samedi 28 février 2015

Dissolution de l'ego ou élargissement de l'ego ?

L'énergie danse dans l'espace
Rien n'est supprimé, tout est transmuté


Le tantra non-duel est la synthèse la plus juste et la plus complète que je connaisse. 

Par synthèse, j'entends une philosophie qui accueille, sans les confondre, toutes les voies intérieures et leurs expériences. Par tantra non-duel, je désigne un ensemble de traditions ésotériques autour du Kula, la divine Famille de Shiva et Shakti, ainsi que les philosophies inspirées par ces traditions. 

Cela recoupe en partie le "shivaïsme du Cachemire", mais en partie seulement, car le tantra non-duel est plus vaste, il a existé avant et après l'âge d'or du Cachemire, et ailleurs qu'au Cachemire, même si les plus importants maîtres du tantra non-duel (Abhinavagupta et Utpaladeva) on bien vécu au Cachemire. 

Comme dit Michel Hulin, dans le tantra non-duel "une certaine intuition upanishadique de la positivité mystique (et non pas empirique !) de l'ego, demeurée inexploitée dans les darshanas classiques, réapparaît et s'y avère féconde". Il pointe "l'originalité d'une d'une conception de l'ego dans laquelle celui-ci n'aurait plus à se renier pour s'accomplir, ne se rendrait pas homogène à la conscience absolue au prix d'un dépouillement systématique de toutes ses appartenances concrètes, mais se laisserait magnifier par l'élan même de ses attachements et aversions passionnés." (Le Principe de l'ego..., p. 283)

On ne saurait mieux dire. 
Et dire aussi la différence entre cette non-dualité par inclusion proposée par le tantra et la non-dualité par exclusion de Shankara. Hulin résume ainsi cette différence :

"D'un côté, un absolu inerte (shântabrahman ou "nuit où toutes les vaches sont noires") englobant toutes les manifestations finies, tous les "modes", mais ne se ressaisissant pas lui-même et ne prenant pas conscience de son propre caractère d'Englobant. De l'autre, un absolu capable de se nier, de se déchirer, mais se reconstituant lui-même au-delà de cette scission.

D'un côté, la shânti, la paix des profondeurs, immuable, indifférente à l'agitation de surface. De l'autre, une véritable inquiétude de l'absolu, un "délire bachique où il n'y a aucun membre qui ne soit ivre, mais qui est en même temps le repos translucide et calme".

D'un côté, une manifestation cosmique ne reposant que sur l'illusion, de l'autre un libre engagement de Shiva (ou de l'Esprit Absolu) dans le déploiement cosmique. 

D'un côté enfin, un ascétisme social, physique et intellectuel rigoureux, l'extinction systématique des affects, l'exténuation progressive de toute expérience liée au sensible. Et de l'autre, le refus de tourner le dos à la vie, la valorisation de l'affectivité et de sa sublimation à travers la perception esthétique, l'effort pour saisir l'absolu en acte à l'intérieur du plus humble des vécus.

Nous détiendrions ainsi avec l'Advaita la version indienne de la conception la plus restrictive, ou négative, de l'individualité : omnis determinatio est negatio. Le seul "sens" possible de l'existence individuelle serait de travailler à sa propre dissolution, de faire cesser l'espèce de scandale métaphysique qu'elle constitue. Dans la perspective tantrique, au contraire, le sens de l'existence individuelle serait son propre élargissement : faire "sauter" les verrouillages, les ancrages dans les habitus corporels et mentaux, réinjecter le sentiment du Je dans toutes les zones de l'être devenues comme mortes sous l'effet de l'inertie" (p. 357).

Voici l'hommage d'un commentateur anonyme de l'Îshvarapratyabhijnâvimarshinî d'Abhinavagupta, texte retrouvé dans le Sud de l'Inde :

Hommage à ce Shiva,
A cette Lumière consciente
Accompagnée de réflexion,
A lui dont le corps
Est cet univers
De noms et de formes
Qui est son divertissement gratuit !


Bonne journée !

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