jeudi 21 juin 2018

Non-dualité de la vision et du désir



Le non-dualisme réduit souvent les désirs à des objets,
des contenus de la conscience pure, comme des nuages dans le ciel.

Mais comme je l'ai soutenu ailleurs, tout ce qui peut se dire de la conscience pure peut aussi se dire du désir "pur", sans objet encore différencié, ce que la philosophie de la Reconnaissance appelle "le premier instant du désir".

Dès lors, la conscience peut être reconnue comme mouvement, et donc comme émotion. Le désir et autres élans ne sont pas des accidents dans la conscience (des âgantukas dirait-on en sanskrit, des étrangers, des intrus),
mais son coeur battant.

On a la même idée dans le christianisme, c'est-à-dire dans le platonisme, comme on pourra le voir dans ce passage d'un non-dualiste peu connu :

...ce serait une erreur d'exclure de Dieu le désir, l'effort, et même en un sens la souffrance ; car ce serait au fond exclure le monde de Dieu. Dieu n'est pas une idole de perfection impassible devant qui défileraient, chantant ou pleurant, les générations ; (...) il est mêlé à nos combats, à nos douleurs, à tous les combats et à toutes les douleurs. Mais le désir en lui n'est pas pauvreté, il est plénitude ; c'est parce qu'il est l'infini qu'il a un besoin infini de se donner, de se répandre dans les êtres et de se retrouver par leur effort. C'est parce qu'il est la vie absolue qu'il complète les joies de sa sérénité éternelle par le frisson d'une inquiétude infinie ; c'est parce qu'il est la réalité et la perfection suprême qu'il ne veut point exister à l'état de perfection brute et toute donnée, qu'il se remet lui-même en question, se livrant en quelque sorte à l'effort incertain du monde, se faisant pauvre et souffrant avec l'univers pour compléter, par la sainteté de la souffrance volontaire, sa perfection essentielle ; le monde est en un sens le Christ éternel et universel. Il y a donc pénétration du monde et de Dieu, et dans la puissance infinie de l'être qui se déploie, et dans l'intimité morale et religieuse des consciences qui se recueillent ; donc quand nous parlons de l'être, ce n'est pas une notion abstraite et vaine ; c'est l'acte de Dieu, c'est aussi sa puissance ; c'est la plénitude et c'est aussi l'aspiration ; c'est la certitude, et c'est aussi le mystère. C'est l'unité de l'acte et de la puissance dans l'infini qui donne à l'être cette profondeur et cette richesse ; par suite, les manifestations ou les phénomènes du monde qui participent à l'être : l'étendue, le mouvement, prennent aussi d'emblée une étrange profondeur de vérité et de mystère.

Jean Jaurès, La réalité du monde sensible

Abhinava Goupta n'aurait pas dit mieux...

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