. L'auteur a visiblement souffert des sceptiques, comme beaucoup de par le monde. 
Mille fois chien, pourquoi pas ? Tout dépend du temps et du lieu... Mais des millions de vies de chats ? C'est vrai que ça fait peur. Des milliards de boîtes de pâté... Ça fait frémir.
Reste que ce tantra confirme le message central du Kula : une liberté incarnée, concrète. Mais qui ne passe pas pour autant par des techniques et des tribulations alambiquées (sans jeu de mot, bien entendu).


The Hermaphrodite in Ovid.

jeudi 22 janvier 2015

La gnose mercurielle

Alchimie du silence

Après que Dieu ait révélé à la Déesse la véritable liberté, la liberté incarnée, il lui explique le moyen de l'atteindre :

La sublime Déesse demanda :

Dieu des dieux !
J'ai entendu cette définition
De la liberté incarnée.
Si tu as de la compassion pour moi,
Révèle-moi le moyen de l'atteindre !

Dieu répondit :

Maîtresse des dieux !
C'est par l'Œuvre que l'on
Parvient à conserver le corps.
On considère que l'Œuvre est double :
A la fois mercure et souffle vital.
Cristallisés, le mercure et le souffle vital
Guérissent les maladies.
Morts, ils ressuscitent.
Maîtrisés, ils procurent le pouvoir
De voler dans l'espace,
Ô Bhairavî !

Souveraine des dieux !
La liberté naît de la connaissance,
La connaissance naît de la conservation du souffle.
Alors, ô Déesse, le corps se conserve.
Et quand il se conserve, ô Déesse,
Le mercure puissant
Engendre sans délai
Un corps sans vieillesse ni mort,
Et aussi une vision spirituelle claire,
Grâce à l'application du mercure.
Ô Déesse, vraiment,
On obtient la connaissance théorique
Puis la connaissance (qui libère).
Les mantras de celui qui
Goûte le mercure neutralisé
Deviennent efficace.

Mais tant que l'on n'a pas reçu la grâce,
On ne se libérera point des liens.
Comment, (sans la grâce),
Comprendrait-on ?
Quand le mercure est neutralisé,
On devient le maître.
Pour ceux qui sont avides d'alcool et de viande,
Plongé dans l'adoration du vagin et du phallus,
Et dont l'intellect est, par conséquent, réduit à néant,
La connaissance du mercure est
(Certes) bien difficile à atteindre !

(D'un autre côté),
Ceux qui s'attachent aux six doctrines,
Privés de l'enseignement du Kula,
Ne réalisent pas non plus le mercure,
Ô Déesse :
Ils s'abreuvent à un mirage !
Mais celui qui mange de la viande de vache
Et l'immortelle liqueur,
Celui-là est un membre de la divine Famille, le Kula,
Que je respecte.
Les autres (prétendus) experts en mercure
Sont inférieurs.

Dans la transmission traditionnelle,
Il n'y a qu'une vérité :
Celle du travail du mercure.
C'est par lui qu'on atteint la réalisation.
Pas de réalisation sans mercure.
Tant que l'on n'ingère point
La semence de Dieu,
Le fluide vital qui procure la transcendance,
D'où viendrait la liberté ?
D'où viendrait la conservation du corps ?
Les "sages" qui affirment que la sagesse
Consiste à s'adonner
A l'alcool et à la viande
Sont égarés par le pouvoir magique
De Dieu.
Ils divaguent quand ils disent :
"Nous sommes délivrés,
Nous nous en allons vers
Le sanctuaire de Dieu".
Ils ne se préoccupent pas
De la conservation de leur corps,
Ces imbéciles !
Parce que leur connaissance
Est chaotique, ô Maîtresse des dieux,
Ils sont conditionnés par les êtres et les choses.

Atteindre en ce corps même
Le pouvoir de voler dans l'espace,
C'est être Dieu.
C'est à cette connaissance mercurielle
Que tu dois chaque jour t'exercer,

Ma bien-aimée !

