mardi 20 janvier 2015

Liberté incarnée

Le Seigneur du mercure avale toutes les eaux, à l'image du feu de la fin des temps.
Il inverse ainsi les pouvoirs du soleil et de la lune, ha-tha yoga


L'alchimie tantrique est celle de la tradition du Kula, du Clan, de la Famille divine, transmise par les Parfaits et les Yoginis depuis des temps sans commencement.

On me demandera : Quel rapport avec le "shivaïsme du Cachemire" ? 

Eh bien, tout simplement, il existe dans le Trika, la branche du Kula dont relève ledit shivaïsme, une voie alchimique, une voie mercurielle dont l'adage est "Dans le corps, comme dans le métal". 

Son but est la liberté dans un corps immortel, à travers une "oeuvre en deux parties" : dans le métal et dans le corps. Le métal crucial est le mercure, semence de Dieu tombée dans la matière. Mélangé à ses scories, il n'atteint pas sa perfection, celle de l'or. De même, le sperme est la semence de Dieu dans le temple de la chair. Mais, emprisonné dans les scories du sang, sa véritable nature demeure cachée. De même, le mercure insaisissable, le vif-argent, est le mental qui, une fois préparé par l'Oeuvre, devient capable de transmuter le monde en paradis.

Le lieu de l'oeuvre mercurielle est le Pavillion du mercure, temple au centre duquel se trouve un emblème de mercure, au centre d'un mandala, entouré d'un triangle dont les trois angles sont les trois déesses du Trika. Cet emblème ou linga, ou encore "colonne de semence mercurielle" est le Seigneur du mercure, qui jaillit des tréfonds de la terre, attiré par l'Enchanteresse du mercure (Rasânkoushî Bhairavî), écho d'une très ancienne fable de la mémoire humaine.

Au quatre coins du labo (action, kriyâ shakti) en forme d'oratoire (contemplation, jnâna shakti), lieu de l'union, se trouvent les instruments et ingrédients de l'Oeuvre, répartis selon les éléments. On commence face à l'est et l'on finit au nord. L'adepte parcoure ainsi les dix-huit opérations : huit pour la spagyrie, huit pour le Grand Oeuvre, une pour transmuter le métal, et une, enfin, pour transmuter la chair.

Toute ce travail s'accomplit dans l'amour divin (bhakti). Le tantra du shivaïsme non-duel que je paraphrase ici, le Tantra de l'Océan mercuriel (Rasârnava, vers le Xe siècle), souligne que rien n'est possible sans dévotion. 
De même, il faut à la fois un maître - des conseils oraux - et des textes. 
Il faut aussi être dévoué à la tradition du Kula, avec ses symboles, ses mantras et ses mandalas. 
Il faut une initiation, sachant toutefois que l’initiation du Kula est toujours une transmutation (vedha), et que l'Oeuvre elle-même fait ici office d'initiation. Elle en est, du moins, l'essence vitale. 
Enfin, il faut à l'adepte une partenaire. Car, selon l'alchimie tantrique, l'adepte ne pourra ingérer le mercure si son corps n'a pas été préparé - à l'instar du mercure lui-même - par le yoga de l'union sacrée. 
Cette voie insiste sur l'importance de l'expérience directe, et critique les autres voies pour leurs bavardages invérifiables. 

Le yoga est une alchimie interne.
L'alchimie est un yoga externe.

Ils sont inséparables, "comme les deux ailes d'un oiseau".

Voici le début du Tantra de l'océan mercuriel :



Tout est en lui.
Tout vient de lui.
Il est tout, partout.
Tout est fait de lui,
Toujours.
Hommage au Soi
De tout et de tous !

Dans un agréable jardin
A la cime du mont de cristal,
Orné de myriades de joyaux,
Traversé de lianes et d'arbres variés,
Vierge de tout défaut caché,
Le Dieu des dieux trônait à son aise,
La gorge teintée de bleu sombre,
Le visage paré de ses trois yeux.
La Déesse, fille de la montagne,
Se prosterna en touchant de son front
(Les pieds de Dieu).

La sublime Déesse demanda :

Dieu des dieux !
Dieu qui enveloppe toute divinité !
Toi qui consume le corps
D’Éros et de Thanatos !
Par ta grâce, j'ai entendu avec attention
Tout ce qui est enseigné
Dans les traditions du Kula, du Kaula,
Du Kaula intégral,
Du Kula des Parfaits et du
(Kula des Yoginis).

Si tu désire me prendre auprès de toi,
Si je te suis chère,
Ô maître !
Alors je suis bien digne
Que tu me révèle
Cette liberté en cette vie même
Qui est suggérée dans tous les tantras,
Et qui pourtant n'y est pas
Mise en pleine lumière....

Le sublime Dieu, le Bhairava, répondit :

Bien ! Excellent, ô toi
Qui possède cette fortune qui contient et surpasse toutes les autres !
Excellent, ô joie des montagnes !
Ta question est excellente, ô Déesse !

Tu l'a posée pour le bien des amoureux...

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