lundi 15 mai 2017

D'où vient la mélancolie ?

Mélancolie et ses sœurs,
Acédie, Neurasthénie, Spleen,
Vague-à-l'âme, Tristesse, 
Fatigue, Angoisse et Dépression,
tourmentent les humains depuis... toujours.
Selon certains, elles vinrent en même temps
que le désert du Sahara, 
mais enfin, ça n'est qu'une conjecture.

Toujours est-il que la mélancolie fascine.
D'un côté, elle fait souffrir,
elle "dérobe" la vie de celui ou celle
qu'elle empoisonne, selon l'expression
du Poème du frémissement.
De l'autre, nous goûtons en elle
un je-ne-sais-quoi qui donne du poids
et comme du sérieux à tout le reste.
Les mélodies les plus belles
ne sont-elles pas les plus mélancoliques ?

Abhinava Goupta,
le grand sage du tantra (si différent du néotantra !),
estime qu'elle est causée par l'ignorance.
Qu'est-ce que l'ignorance ?
Elle n'est pas une sorte d'aveuglement métaphysique,
comme dans le Védânta,
mais plutôt un genre de torpeur,
de recroquevillement de la conscience,
qui va s'assoupir dans les rythmes qu'elle engendre :
respiration, sommeil, naissance, schémas mentaux...

Et donc, le remède à la dépression est l'éveil,
le réveil. 
Ounmésha, en sanskrit, évoque l'ouverture des yeux
et l'éclosion d'une fleur.

Dans un discours sur la Déesse, il chante ces deux versets :

Cette Intelligence
qui s'active en chacune 
de nos intuitions à propos des choses
et qui infuse ces éveils,
est la chair même
de toutes choses.
Pour qui est plongé de tout son être
dans cette Lumière de la suprême Shakti,
comment la dépression serait-elle possible,
attendu que celle-ci
est due à l'absence de cette Présence ?

[Mais l'ignorant] ne prête pas attention
à cette source de joie et de bonheur,
à cette richesse sans égale
qui infuse son corps, son souffle vital, son esprit...
et il est frappé en son cœur
par une mélancolie/dépression sans pareille...
Si la suprême Déesse
qui se délecte à créer le monde entier
vient habiter en son cœur,
alors, alors !
elle danse et se déploie et brûle
comme l'oblation plénière !

(dans l'Explication du Tantra de la Maîtresse des Trois Shaktis, éd. Singh, p. 39)

L'"oblation plénière" (poûrna-âhouti) est l'offrande finale
lors d'un rituel du feu. C'est une façon de dire que la conscience brille alors 
comme si tout se consumait en elle, dans son feu transformant.
Une flamme haute, vivante, intense,
nourrie de toutes choses,
de même que le feu infuse le bois qu'il brûle,
et l'assimile à lui-même.


Ces paroles font chaud au cœur
et sont encourageantes.
Elles guérissent l'Intelligence en la réveillant,
comme d'un sort funeste.

Mais, à côté de cet optimisme bienvenu,
je crois qu'il y a aussi place pour la mélancolie
comme telle.
C'est le thème de la "nuit" spirituelle,
incontournable selon la tradition mystique chrétienne.
Après une période de grâce savoureuse,
vient la grâce obscure, aride, douloureuse...
Je crois que ces cycles d'épreuves,
de mots et de renaissances, sont indispensables
pour grandir et se laisser transformer
en cela qui est plus vaste que nous.
Voici donc un exemple de la manière dont la mystique chrétienne
peut venir enrichir la mystique du shivaïsme du Cachemire.
La mélancolie fait partie de la beauté
de la vie intérieure.

1 commentaire:

  1. Voici que je me réfère à mes outils d'appréhension ou de compréhension issus du TAOïsme: La tristesse, qui débouche sur la mélancolie lorsqu'elle déborde de son objet déclencheur, est une émotion dite perverse parce que potentiellement toxique. Son autre versant dit vertue se fait adhésion à des valeurs qui émeuvent suffisamment pour qu'on ait envie de les défendre ou de se lever pour elles, elles nourrissent le courage. L'esprit qui habite le poumon diffuse ou colore l'intelligence par sa capacité à s'émouvoir.
    Pour faire le lien avec cet article que j'adore (tout comme tous, merci David!), la capacité à s'émouvoir, émanante et sans objet, éveille l'être vers la foi. On peut donc glisser hors du gouffre de la déprime grâce à l'absence pressante de déterminisme qui enserre le déprimé dans sa peine et partir de cet isolement existenciel et subjectif pour l'ouvrir vers l'universalité du feu qui consumme le sujet.

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