Extrait du tantra de l'Océan mercuriel

"Mercure" traduit généralement le sanskrit rasa qui désigne tout fluide vital, nourricier : l'eau et la semence, principalement. 
Le mercure, rappelons-le, est un poison des plus virulents et l'un des plus graves polluants aujourd'hui. Les alchimistes amateurs de mercure l'ont découvert siècle après siècle, à leur dépens. Ainsi l'empereur qui donna son nom à la Chine - Qin Shi Huang Di - mourut-il d'empoisonnement au mercure... 
Dans l'alchimie tantrique, rasa doit se comprendre avec pavana, le souffle vital. Il s'agit d'une alchimie interne, aidée par quelques préparations minérales et végétales. 
Le rasa ou mercure désigne alors deux choses : la semence, et le mental. 
Il s'agit de maîtriser le désir sexuel, le mental et l'énergie vitale, chacun à l'aide des deux autres. On parvient alors à l'union du soleil et de la lune, hatha. 
Si je vous propose ces extraits, ce n'est donc pas pour vous convertir au mercurisme, mais pour vous offrir un accès au contexte du yoga tantrique, utile pour comprendre sa langue. Encore une fois, il est bon de mettre en garde contre la tentation de l'usage du mercure, d'autant plus qu'en Inde il y a des hordes de charlatans qui vendent du mercure miraculeux, des lingas de mercure, etc. Il y a même un gourou très en vue qui propose des bains dans des eaux "énergisées" par des lingas de mercure ! 

La voie royale ne requiert pas d'autres instruments que ce qui est disponible, ici et maintenant.




mercredi 21 janvier 2015

Weekend en Bourgogne

Invitation à découvrir et partager la méditation du cœur
pendant deux jours de méditation et d'échanges en Bourgogne. 
Yâmalabhairavâya namah !
Cliquer sur l'image pour agrandir

La liberté incarnée est rare

La Déesse s'éveille éternellement à la source de l'inspir et de l'expir


Suite de la réponse de Dieu à la Déesse : 
Qu'est-ce que la liberté incarnée ? 
Qu'est-ce donc qu'elle n'est pas ?


...


Ô Déesse qui contient toute divinité !
La liberté incarnée est difficile à gagner,
Même pour les dieux.
Elle est la conscience de ne faire qu'un avec Dieu
Pour qui est doté d'un corps sans vieillesse ni mort.
La liberté présentée comme une délivrance
Qui a lieu à la mort du corps
Est une liberté bien vaine !
Déesse ! 
Si l'on est libre quand le corps meurt,
Alors les ânes aussi sont libres !
Et si la liberté consiste dans l'excitation sexuelle,
Pourquoi les ânes ne sont ils point libres ?
Et pourquoi pas les boucs et les taureaux,
Et pourquoi pas tout le monde,
Ô Mère (du monde) ?
Par conséquent, il faut veiller sur le corps
Grâce aux élixirs,
Et surtout par l'entremise du mercure
Et du fluide vital (qui est sa contrepartie dans le corps).
Si la liberté consistait seulement
A vénérer le sperme, l'urine et les excréments,
Alors pourquoi, ô grande Déesse,
Les chiens et les porcs ne sont-ils pas libres ?
De même encore,
La liberté prônée dans les six doctrines,
Présentée comme faisant suite à la mort,
N'est pas objet d'expérience directe,
A la manière d'un fruit
Dans la paume de la main :
(Cette liberté abstraite est donc vaine).

Souveraine des dieux !
Cette essence réelle, cette substance véritable,
Est ineffable.
Je vais pourtant te la révéler...

Même l'homme vertueux,
Livré aux rituels mantriques,
Ne parvient pas à conserver son corps.
Les dieux mêmes, ô maîtresse des dieux,
On bien du mal à conserver leur corps !
Alors que dire des hommes
Qui habitent la surface de cette terre...

Si le corps périt,
Comment pratiquer une spiritualité ?
En l'absence de spiritualité,
Que deviendrait la pratique spirituelle ?
En l'absence de pratique,
Que deviendrait le yoga ?
En l'absence de yoga, 
A quoi bon rêver de salut ?
Et en l'absence de salut,
A quoi bon parler de liberté ?
Et s'il n'y a pas de liberté,
Il n'y a plus rien !


La Déesse demanda : ...

Extrait du Tantra de l'Océan mercuriel


Dieu critique ici deux extrêmes : négliger le corps par le bas, dans la régression prônée par les partisans de la transgression à tout bout de champs ; et négliger le corps par le haut, dans une obsession transcendante qui caractérise les spiritualités communes, qui ne savent valoriser ceci qu'en dénigrant cela. Les "six doctrines" ne sont pas nécessairement les six philosophies soi-disant "classiques", mais renvoient probablement à six religions : bouddhisme, jaïnisme, vishnouïsme, shivaïsme, suryaïsme et shâktisme.