vendredi 29 juillet 2016

Au-delà de l'étonnement


 


Dans l'union, il n'est plus à craindre de séparation, tout est mis en commun :

"Mais quoi, ne vous semble-t-il pas, ô mon Amour,
que je craigne, en mon abondance,
d'être frustrée de votre jouissance,
comme je 'lai été dans le passé ?

Non, quoi que je dise, je ne le crains pas,
car vous êtes mien
et je suis vôtre.
Vous me possédez et je vous possède tout à tout,
tout entier et totalement.

Et nous ne sommes qu'un,
en l'un et l'unique de nous deux,
également ravis
de l'amour et de la beauté
de l'un et de l'autre,
l'un en l'autre,
et par les mutuels et ineffables embrassements
l'un de l'autre,
l'un en l'autre.

Dans cet état, nous nous possédons
à égalité de jouissance,
à égalité de simplicité,
dans un amour simple,
en cet être que nous formons
simple et simplement unique,
au-delà de l'action,
au-delà de la passion,
au-delà de l'inondation,
au-delà de l'amour même,
dans l'amour-donné au même amour-reçu.

Tout ceci se réalise en la très simple,
la très unique et très attentive
vision réciproque et mutuelle de nous deux,
dans l'unique indivision de nous deux.

C'est au-delà de la compréhension
au-delà de l'étonnement, sans étonnement,
tout à fait indescriptible.

J'y suis totalement submergée,
perdue d'amour et de joie,
au-delà de l'amour et au-delà de la joie,
dans l'unique Objet
qui me tient dans un état immuable,
à la fois prise de force et consentante,
en une perpétuelle attention sans tension,
en vous et à vous,
mon unique Objet et mon Epoux.

Qu'est-ce que tout cela ?
Le conçoive qui pourra ;
l'exprime, s'il le veut, qui le connaîtra ;
s'il le peut, cela lui est permis.
Mais surtout, qu'il le taise s'il le doit.

Car c'est le domaine où notre jouissance intuitive
parle en nous deux
de façon respective et mutuelle,
non pas de cette réalité
ni de rien qui s'y rapporte,
mais d'infiniment autre chose,
qui est hors de ceci
par son profond, perpétuel et ineffable silence."

Jean de Saint Samson, Chant d'amour, 31, début du XVIIè siècle

Tout est dit.
Et pourtant, rien n'est dit.

mercredi 27 juillet 2016

C'est quoi l'amour ?



Voici le texte le plus important sur l'amour.

L'amour est désir d'immortalité :

"Tous les humains sont féconds, selon le corps et selon l'esprit. Quand nous sommes en âge, notre nature sent le désir d'engendrer... et en effet, l'union de l'homme et de la femme est enfantement. C'est là une oeuvre divine, et l'être mortel participe à l'immortalité par la fécondation et la génération....
Quand l'être pressé d'enfanter s'approche du beau, il devient joyeux et, dans son allégresse, il se dilate et enfante et produit. Quand, au contraire, il s'approche du laid, renfrogné et chagrin, il se resserre sur lui-même, se détourne, se replie et n'engendre pas. Il garde son germe, et il souffre...
mais pourquoi de la génération ? Parce que la génération est pour un mortel quelque chose d'éternel et d'immortel ; or le désir d'immortalité est inséparable du désir du bien...puisque l'amour est le désir de la possession perpétuelle du bien : il s'ensuit que l'amour est aussi désir de l'immortalité.
... N'as-tu pas observé dans quelle crise étrange sont tous les animaux, ceux qui volent comme ceux qui marchent, quand ils sont pris du désir d'enfanter ; comme ils sont tous malades et travaillés par l'amour, d'abord au moment de s'accoupler ?... Quelle est la cause de ces dispositions si amoureuses ?
... Ce qui est mortel se conserve, non point en restant toujours exactement le même, comme ce qui est divin, mais en laissant toujours à la place de l'individu qui s'en va et vieillit un jeune qui lui ressemble. C'est par ce moyen que ce qui est mortel, le corps et le reste, participe à l'immortalité...
Regarde l'ambition des hommes : tu seras surpris de son absurdité, à moins que tu n'aie présent à l'esprit ce que j'ai dit.... car c'est l'immortalité qu'ils aiment.

