vendredi 30 octobre 2015

La question des visions

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Postures et visions traditionnelles dans le dzogchen


Quand on pratique une forme de méditation, des visions apparaissent souvent.

La plupart des traditions mettent en garde : surtout, ne pas s'y attacher, ne pas leur donner d'importance, ne pas les investir d'un sens et d'une valeur qu'elles n'ont pas. 
La vraie vision est la vision non-duelle, vision pure et simple. Tout l'effort est de rester sobre. De ne pas céder à la tentation, au chant des sirènes.

Il y a toutefois des traditions qui ont donné un sens à des visions, en les distinguant des visions fantaisistes, mentales, imaginaires. La plupart des visions viendraient des parties inférieures de l'âme, mais certaines seraient de véritables révélations d'un au-delà du mental. Ce qui suppose une doctrine intéressante de la forme comme pouvant incarner le sans-forme et, par là, la recherche d'une synthèse riche, par-delà l'opposition un peu plate entre forme et sans-forme ; ce que je trouve très fécond. 
Quelques résultats sont l'imaginal, le monde astral, le sambhogakâya bouddhiste, les Chemins purs du shivaïsme et le monde intelligible. Il en irait donc des visions comme des rêves : il y a des rêves mécaniques, qui n'ont pas de signification spirituelle, et des rêves qui viennent de "là-bas". Des dévoilements du divin.
Cette opposition à propos du statut et de la valeur des visions se retrouve dans toutes les traditions. Il y a débat.

Parmi les partisans d'une voie fondée sur ces visions, les plus explicites et détaillées sont le Kula, le Kâlacakra et le dzogchen en Asie. Mais il y a aussi des indices sérieux chez Jamblique et, de manière générale, en Occident. Mon propos ici n'est pas de les recenser.

Selon les partisans de ces visions, qui doivent être distinguées des visualisations (effort délibéré pour faire apparaître une image mentale), ces visions ont une forme, mais ne sont pas pour autant faites de matières, ni dérivées de la matière. Ce sont des formes qui donnent forme aux Formes, aux Idées, aux essence atemporelles qui peuplent le monde intelligible. Ces sont des formes qui donnent forme à ce qui est au-delà des limites de l'espace et du temps. Ce sont donc des formes paradoxales, déroutantes pour l'entendement. Par exemple, on voit des figures "impossibles" à l'image des gravures d'Escher. De plus, ces formes ne viennent pas d'une éducation, d'une culture, mais d'un au-delà de toute culture, d'un royaume intermédiaire entre les essences universelles et les formes matérielles particulières. Elles sont, dans une certaine mesure, informées par l’éducation, mais sans s'y réduire.

Il y a là tout un champ de réflexion. En général, soit les gens sont pour, soit ils sont contre, mais sans examiner les choses de près. Par exemple, quand on fait remarquer aux adeptes des visions du dzogchen que ces visions existent dans d'autres traditions ou sont connues des physiciens, ils rejettent d'avance tout rapprochement et se réfugient derrière des dogmes;

Pourtant, là comme ailleurs, il serait fécond de se livrer à des comparaison et des enquêtes, afin de réévaluer ces visions. N'ont-elles pas une base physiologique ? Pourquoi la physique en a t-elle découvert en étudiant la lumière ? Les interprétations traditionnelles sont-elles pertinentes ? Que signifie ces visions ? Peuvent-elles amener une transformation de tout l'être ? Nous disent-elles quelque chose de l'au-delà ? Rappelons que, par exemple, le "Livre des morts tibétains" est basé sur de telles visions.

Dans la tradition hindoues du Kula et celle, bouddhiste, du Kâlacakra, on décrit des sphères de lumière multicolores ou non (bindu), qui se développent en formes géométriques, en mandalas. Or, ces mêmes formes, que chacun peut contempler en plissant les yeux devant une forte source lumineuse, sont aussi connues et étudiées par la physique moderne. Et ces phénomènes sont entièrement expliqués. Voir par exemple cette présentation. Voici quelques exemples d'images que l'on retrouve dans les visions, mais engendrées par un polariscope, instrument couramment employé pour examiner les gemmes :




Les experts sont mêmes capables d'analyser les différentes parties de ces images :




Dans le cas des gemmes, ce sont des micro-défauts qui sont à l'origine de ces formes complexes. Dans le cas des visions, il s'agit de débris organiques flottant dans le liquide de l’œil. En calmant le corps, le souffle et l'attention, le regard fait peu à peu le point sur ces formes irisées, de plus en plus complexes, comme le montre cette vidéo, qui montre aussi de manière très clair les autres "visions" :


Ou ici :


On les appelle aussi des "anneaux de Newton" :

Newton's Rings. 1 P2289057

Ou des "flotteurs" :

Floaters.png

Les visions sont très semblables aux cercles d'interférences générés en laboratoire par des expériences sur la lumière dans le cadre de la spectrographie (étude des objets à partir de leur spectre)  :



Or, les partisans des visions affirment que la simple contemplation de ces visions a le pouvoir de transformer l'âme et de lui conférer de grands pouvoirs. Pourtant, les joailliers, les gemmologues ou les physiciens qui contemplent ces images à longueur de journée n'ont pas l'air spécialement...spéciaux.

De même, les visions se développent dans l'obscurité ou sur fond de ciel bleu. Traditionnellement, elles sont censées manifester un au-delà du corps et du mental. Pourtant, ces phénomènes sont accessibles à tous et sont aussi étudiés par la science. 
D'abord, il y a le phénomène du champ bleu entoptique. Selon la tradition dzogchen, ce sont des sphères de lumières qui bougent "comme des gouttelettes de mercure sur le sol". Mais quand on contemple le ciel bleu, on voit en fait l'activité des bâtonnets de notre rétine :


Ensuite, il y a les phosphènes, par exemple quand on presse légèrement les yeux dans le noir :


Avec parfois des formes plus complexes :


Alors que penser de tout cela ?
Les explications scientifiques tendent à démystifier ces visions. D'un autre côté, sont-elles inutiles d'un point de vue spirituel ?
Je ne le crois pas.
A mon sens, l'intérêt de ces visions et des pratiques visionnaires n'est pas dans leur capacité à nous dire si nous sommes "éveillés" ou pas (ce qui serait quand même un comble !), mais plus simplement dans leur pouvoir ne fortifier l'expérience du silence.
Quand je reste immobile les yeux ouverts, je ressens que mon corps, mon esprit et tous les sens s'ouvrent en grand, comme si je devenais espace, comme si je devenais vision, sans plus de séparation entre un voyant et un vu. Il y a comme une clarté indicible et un éclaircissement, la révélation d'une transparence qui perdure ensuite dans le quotidien. Il y a moins de bavardage mental, une légèreté, une joie et, surtout, le désir de continuer à se plonger dans cet infini. Les visions se déploient et palpitent au rythme majestueux du silence, comme des vagues de conscience, et réalisent l'intégration de l'immobilité et du mouvement. Mais d'autres en parleraient sans doute bien mieux que moi.
Je crois qu'à côté de cette profondeur, la question de savoir si telle vision signale tel niveau d'évolution spirituelle, est complètement secondaire. La vision est sa propre récompense. Elle est son propre sens, même si ce sens est ineffable. La science, dans ce cas, sert à nous délivrer de l'emprise des institutions qui se prétendent détentrices de ces pratiques et posséder les clés de ce paradis. Ce n'est pas tout, mais c'est déjà beaucoup.

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