dimanche 18 novembre 2018

Comment revenir à la Source ?

La Déesse du Jaillissement, entre unité et dualité


Chaque expérience est un cycle complet, un Acte entier de la Source.

L'instant zéro est la présence transparente entre deux pensées.

Le premier instant est le jaillissement de ce qui va suivre, mais encore indifférencié. Le pur désir.

Le second instant est celui de la représentation, de la perception, du concept.

Le troisième est celui de l'acte objectivé, du mouvement visible par autrui.

Plus on remonte vers l'instant zéro, plus le chemin est simple, la voie directe.

Le troisième instant est celui de la philosophie et du travail sur nos croyances. 

Le quatrième est celui du rituel, du yoga, des pèlerinages, des pratiques corporelles, de la cuisine, du tricot, etc.

Le Tantra du Cachemire souligne les deux premiers instants : le zéro et le premier.

L'instant zéro est l'essence de la philosophie : un silence nu, un éveil à soi absolument simple, vierge comme le ciel au-dessus des nuages. 

Le premier instant est l'essence des pratiques du quatrième instant. C'est l'essence du yoga, des rituels, des pratiques de dévotion : le pur ébranlement du cœur, en lequel l'amour et ce qui est aimé ne sont pas encore séparés. Une ébullition, un frémissement interne, un ressenti viscéral, un élan à la racine de tout mouvement visible.

Abhinava Goupta, le plus célèbre maître du Cachemire, consacre plusieurs centaines de versets à élucider ces quatre instants de toute perception et les approches correspondantes.

En particulier dans le premier chapitre de la Lumière des tantras, très dense.

Il évoque ainsi le premier instant, l'extase non-duelle, moment paradoxale du mouvement immobile, du ressenti qui est un désir indifférencié, un amour vraiment inconditionnel, donné, coulant de source et d'une puissance sans égale :

Là à l'origine de [toute perception],
il y a une conscience de soi,
un état sans concepts, sans dilemmes, sans hésitation.
Il se manifeste clairement, en toute évidence
et de la manière la plus directe.
On le célèbre comme le [premier instant qui est] désir.
(TÂ I, 146)

La langue d'Abhinava est difficile à traduire. Elle est d'une densité peu commune, pleine d'allusions, de résonances et de jeux que celui qui espère traduire sans trop trahir rend comme il peut. Ce sont des paroles à méditer encore et encore, comme le travail de l'artisan mille fois repris, et non de simples informations à entendre.

"Là", dans n'importe quelle expérience, dans n'importe quelle "cognition" disent les philosophes contemporains.

"A l'origine", âdye, à la Source. L'instant du Big Bang, de l'expansion, de l'éveil, de l'éclosion. Chaque cognition est un éveil et l'occasion d'un éveil pour ceux qui, comme dit Abhinava, sont "riches en attention", doués de la faculté d'observer avec le sens du sacré et de l'émerveillement. Âdi est le Commencement. Le Rite sexuel est appelé âdi-yâga, "l'offrande originelle", car l'absolu s'y offre sous une forme objective (la semence, entre autres), afin de s'engendre comme personne unique. Toute cognition est analogue à l'acte sexuel, miroir de l'acte créateur. Tous les plans se répondent.

Là, il y a une conscience de soi, sva-parâmarshe, un ressaisissement, une réalisation de soi, une prise de conscience émerveillée, camatkâra, un miracle être, une délectation, rasa
C'est l'instant de l'expérience du Soi en sa puissance, en sa richesse. L'instant zéro est plutôt l'expérience de la simplicité.

C'est une conscience sans nulle hésitation. Pour cela, elle est comparée à l'aigle qui fond sur sa proie, ou à une perception directe sans nul jugement (anusamdhâna), comme un expert identifie une pierre précieuse en pleine nuit à la lueur d'un éclair. Un ressenti brut, une intuition.

C'est la voie de Shiva ou voie du désir.
Revenir à la Source, c'est être cette source qui se savoure ainsi, qui se saisit dans son jaillissement originel.
Bien sûr, cette énergie se présente à nu en ce premier instant. Mais elle reste présente en tous les instants suivants.
Ce ressenti se déploie comme pensée et action, sans être interrompue par eux, car elle est leur âme, leur graine, et ils sont sa fleuraison.

1 commentaire:

  1. The Masters of the Tradition began with a single simple insight: no matter what the object of their awareness, it is always accompanied by that awareness itself. Awareness is always self-aware. But then they noticed something else, something equally simple and obvious. The objects of their awareness, whether internal to themselves or external in the world, did not seem to share in this self-awareness. But this is rather puzzling. Because whenever we become aware of anything, we become one with it in the very act of knowing it. But how is it possible for two things of such fundamentally different nature to become so unified? How is it possible for awareness to become one with lack of awareness in the act of knowing? Pondering deeply, the Masters came to their remarkable, even stunning, conclusion: it is simply not possible for this to occur. Therefore that must not be what in fact does occur. Rather, what must occur in the act of knowing is that self-awareness becomes one with self-awareness. Everything must be self-aware. Everything must be Consciousness. Moreover, there must be only one such Consciousness, because if there were really two, each of them would be separate from the other’s awareness in the act of knowing and that is just what has been shown to be impossible. But this is perhaps even more puzzling. For if everything is in fact one Consciousness, how is it that it appears as many and insentient? Working out the answer to this question and actually experiencing that answer –along with all of its quite extraordinary ramifications–is the essence of the Tradition itself.

    Mark Dyczkowski
    www.anuttaratrika.org

    Les 5 dernières lignes de ce profond texte
    me semblent pointer la profondeur de la profondeur …

    Merci .

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