La voie de l'amour :

"Quiconque veut aller à ce but par la vraie voie doit commencer dans sa jeunesse par rechercher les beaux corps....
Puis il observera que la beauté d'un corps quelconque est soeur de la beauté d'un autre...il doit se faire l'amant de tous les beaux corps.
Il faut ensuite qu'il considère la beauté des âmes comme plus précieuse que celle des corps.
Par-là il est amené à regarder la beauté qui est dans les actions et dans les lois.
Des actions et des hommes, il passera aux sciences et il en reconnaîtra aussi la beauté.
Ainsi arrivé à une vue plus étendue de la beauté, il ne s'attachera plus à la beauté d'un seul objet, et il cessera d'aimer, avec les sentiments étroits et mesquins d'un esclave, un enfant, un homme, une action. Tourné désormais vers l'océan de la beauté et contemplant ses multiples aspects, il enfantera sans relâche de beaux et magnifiques discours et les pensées jailliront en abondance de son amour de la sagesse (=philosophie), jusqu'à ce qu'enfin son esprit fortifié aperçoive une science unique, qui est celle du beau...
Celui qu'on aura guidé jusqu'ici sur le chemin de l'amour, après avoir contemplé les belles choses dans une gradation régulière, verra soudain une beauté d'une nature merveilleuse, celle-là même qui était le but de tous ses travaux antérieurs,
beauté éternelle qui ne connaît ni la naissance ni la mort,
qui ne souffre ni accroissement ni diminution,
beauté qui n'est point belle par un côté, laide par un autre,
belle en un temps, laide en un autre,
belle sous un rapport, laide sous un autre,
belle en tel lieu, laide en tel autre,
belle pour ceux-ci, laide pour ceux-là.
Beauté qui ne se présentera pas à ses yeux comme un visage, ni comme des mains, ni comme une forme corporelle, ni comme un raisonnement, ni comme une science, ni comme une chose qui existe en autrui, par exemple dans un animal, dans la terre, le ciel ou dans telle autre chose.
Beauté qui, au contraire, existe en elle-même et par elle-même,
simple et éternelle,
de laquelle participent toutes les autres choses belles,
de telle sorte que leur mort ou leur naissance ne lui apportent ni augmentation, ni amoindrissement, ni altération d'aucune sorte.
Quand on s'est élevé des choses sensibles par un amour bien compris... jusqu'à cette beauté et qu'on commence à l’apercevoir, on est bien près de toucher au but.
Car la vraie voie de l'amour....c'est de partir des beautés sensibles et de monter sans cesse vers cette beauté surnaturelle....
Si la vie vaut la peine d'être vécue, c'est à ce moment où l'homme contemple la beauté en soi....
Penses-tu que ce soit une vie banale que celle d'un homme qui, élevant ses regards là-haut, contemple la beauté avec l'organe approprié et vit dans son commerce ? Ne crois-tu pas qu'en voyant ainsi le beau avec l'organe par lequel il est visible, il sera le seul qui puisse engendrer non des fantômes d'excellence, puisqu'il ne s'attache pas à un fantôme, mais l’excellence véritable, puisqu'il saisit la vérité ? Or c'est à celui qui enfante et nourrit l'excellence véritable qu'il appartient d'être chéri des dieux et, si jamais homme devient immortel, de le devenir lui aussi."

Platon, Le Banquet, trad. Chambry

Bien sûr, il n'y a pas tout dans ce texte. Et on peut le critiquer. On doit le critiquer.
Mais il a inspiré des siècles de pensée chrétienne et soufie. Il est la matière première de la pensée occidentale sur l'amour, avec le Cantique des cantiques et l'Evangile.

Sur la confusion entre corrélation et causation

Deux phénomènes peuvent avoir une cause commune, sans que l'un soit la cause de l'autre, comme deux branches, par exemple. Ou comme le fait de s'endormir avec ses chaussures aux pieds et celui de se réveiller avec une gueule de bois...


On confond souvent corrélation et causation, ce qui donne un sophisme du type post hoc, ergo propter hoc : "après cela, donc à cause de cela". 
Exemple courant dans les milieux New Age : "Je suis persécuté. Or, les génies ont souvent été persécutés. Donc je suis un génie". Ou : "Des théories révolutionnaires ont été rejetées par l'Establishment parce qu'elle les dérangeaient. Or, ma (pseudo)théorie est rejetée par le (méchant) Establishment. Donc ma théorie est révolutionnaire !"
Etc, etc.
Voici un site en anglais, rigolo, qui recense toutes sortes de corrélations plus ou moins foireuses.
Et une excellent video d'Epenser sur ce sujet :



Notons, au passage et pour les aficionados, qu'Outpaladéva accuse les philosophes bouddhistes de confondre corrélation et causation quand ces derniers définissent la relation de cause à effet comme : "Ceci étant, cela advient" :

"(Une succession) régulière, dotée d’un « avant » et d’un « après » (que les Bouddhistes formulent ainsi) : « Ceci étant, cela advient », existe aussi pour des (choses) qui n’ont aucune relation de cause à effet, comme, par exemple, l’apparition (successive) des (constellations) des Pléiades et du Taureau."

(Îshvarapratyabhijnâvritti ad II, IV, 14)

samedi 23 juillet 2016

Unité et dualité sont-elles compatibles ?

