jeudi 26 février 2015

La portée morale de la doctrine du non-Soi

Bonjour, je suis Bouddha. Je suis un moraliste



La doctrine de l'absence de Soi dans les êtres et dans les choses est un dogme cardinal du bouddhisme. Il consiste à dire qu"il n'y a que des paroles, mais pas de Soi qui parle", etc. Le seul Soi existant est un flux de causes et de conditions interdépendantes. Pour le dire autrement : il n'existe pas de "tout", mais seulement des "parties".

Mais pourquoi le bouddhisme a-t-il donné tant d'importance à cette doctrine ? Pourquoi s'accrocher à ce dogme qui entraîne de redoutables difficultés ? Pourquoi le bouddhisme n'a-t-il pas préservé l'agnosticisme du Bouddha ?

Il semblerait que, de fait, cette doctrine du non-Soi ait été présente au coeur de l'enseignement du Bouddha lui-même. Mais pourquoi ? Si le Bouddha nie l'existence du Soi, à quoi bon une pratique vers l'Eveil ? Qui pratique ? Et à quoi bon une morale sur ce chemin ? Qui chemine ?

La réponse est dans le problème.

Car il faut bien voir que le Bouddha rejette deux visions du Soi : la vision selon laquelle le Soi disparaît au moment de la mort ; et celle selon laquelle le Soi est permanent et immuable.

Dès lors que ce contexte est vu, la doctrine du non-Soi s'éclaire : elle a une portée morale. Car en effet, si le Soi disparaît avec le corps, attendu qu'il ne serait rien de plus que ce corps, alors nul ne serait là pour subir les conséquences des actes posés durant sa vie : ce serait immoral. A l'inverse, si le Soi est foncièrement immuable, alors peu importe ce qu'il fait ou ne fait pas : ce serait une autre forme d'immoralisme, que l'on voit d'ailleurs souvent dans les milieux non-dualistes. "Et alors ?" entend t-on, "le Soi est au-delà de tout ça !", "Je suis sans passé, sans histoires, youpi !"

La doctrine du non-Soi n'affirme pas que le Soi n'existe pas, mais affirme que ces deux sortes de Soi - celui du "nihiliste" et celui de l'"éternaliste" - n'existent pas. Selon le bouddhisme, le Soi n'est ni le corps, ni une entité totalement désengagée du corps. La doctrine du non-Soi affirme qu'il existe bien un Soi, c'est-à-dire une individualité responsable de ses actes. Derrière ses difficultés, il faut donc bien voir l'intention moraliste qui préside. La doctrine du non-Soi serait ainsi une première approche (neya-artha) d'une doctrine morale, laquelle serait le fin mot de l'enseignement du Bouddha (nîta-artha). En d'autres termes, le Bouddha croit avant tout en l'importance de l'évolution morale de la personne, et tient donc à préserver les conditions de possibilité théoriques de cette évolution. Or, s'il n'y a pas de Soi du tout, ou si le Soi est déjà tout ce qu'il sera pour l'éternité, il n'y a plus d'évolution morale. 
La fameuse doctrine du non-Soi aurait donc une portée essentiellement morale.

Telle est aussi la conclusion de Michel Hulin dans son Principe de l'ego dans la pensée indienne classique, livre que j'ai cité et que j'aurais l'occasion de citer à nouveau. Je l'ai découvert en 1990, et il a eu une influence décisive sur mon parcours. Voici ce passage sur la portée morale de la doctrine du non-Soi dans le bouddhisme :

"Ce que le bouddhisme, en définitive, reproche aux deux thèses extrêmes [du Soi inexistant et du Soi permanent], c'est de ne pas prendre au sérieux l'acte et la responsabilité de la personne. D'un côté, la perspective de la mort comme anéantissement décourage à l'avance toute activité qui ne serait pas recherche d'un plaisir immédiat. De l'autre, toute activité devient inutile et même impossible si, d'un certain point de vue, l'individu est déjà tout ce qu'il peut et doit être? Tout son engagement apparent dans des tâches mondaines ou religieuses n'est plus alors que vaine agitation, jeu irréel, gratuit et irresponsable. A la limite, d'ailleurs, les deux extrêmes se rejoignent et deviennent pratiquement indiscernables dans la mesure où ils conduisent, l'un comme l'autre, à vivre dans le caprice de l'instant et le refus de tout engagement véritable".

On ne saurait mieux décrire la situation de beaucoup de nos contemporains "chercheurs spirituels"... La ressemblance entre le culte de l'instant tel qu'il se vit dans le consumérisme et le culte du même instant présent dans certaines formes de non-dualisme n'est-elle pas frappante ? Le rejet de l'individualité n'est-elle pas souvent une manière de se dédouaner à peu de frais de ses responsabilités ? Or il existe deux façons de se débarrasser de l'individualité : en disant qu'il n'y a pas de Soi du tout. Ce qui serait la thèse matérialiste naïve d'un chacun. Ou en disant que le Soi est immuable et que toute le reste est irréel. Ce qui serait la thèse de certains non-dualistes.

D'un autre côté, il ne faut pas non plus perdre de vue qu'aucun chemin spirituel n'est possible sans une relativisation de l'individualité et sans l'abandon à "quelque chose de plus grand". Le tout est de penser les choses de manière à ne pas mettre la Source au service des caprices du petit moi, mais plutôt d'offrir le petit moi au service de la Source.

Bonne journée !

2 commentaires:

  1. Très bon article et très clair ! Cela me fait penser à la prière orthodoxe récitée quotidiennement pendant le carême : Seigneur et maître de ma vie, l'esprit d'oisiveté, de découragement, de domination et de vaines paroles, éloigne de moi ! L'esprit d'intégrité, d'humilité, de patience et de charité, accorde à ton serviteur ! Oui Seigneur et roi, donne moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère ! On peut remplacer Seigneur et Roi, par COnscience, ou Soi. Chacun ne sait-sent-il pas quand il manque à la vérité ? Amicalement François

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  2. Bonjour monsieur je dois admettre que j’ai de la peine avec le non-essencialiste du bouddhisme moi qui suis profondément essencialiste (mais pas comme on le conçoit traditionnellement)

    Pour moi lorsque le bouddha dis qu’il n’y as pas de nature profonde que tout es vide ce n’es pas à prendre aux sens premier .
    C’est pour expliquer qu’elle est insaisissable, qu’on ne peux pas la réduire à une seul fonction mais ll existe bien une essence et cette essence à un je ne sais quoi qui lui est propre mais ce je ne sais quoi nes pas une faculté ou un attribut particulier elle est la « saveur » même de l’essence de l’esprit mais dire qu’elle est vide ça ne veux en sois rien dire

    Elle est vide ,vide de contrainte mais pas vide de désir .

    Il y as des essences qui ont le désir d’enseigner mais ce désir d’enseigner peut prendre de multiples formes pourtant le désir lui même est inée ,il pourra être boulanger et apprendre à faire le pain ,pasteur est apprendre la messe aux enfant ou professeur
    Mais il y as quelque chose qui est propre à l’âme quelque chose qui n’es pas totalement vide qui ne nous détermine pas totalement mais qui ne nous laisse pas totalement libre

    On as la liberté de l’orientation du désir mais pas du désir lui même ce désir est la couleur de l’âme .

    Bref je m’éloigne du sujet
    Initial pardon .

    Bonne journée à vous

    Fabio

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