dimanche 12 juin 2016

La conscience est à la fois unité et dualité

"Quand on est seul, on dit qu'on est seul avec soi, ce qui implique qu'on n'est pas seul, mais qu'on est deux. l'acte par lequel nous nous dédoublons pour avoir conscience de nous-même crée en nous un interlocuteur invisible auquel nous demandons notre propre secret... Toute conscience est astreinte à se jouer une sorte de comédie dans laquelle le moi ne cesse de se chercher et de se fuir."



Dès que j'essaie de me saisir moi-même, je me fais objet pour moi-même, autre que moi, et donc jamais je ne parviens à me saisir : "Jamais il ne parvient à saisir directement sa véritable nature", dit Louis Lavelle (La conscience de soi, I, 3)

Je ne suis pas d'accord.
Quand je "prend conscience de", il y a bien comme une mise à distance de la chose. Mais elle ne cesse pas pour autant d'être une avec la conscience, avec moi. Autrement, il n'y aurait pas de conscience de cette chose !
Il est vrai, cependant, que la conscience de soi n'est souvent que la conscience du corps ou d'une autre représentation, d'une image. Mais pour autant, la pleine conscience de la conscience, mon moi véritable, ne cesse jamais, en arrière-fond de tout état de conscience. Même si je n'en ai pas de conscience claire et distincte, même si je ne l'ai pas reconnu, tout baigne toujours dans la conscience. Et, comme il ne saurait y avoir conscience sans conscience de soi, la pure et parfaite conscience de soi ne cesse jamais. Elle est l'acte par lequel je me crée, par lequel je crée toute chose. Et cet acte est un désir aussi, donc un événement personnel, quoi que universel. Je veux dire : mon moi véritable est universel, transpersonnel si l'on veut, mais il est personnel. Il n'a rien d'indifférent. Il est un acte, un désir d'exister, une parole créatrice, une invocation dans l'être.

Mais, dira-t-on, toute "conscience de" n'implique t'elle pas une dualité ?
Oui et non. Un écart oui, mais entre soi et soi. 
C'est cela qui est difficile à penser, et qui en égard tant.
Le dilemme entre pure unité et dualité est un faux dilemme. 
La conscience est à la fois unité et dualité.

Dans la Reconnaissance (pratyabhijnâ), c'est ce que suggère l'expression de "vibration". La conscience, qui est toujours "conscience de", est vibration, frémissement, frisson, palpitation, tremblement, vague, onde, pulsation, c'est-à-dire mouvement immobile. Mouvement immobile. Dualité non-duelle. Unité démultipliée. Séparation fusionnante. Nonchalance pleine d'ardeur.
Mais ses plus beaux noms sont "amour" et "liberté".

La conscience est comme un océan sans rivages. Et un océan est toujours parcouru de vagues.
Mais laissons la parole à Abhinava, murmure toujours neuf et pourtant inaudible :

"Cette (vibration) est une sorte de mouvement, une claire manifestation, qui ne dépend de rien. Elle est une vague dans l'océan de la conscience, et la conscience ne saurait être sans (vague, sans vibration). 
Il est dans la nature de l'océan d'être parfois calme, parfois (agité de) vagues et autres (mouvements). Ce (Cœur, cette vibration) est l'essence vitale, parce que toute chose, dépourvue de conscience propre, est animé par la conscience, dépend d'elle comme de son fondement. Cette essence vitale est le Cœur immense."

La Lumières des tantras, IV, 184-186

Cette résonance est clairement ressentie au début et à la fin de tout acte, respiration, geste, éternuement, orgasme, émotion... Elle est la Parole primordiale, "je", le mantra des mantra, le murmure de vie qui anime toute parole, l'élan à l'origine de tout élan.

Mais, comme l'a chanté Hadewije, que seule cette Parole peut nous instruire d'elle-même, en un chemin unique à chacun, instant après instant, saison après saison :

"Pour tristes que soient la saison et les oiselets,
le noble cœur ne saurait l'être.
Mais qui veut affronter les travaux de l'Amour
devra de Lui seul apprendre
- douceur et cruauté, joie et douleur -
ce qu'il faut éprouver pour aimer."

Poèmes, III, Seuil

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