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Comme toute activité véritablement humaine, la philosophie est amour. Amour de la sagesse. Or, la sagesse est conscience de l'unité sans laquelle rien ne serait possible car, comme dit Denys : "il faut que tout être soit un pour exister comme être." Tandis que l'unité, elle, n'a pas besoin de la multiplicité pour être : "Sans l'unité, la multiplicité n'existerait pas. Sans multiplicité, par contre, l'unité reste possible." D'où la souveraineté de l'Un, principe universel, à juste titre qualifiée de "divine". 

Pour autant, cette unité ne doit pas supprimer totalement la multiplicité. En d'autres langages, on dirait que l'unité ne doit pas supprimer la dualité, que la vacuité ne doit pas annuler la forme, que l'universel ne doit pas nier le singulier, et ainsi de suite... 

La sagesse, dès lors, ne consiste pas seulement dans la connaissance ou dans l'amour du Principe-un, mais encore dans la compréhension de la manière dont ce Principe rend tout possible, sans pour autant anéantir les êtres et les choses, sauf au sens où tout serait néant sans le Principe.

A propos de cette sublime synthèse de l'Un et du Multiple, Denys emploie la belle expression "d'unité sans confusion". Il en va comme "des lumières de plusieurs lampes, rassemblées dans une seule pièce, bien que totalement présentes les unes aux autres, gardent entre elles, mais en toute pureté et sans mélange, les distinctions qui leur sont propres, unies dans leurs distinctions et distinctes dans leur unité." 

Ou encore, il en va comme en un miroir qui rassemble et unifie les formes en son orbe, sans pour autant les supprimer, le Principe rassemble et unifie - il communique aux êtres son unité - sans pour autant les nier. Chaque personne devient alors un être capable d'être plus, en participant davantage à l'Un, principalement par le silence. Nous sommes ainsi appelés à "devenir colporteurs du Silence divin, comme des lumières révélatrices situées par l'Inaccessible pour le manifester au seuil même de son sanctuaire." Il y donc de l'absolument transcendant, de l’inaccessible. Mais cet ineffable se communique. Mieux : il inspire nos paroles et respire à travers nous. Et j'ajoute qu'il est d'une toute-puissance d'un genre singulier, puisqu'il est fragile, s'il est vrai qu'aimer, c'est en un sens se rendre vulnérable, quoi qu'en un autre sens, l'amour soit plus fort que la mort.

Denys est un platonicien chrétien. Mais on pourrait relever d'autres noms, dans d'autres langues et climats, pour chanter la même mélodie.

Abhinava convoque aussi le miroir : "Un miroir limpide reflète d'autant plus et mieux la multiplicité des formes et des couleurs. Cette profusion ne cache pas le miroir. Au contraire, elle témoigne de l'excellence de ce miroir."

Le bouddhiste Jamyang Dorjé ne disait pas autre chose : Certes, "puisque c'est le vide qui observe le vide, qui est donc là pour évacuer ce qui est à vider ?" Mais aussi : "L'imagination n'est point anéantie par le vide, ni le vide empêché par l'imagination." Bien plutôt, l'imagination est est transfigurée quand le vide se reconnaît et repose en son immensité ouverte.

P.S. : je ne résiste pas à l'envie de partager l'ensemble du passage sur les lampes, aussi profond que...lumineux, sur ce point-clé de la synthèse entre unité et dualité.

"Mais il importe, croyons-nous, de revenir en arrière pour mieux exposer le mode parfait de l'unité et de la distinction en Dieu, afin que notre raisonnement ne plaisse place ni à l'équivoque ni à l'obscurité, et que l'objet propre en soit définit de façon précise, claire et méthodique. Comme je l'ai dit ailleurs, les saints initiés de notre tradition théologique [c'est-à-dire Proclos] appellent unités divines [où hénades, c'est-à-dire les dieux de l'Olympe] ces réalités secrètes et incommunicables, plus profondes que tout fondement, et qui constituent cette unicité dont c'est trop peu de dire qu'elle est ineffable et inconnaissable. Et ils appellent distinctions divines les procès et les manifestations qui conviennent à la bienfaisante Théarchie [et chaque individu est un tel Attribut, une épiphanie, une manifestation de Dieu, à l'image de la vague dans l'océan]...
De la même façon, des lumières de plusieurs lampes, rassemblées dans une seule pièce, bien que totalement présentes les unes aux autres, gardent entre elles, mais en toute pureté et sans mélange, les distinctions qui leur sont propres, unies dans leurs distinctions et distinctes dans leur unité. 
[Unité :] Nous constatons bien que si plusieurs lampes sont rassemblées dans une seule pièce, toutes leurs lumières s'unissent pour ne former qu'une seule lumière qui brille d'un seul éclat indistinct, et personne, je pense, dans l'air qui enveloppe toutes ces lumières, ne saurait discerner des autres celle qui vient de telle lampe particulière, ni voir celle-ci sans voir celle-là, puisque toutes se mélangent à toutes sans perdre leur individualité
[Dualité, individualité :] Qu'on retire de la pièce l'une des lampes, sa lumière propre va disparaître tout entière, n'emportant rien avec soi des autres lumières, ni ne leur laissant rien de soi-même. Comme je l'ai dit, en effet, leur union mutuelle était totale et parfaite, mais sans supprimer leur individualité et sans produire aucune trace de confusion.
or tout cela se produit dans un air corporel, et il s'agit d'une lumière produite par un feu corporel. 
Que dire alors de cette unité suressentielle [=au-delà de tout concept possible] dont nous affirmons qu'elle se situe non seulement au-delà des unités corporelles, mais même au-delà de celles qui appartiennent aux âmes et aux intelligences et que ces dernières possèdent déjà sans mélange et selon un mode qui dépasse ce monde, lumières conformes à Dieu et supra-célestes, entièrement immanentes les unes aux autres dans la mesure, proportionnelle à leurs forces, où elles participent à l'Unité parfaitement transcendante ?"
Et il ajoute que, non seulement cette unité sans confusion subsiste dans l'Unité, mais encore elle règne parmi les Personnes, celles de la Trinité, y-compris celles de notre monde : "elles ne sont nullement interchangeables."
(Pseudo-Denys, Les Noms divins 640d-641c, trad. Gandillac)

