jeudi 26 mai 2016

Pourquoi le corps et le mental ne sont pas mauvais en eux-mêmes

Pendant des siècles, on a méprisé le corps au nom du mental.
Depuis Mai 68, en gros, on méprise le mental au nom du corps.

D'autres, plus rares, méprisent tout.

Pourtant, aucune de ces doctrines n'est satisfaisante.

Que nous dit la tradition du Cœur - le tantra non-duel - sur cette question ?
Elle nous dit que nos cinq sens ET nos facultés mentales sont nos pouvoirs.
Si nous les méconnaissons, ils nous égarent. Comme des apprentis sorciers, nous devenons les victimes de nos propres puissances. Comme des enfants, nous sommes égarés par notre liberté :

"Nous sommes trompés par nos propres pouvoirs : voilà le samsara !"

dit Kshémarâdja.


Ces pouvoirs, personnifiés par les Déesses de la tradition du Cœur, sont bons ou mauvais selon que nous sommes aveugles ou éveillés. Aveugles à leur source une, endormis, nous en sommes les jouets (pashu). La vue sert à voir la manifestation de la dualité-dans-l'unité. Mais si nous sommes aveugles, nous ne voyons que la dualité, nous vivons seulement dans la peur, dans la crainte de nos propres manifestations. De même, l'intellect sert à connaître l'unité, la conscience vivante en laquelle baignent toutes choses comme les vagues en l'océan. Mais assoupis que nous sommes dans des habitudes, l'intellect n'engendre que de fausse croyances. Et ainsi de suite.
Voici comment un maître de la tradition du Cœur en parle, en bref :

"Les Déesses telles que Brahmî développent seulement l’aptitude (à produire) des représentations limitées, en déployant chez l'être limité émission et stabilité quant à la dualité, et résorption quant à la non-dualité. Dans la condition de l'être libéré, au contraire, (elles) résorbent la dualité et manifestent clairement émission et stabilité quant à la non-dualité. Elles font (alors) éclore seulement le vaste domaine libre de représentations discursives—une absorption liée à la sublime « Attitude de Bhairava » [=la méditation de Shiva] —à travers la cessation graduelle des représentations discursives. Elles font apparaître la Puissance (de former) des représentations discursives pures, (Puissance) immergée dans l'absorption de félicité et de conscience, (qui s'exprime) par exemple sous cette forme :

 « Tout ce déploiement de puissance est mien »:
Celui qui de cette façon sait
Qu'il est le Soi de l'univers (jouit d'une) totale souveraineté,
Alors même que fluent les représentations discursives.

La transmigration n'est donc que le fait d'être égaré par ses propres Puissances.
En outre, la Bienheureuse Puissance qu’est la conscience est, quant à elle, appelée « Souveraine du (Quintuple) Flot » parce qu'Elle « vomit » l'univers et parce qu'Elle (est la cause) de ce mouvement perverti qu'est le samsara. Elle fulgure sous la forme de la totalité des objets, des organes internes et externes et des sujets connaissant qui ont pour nature (respective les Roues suivantes) : la Roue des Puissances Célestes, la Roue de la Parole, la Roue des Orients et la Roue des Puissances Terrestres.
Dans la condition de l'être asservi, elle apparaît comme l’Enchanteresse sise dans le cœur de l’être asservi. (1) Prenant appui sur le domaine du vide, elle apparaît comme « Roue Céleste » constituée des Puissances de la capacité limitée et autres (« cuirasses ») qui sont (la faculté de) connaissance partielle etc. Sa vraie forme – le fait qu'elle se meuve dans l'espace de la Conscience absolue –­ est (alors) cachée. (2) Elle se manifeste à travers la « Roue de la Parole » qui consiste en les Déesses de l'organe interne où prédominent hésitation, identification et résolution. Sa vraie forme absolue consistant en certitude quant à la non-dualité est (alors) cachée. (3) Et Elle fulgure comme « Roue des Orients » qui consiste en les Déesses des organes externes où prédominent la perception de la dualité, etc. Sa vraie forme absolue consistant en une claire perception de la non-dualité est (alors) cachée. (4) Et Elle apparaît comme « Roue Terrestre » qui consiste en un connaissable fait d'apparences complètement scindées (du sujet et les unes des autres). Sa vraie forme – le fait d'être toutes choses – est (alors) cachée.
Mais dans la condition de l'être libéré, Elle fulgure comme Celle qui épanouit le cœur des êtres libérés. (1) Elle apparaît comme « Roue du Ciel de la Conscience », qui consiste en les Puissances d'omnipotence etc. (2) Elle apparaît comme « Roue de la Parole » qui consiste en certitude à l’égard de la non-dualité, etc. (3) Elle apparaît comme « Roue des Orients » qui est perception de la non-dualité, etc. (4) Elle apparaît comme « Roue Terrestre », comme objets connaissables dont l'essence est l’expérience non-duelle (des objets) perçus (par le sujet) comme étant son propre corps."


Extrait du Cœur de la Reconnaissance, 12


Or, on retrouve cette même idée, formulée autrement, dans la tradition chrétienne, si imprégnée de la sagesse de Platon. Par exemple, dans ce traité du XVIè siècle, probablement l'oeuvre d'une femme. Elle explique comment nos facultés ont été créées pour connaître et aimer notre Créateur, et comment la Chute a corrompu ces puissances, et enfin, comment la vie mystique aidée de la grâce, peut conduire à leur pleine restauration. Comment ? :

"Par Jésus-Christ, qui est notre réformation et rédemption, par lequel notre esprit est remis en sa liberté perdue, et élevé en Dieu. 
Où toutes les puissances de notre âme [y-compris le mental, l'intellect, la volonté, l'imagination et la mémoire], tant supérieurs qu'inférieures, et aussi tous nos mouvements sensuels sont tous recueillis en un, restitués en leur ancien lieu, élevés en Dieu, et appliqués [=absorbés dans] leur principe, afin qu'ils coopèrent à l'inaction de Dieu. Où aussi tous les sens sont retirés au dedans au souverain bien [=Dieu], pour toujours ouïr et voir les choses éternelles, goûter et toucher les choses divines, et à toutes choses extérieures et sensibles, être comme insensibles, mais allègres et vifs aux choses spirituelles et internes, pour ainsi tirer en Dieu tout ce qui leur adviendra de voir et ouïr extérieurement comme doivent faire tous vrais amateurs [=amoureux]".

La Perle évangélique, XV

Le point-clé est de s'ouvrir à l"inaction de Dieu". Inaction ne signifie pas absence d'action. Ce terme essentiel de la mystique désigne l'action de Dieu en nous, la grâce, sensible ou non, mais souvent ressentie comme une sorte de vibration dans le cœur.

Donc il n'y a pas à vénérer ceci en méprisant cela.
Tout sera sauvé, réintégré.
Le salut est pour tous.
Du moins, pour tout ce qui EST, car le mal et l'ignorance n'ont point d'être véritable, comme l'ombre du soleil. 

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