vendredi 22 juillet 2016

Si l'Absolu est éternel, le progrès spirituel a-t-il un sens ?

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Voici, dans la bouche d'un maître bouddhiste du XIVè siècle, l'une des affirmations les plus radicales et claires de l'incompatibilité  entre une voie progressive et un éveil direct :

"Si vous ne comprenez pas le sens ultime du Corps Absolu - votre propre conscience - vous ne serez jamais délivrés en cette vie au moyen d'enseignements spirituels qui exigent des efforts délibérés du corps, de la parole et de l'esprit. Car la pratique spirituelle elle-même devient alors un inextricable nœud qui vous retient, qui voile et obscurcit la conscience. S'il est vrai que vous retirerez de cette pratique un certain bonheur, il sera composé et donc il se décomposera comme un vase..." (Longchenpa, The Way of Abiding, p. 106).

Ces propos vont à l'encontre du bouddhisme. Le discours bouddhiste traditionnel consiste en effet à dire qu'il faut pratiquer pour parvenir un jour à un état du corps, de la parole et de l'esprit tellement pur, qu'il ne sera plus nécessaire de pratiquer. Longchenpa s'oppose ici à ce compromis : l'impermanent n'accouchera jamais du permanent. Toute "pratique" autre que l'effort pour comprendre notre conscience toujours déjà éveillée, est parfaitement inutile et vouée à l'échec. Selon une autre image proposée par Longchenpa, ce ne sont que des châteaux de sable. 

Mais d'un point de vue théiste, cet extrait de Longchenpa énonce une évidence : Dieu (notre conscience, le "Corps Absolu") est. Il est vain de s'efforcer de le construire, de le fabriquer. Car il est déjà là. Toujours déjà là. Chercher à le fabriquer est aussi absurde que de chercher à "faire" de l'espace, vu que cette activité présuppose l'espace, "toujours déjà là". 
De plus, tout ce qui est construit est détruit. Dieu est. Il n'y a qu'à le reconnaître en soi, il ne nous reste qu'à le contempler en une parfaite coïncidence indicible. 
Mais d'un point de vue bouddhiste, tout entraînement devient alors vain, car son fruit est d'avance réfuté par la vérité de l'impermanence. Pourquoi faire quoi que ce soit, si tout finit défait ?

Mais, demandera-t-on, n'en va t-il pas de même dans une approche théiste ? Si tout est périssable sauf Dieu, à quoi bon faire quoi que ce soit ?
Réponse : Dieu est. Certes. Il est même l'Être. Mais il n'y a pas que Dieu qui soit. Car Dieu veut créer. Or, là est à la fois notre fragilité et notre salut. Si Dieu veut que j'existe en lui, même si je n'ai aucune existence indépendante de lui, eh bien je peux fort bien exister. Et grandir. Et progresser. En d'autres termes : l'éternité de Dieu est compatible avec un progrès personnel. 
Dieu est. Toujours déjà. Mais je peux le reconnaître, le contempler le savourer, et grandir avec cette nourriture, progresser à l'infini. Car il n'est pas vrai que tout soit impermanent. Non. Tout dure autant que Dieu le veut. Si Dieu veut que je progresse à l'infini, perpétuellement, alors je vivrais à jamais. Le rappel par Longchenpa du caractère éphémère de tout ce qui est fabriqué, construit, ne vaut ultimement que si tout plane dans le néant, on ne sait trop comment... Mais si, en revanche, tout ce qui est, est par l'être permanent de Dieu, alors tout cela redevient compatible avec un progrès perpétuel. Par mes actes temporels je bâti une vie éternelle, parce que telle est la volonté de Dieu. 
En droit, Dieu pourrait certes m'anéantir à chaque instant. Mais Dieu veut que je perdure. Ainsi, je peux agir, m'entraîner à m'ouvrir à l'influence divine, me faire sans cesse plus transparent, malgré l'absence d'essence propre aux actes, malgré leur fragilité. Le fragile vase que je suis, comme personne, dépend entièrement de la volonté de Dieu de me faire exister. Mais justement, Dieu le veut. Donc l'éternité de Dieu et le caractère éphémère des actions humaines, mêmes spirituelles, sont compatibles. C'est même parce que Dieu est éternel que mes actes peuvent avoir un sens dans l'éternité.
Là comme ailleurs, la différence cruciale entre les doctrines purement impersonnelles et les approches qui incluent la dimension personnelle, est spectaculaire. 
En effet, si Longchenpa estime finalement que toute activité personnelle est vaine, c'est bien parce qu'il conçoit l'absolu comme un espace neutre, indifférent et sans relation aux contenus qu'il accueille. L'absolu est pure conscience passive, séparée de tout le reste. D'un côté l'immuable transcendant ; de l'autre les choses, les personnes et leurs vaines œuvres. D'un côté l'espace, seul permanent ; de l'autre, les corps, fatalement évanescents.
Alors que dans une approche qui enveloppe la dimension personnelle, il y a une vraie relation entre l'absolu et les personnes et les choses. Pourquoi ? Parce que l'absolu est une personne ! Concrètement, l'absolu est doué de désir, de volonté, il aime et ne se contente pas de toujours être une immensité transparente - même si cet aspect est inclus dans cette approche. L'Absolu, malgré sa transcendance, est relié à moi, à mon corps, à mes actes, parce qu'il désire tout cela.

Mais comment savoir que Dieu ne va pas me réduire à néant ? Je n'en ai aucune assurance. Mais je sens que mon être est son être. Ou que du moins le centre de mon être est son être. Et parce que je sens ce centre universel en moi, je sens un amour, un désir d'aimer et d'être aimé. Ainsi, je découvre que Dieu n'a pas de raison de m'anéantir. En un autre sens, bien sûr, il désire que je m'anéantisse en lui. Mais cela ne signifie pas la suppression de mon être. Cela implique plutôt une parfaite harmonisation de ma volonté et de la sienne. Je n'ai pas d'être propre. Mais, comme une vague dans l'océan, j'ai une forme et des énergies propres. La raison d'être de cette individualité est d'aimer l'universel. La vague existe pour aimer l'océan.

Je peux donc savoir que Dieu seul est, et pourtant trouver un sens à mon existence dans l'idéal d'un progrès infini. Tout pourrait cesser à chaque instant. Mais l'Etre désire, aime, que cela continue. Ainsi, l'opposition tracée par Longchenpa s'effondre. Ou plutôt, elle prend un autre sens : le but de la vie individuelle est de réaliser toujours plus profondément que l'universel est toujours déjà tout ce qui doit être.  
Pour le dire en langage néoadvaita : l'éveil consiste à réaliser qu'il n'y a rien à réaliser ni personne pour le réaliser ; et ceci a toujours lieu dans l'instant ; mais cela prend un temps infini. C'est comme si je m'éveillais d'un seul coup d'un rêve, mais qu'il me fallait encore une durée infinie pour pleinement tirer les conséquences de cette prise de conscience. Et - comble du paradoxe ! - cet éveil à la fois impersonnel, intemporel et perpétuel fera s'épanouir ma personne... à l'infini.

[Digression technique : Notons, au passage, que cette affirmation sans compromis par Longchenpa figure dans ce qui est probablement la dernière œuvre du maître ; or, il y met les visions sacrées de thogal - traditionnellement tenues pour le sommet du bouddhisme - sur le même plan que les illusions de ce monde, telles que les mirages et les arcs-en-ciel. Un bouddhiste traditionaliste pourrait toujours rétorquer en invoquant une supériorité secrète des pratiques visionnaires et, certes, il ne manque pas d'exemples de ce genre de dissimulation "dans l'intérêt du disciple". Mais quand même, le fait que cette oeuvre constitue une sorte de testament nous autorise à interroger certains dogmes. D'un autre côté, je ne suis plus d'avis que seul le "dzogchen ancien" représente le "vrai" dzogchen. Et il faut sans doute nuancer l'opposition entre trekcheud et thogal, même si la tradition tardive elle-même nous amène à accentuer cette opposition... Reste que tout ceci invite à réfléchir et à ne pas se contenter de dogmes mal assimilés - Fin de la digression].

Le Nouvel Age est-il une religion ?

Le Nouvel Age ou New Age est-il une religion, ou bien un phénomène radicalement nouveau ? 
La question se pose car, malgré l'absence d'institution ou d'église, on observe quand même des traits religieux.

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Suite au relâchement de l'emprise de l'Eglise catholique sur les consciences, de nouvelles religions apparaissent peu à peu. 
On peut distinguer deux grands mouvements : 

1) du début XIXe (romantisme) jusqu'à mai 68, l'occultisme. Le modèle social, grégaire, reste important (par exemple la Société Théosophique), peu de transgression sexuelle ou morale. 

2) Après mai 68 (mais sans rupture nette, les grandes sectes des années 70 peuvent être vues comme les derniers soubresauts de l'ancien modèle), un second mouvement, le Nouvel Age (NA), plus individualiste, centré sur des valeurs de consommation. 

Le modèle commercial s'impose alors. En l'absence d'institution ou d'église, l'entreprise prend le relais : ce ne sont plus des sociétés religieuses qui structurent la vie, mais des entreprises commerciales ou des libre-entrepreneurs. Les structures deviennent invisibles ou discrètes, d'où l'impression d'une organisation informelle, à la fois très visibles (logos, slogans, marques, visages charismatiques) et discrètes, exactement comme dans les transactions de type commerciales. 

En réalité, le NA est bien une religion organisée autour de dogmes (croyances obligatoires, sous peine d'exclusion) et de hiérarchies, mais ces dernières sont discrètes, incarnées davantage dans des entreprises pourvoyeuses de services à des clients. La relation prêtre-croyant est remplacée par la relation vendeur-client, aujourd'hui banalisée à l'extrême. Nul ne remet en question ce modèle. De l'argent contre un service. L'ensemble du NA s'est adapté aux exigences du commerce : inculture, novlangue, thérapie, innovation, etc. Pour assurer son succès, le NA reprend des symboles et des mots des traditions ou même des Lumières et de la science, mais en en pervertissant le sens : instant présent, Soi, Providence, progrès, cosmos, quantique, énergie, vibration, initiation, alchimie, réincarnation, etc. Là encore, le NA imite un modèle commercial. 

De plus, même si le groupe n'a plus une existence aussi formelle que dans l'ancien modèle, l'aspect grégaire ne disparaît pas. Il continue d'exister, mais à travers des moyens nouveaux, notamment Internet et les réseaux sociaux. Dans ces derniers, comme dans les stages et autres formes de rassemblement, on constate les mêmes comportements que dans n'importe quelle église : il faut montrer patte blanche en témoignant une adhésion à des dogmes et des autorités, l'esprit critique est systématiquement dévalorisé.

Le NA, dans son acception la plus large, est donc bel et bien une religion, ou disons qu'il relève du fait religieux, mais adapté à la domination nouvelle du modèle commercial de rapport entre les individus.

mercredi 13 juillet 2016

Aller et retour

Les pouvoirs surnaturels tels que la lévitation ne valent pas grand-chose face à l'amour


Dans la tradition du tantra, le chemin spirituel se ramènent à deux phases, qui alternent et se répètent jusqu’à parfaite intégration :
- d'abord la découverte du divin en soi, à l'état pur, abstrait de tout contenu.
- puis la révélation du divin dans le monde, la reconnaissance de toutes choses comme étant la manifestation du divin.

Ce que chante ce verset magnifique, à la suite du Chant du Bienheureux (Bhagavadgîtâ) :

Seigneur des mondes !
Les êtres dignes de ton amour
te trouvent dans le monde,
puis découvrent le monde en toi,

car rien n'est hors de leur portée. 
(Outpaladéva, Hymnes, XVIII, 1)

En termes philosophiques : transcendance, puis immanence.

Cependant, l'accent porte toujours sur la seconde étape, celle de la reconnaissance du divin dans ses manifestations. Tel est le grand oeuvre de l'amour, démesuré, qui relativise tout autre fin, spirituelle ou autre :

Seigneur !
Je ne veux pas me goinfrer
de miettes de perfection,
car la splendeur des pouvoirs surnaturels
et de la délivrance même
sont bien peu de choses,
face à ton amour ! 
(XIX, 14)

L'amour est cette sensation du divin en toutes les choses, goûtée dans la conscience, ou bien de manière plus subtile.



dimanche 10 juillet 2016

Comment être tolérant sans être indifférent ?




La connaissance de la réalité ressemble à la réalité.

La réalité est un arbre : à chaque choix, une pousse nouvelle.

La connaissance est un arbre : à chaque option, une branche naît.

Ainsi, il existe une riche diversité de langues, de points de vues. Et la grandeur d'âme est invitée à voir ces visions avec bienveillance, à l'image du jardinier amoureux de chaque efflorescence, de chaque rameau nouveau, en lequel il reconnaît une même sève. 

Oui. 
Mais comment accueillir ces différences sans tomber dans l'indifférence ?

Car voyez : si je me contente du cliché selon quoi "toutes les routes mènent à Rome" ou encore, si "tous les chemins mènent au sommet de la montagne", alors tout se vaut. Et si tout se vaut, à quoi bon échanger ? Qui irait échanger le même contre le même ? Si tous les points de vue ne sont que des formes différentes pour accueillir la même matière, alors pourquoi s'intéresser aux formes ? Comment admettre une dose de relativité, sans tomber dans le relativisme ?

Cette vision tolérante, mais indifférente, prédomine aujourd'hui.
Pour deux raisons :

- la première est que cette vision est simple. N'importe qui peut l'entendre, l'endosser et ainsi se revêtir à peu de frais de cette tolérance que nos contemporains idolâtrent. Autrement dit, le relativisme est populaire en raison de la faiblesse intellectuelle du peuple. Impuissant devant les grandes œuvres de l'esprit, le vulgaire  fait mine de tolérer tous les points de vue. Entendons : surtout ceux qu'il ne comprend pas !

- la seconde est qu'elle permet d'éviter tout dialogue véritable, toute confrontation, toute rencontre avec d'autres points de vue que les nôtres. La tolérance donne ainsi bonne figure à la lâcheté. Le poltron passe pour doux, il semble lâcher-prise : "moi, je dis que tout ça, ce ne sont que différents points de vue... ou différentes manières de dire la même chose"... Sous-entendu : je me fous de ce que les autres disent. Ceux qui prennent cette posture me font penser à ces gens qui se croient généreux en donnant un chèque en blanc en guise de cadeau, parce qu'au fond, ils ont la flemme de faire l'effort de chercher un présent, d'être présents à l'autre dans ce geste. Le relativisme est une fuite. En outre, en disant aux autres que toutes les opinions se valent, on leur assène implicitement que leur revendications ne valent rien, on étouffe leur voix en la recouvrant d'un "tout se vaut" aussi violent que cruel. Mais la dureté de cœur aime à se parer d'une suave semblance. Il existe maints stratagèmes pour faire taire un importun. Le relativisme est l'un d'eux. Et des plus efficaces. D'où ces "selon moi", ces "pour moi" et autres "personnellement" devenus ces obligations polies, fausses humilités, symptômes d'une réelle arrogance et d'un nombrilisme exacerbé jusqu'à la banalité.

Non, je dis que la véritable humilité consiste à assumer ses opinions. Et à aspirer à parler selon la raison, et non "selon moi". Le philosophe est un amoureux de la sagesse. Or l'amour s'avance nu. Si l'amour rend aveugle, c'est en ce sens qu'il éveille à une vision risquée, à un dépouillement dans lequel je m'avance à découvert. L'une des beautés de la raison est que, pour universelle qu'elle soit, je me singularise d'autant plus que j'en fais bon usage. Raison, parole : logos. Dignité, divinité, ampleur, élévation, dépassement de mes œillères, et non point raison fallacieuse, étriquée. Philosophie et non point sophistique. Spiritualité et non point "coaching" (sinistre onomatopée !).

Pour autant, nous sentons aussi, à juste titre, que la relativité est bel et bien un fait. Et qu'une vue large est plus belle et meilleure qu'une vision rigide, à vrai dire aveugle, ou qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. 
Oui, mais relativité n'est pas relativisme. Non que j'ai à redire contre les -ismes. J'ai affirmé clairement qu'il vaut mieux assumer une opinion, quitte à tomber dans un -isme, que de disparaître dans les faux-fuyants d'une magnanimité factice. Mais quoi ? N'est-il pas vrai aussi qu'il faut être généreux ? Pourquoi ? Non pas au nom d'un politiquement correct qui n'est que folie politique, mais parce que notre destinée d'humains doués de parole est décidément de grandir. En accueillant.
C'est-à-dire ? C'est à dire que les points de vue, relatifs, sont englobés dans un point de vue absolu, comme tous les espace sont dans l'espace. La chose est simple à voir.

Mais ne demeure t-on pas encore enlisé dans l’indifférentisme paresseux, cynique et nombriliste ? 
A en rester là, certes oui. Et c'est bien dans ce nid douillet que l'on s'établit le plus souvent quand on est en groupe, pour paraître "sympa", agréer l'instinct grégaire, sacrifier au petit troupeau des bêlants.
Ah, qu'il est bon de se sentir mouton ! 
Mais telle n'est pas la voie du philosophe, telle n'est pas la voie de la l'amour. A-t-on jamais vu une "bande de philosophes" ? Les intelligences ne additionnent pas, elles se divisent. Ou alors, pour éviter cette funeste arithmétique, elles doivent d'abord accepter une certaine solitude. Encore un paradoxe : c'est en admettant que nous sommes divisés que nos intelligences pourront se mêler sans se diviser mutuellement. Mieux vaut un libre désaccord qu'une tolérance hypocrite. Non qu'il faille être dur sous prétexte de franchise - qu'ils sont misérables ceux qui justifient leur manque de tact en invoquant la franchise ! - mais l'honnêteté ne va pas sans une certaine pudeur qui se traduit en humanité. Laquelle n'empêche point de choquer, de heurter l'opinion d'autrui, et donc autrui, si ce dernier fait corps avec ses opinions. Socrate ne se comparait-il pas à un taon ? Et, certes, il finit par être condamné à mort par ceux qu'il avait ainsi interpellé. Le philosophe est donc intègre, il n'hésite pas à heurter les "points de vue", fut-ce le relativisme, mais sans intention de nuire et avec le plus d'humanité possible. Au contraire même, il faut être prêt à risquer sa vie, ses relations, sa réputation, sa carrière, ses ambitions, dans l'aventure de l'éveil des consciences.

Mais l'indifférence ? Si toutes les opinions se valent, comment l'éviter ?
Eh bien, là aussi, la réponse est simple, quoi que choquante pour l'air du temps : il faut hiérarchiser les points de vue. Hiérarchiser, c'est discerner, c'est rendre hommage au sacré, au transcendant, à l'immense, au plus vaste que nous, à ce qui est plus que nos points de vue. C'est, d'après l'étymologie, s'ancrer dans le sacré, au-dessus des opinions. Or, le premier reflet en nous du sacré, c'est la pensée, la parole, la raison. Nous ne sommes pas des bonbons à la menthe, mais des êtres doués de cette intelligence miraculeuse, de ce pouvoir divin de discerner le vrai et le faux, le bien et le mal, quelle que soit la difficulté de l'entreprise. Or, pouvoir implique devoir.
Et surtout ! surtout : nous rendons ainsi à chacun le sien. Nous sommes justes - ou du moins nous tendons vers la justice. Nous ne renvoyons pas tous les points de vue dans le même panier, avec ce que cela suppose de mépris foncier - quoi qu'on s'en défende - mais nous accueillons chacun dans sa singularité, à sa place irremplaçable. Chaque point de vue est unique, teinte inédite dans l'arc-en-ciel des points de vue. Hiérarchiser, c'est respecter.

Il y a du relatif. Bien. Mais ce relatif évolue au sein d'un Regard qui n'est pas relatif. Et notre aventure, notre risque et notre noblesse ne sont pas de renoncer à hiérarchiser, c'est-à-dire à comprendre, en nous réfugiant dans le relativisme, le scepticisme ou l'agnosticisme, mais bien de nous engager, d'essayer, de nous battre, de mettre en jeu tout ce qui nous est cher. Le seul détachement qui vaille est le détachement par amour de l'unique, par respect de l'autre. Qui aime bien, juge bien. Et non pas : "qui aime, ne juge pas". Mais juger bien peut consister à juger que l'on est pas, à tel moment, en état de juger. Car il ne s'agit pas de ce précipiter. Mais il ne s'agit pas de fuir non plus.

Voici la justice : reconnaître l'ordre et la place de chacun, de chaque opinion, de chaque point de vue, jusqu'à la Racine mystérieuse et lumineuse du sacré. Tel est notre devoir de conscience. Telle est notre quête, la seule qui nous rende à la fois magnanimes et justes, la seule qui offre de pouvoir être tolérant face à la transcendance, sans sombrer dans l'indifférence et la condescendance.

Telle est la générosité que j'aime dans l'amour de la sagesse, que je reconnais en tous les esprits qui me touchent, d'Orient comme d'Occident, loin de cette mollesse lénifiante que l'on nous sert sans cesse comme panacée avec, je le soupçonne, le projet de nous endormir.

mardi 5 juillet 2016

Donnons-nous la paix

Les cinq sens sont d'ordinaire considérés comme source de distraction et cause de nos malheurs. La conscience, toute tournée vers l'extérieur, s'oublie et oublie sa gloire innée, à l'image du rêveur qui s'égare dans ses songes.
Mais si la conscience, l'attention, l'énergie, se retourne sur elle-même, comme en un soudain basculement, alors tout est à l'instant transfiguré, comme transmuté par le touché d'un sang miraculeux.



Outpaladéva évoque ainsi ce saisissement qui marque à jamais les amants qui "aiment, sans savoir qui" :

Maître !

Je veux que mes sens

soient en plénitude,

transparents,

plein d'amour

et fermes durant ton adoration. 43

Seigneur !

Dans le trésor de l'adoration totale,

dans les gestes qui sont adoration de toi,

le jeu des cinq sens devient

mystérieusement, miraculeusement,


révélation d'une richesse divine. 44

(Hymnes, XVII)




Si l'on reste assis, détendu, 

la tête comme suspendue à un fil céleste, 

le regard lâché, 

la bouche comme prête à embrasse l'espace du regard, 

alors la tradition promet que cette éveil sera induit de force

, comme si l'on était possédé par la Transparence, 

ravi par une présence vive et vibrante, 

dilaté dans l'infini. 

Geste qui donne la paix qui ne passe pas (shambhu-mudrâ),

 les yeux écarquillés, 

on se sent emporté au large, 

au très grand large. 

Tel est le geste traditionnel de la grande adoration 

qui introduit en l'immense banquet des yoginis de l'espace. 

C'est la "pratique" la plus importante du tantra non-duel.