vendredi 18 janvier 2019

Comment gérer les pensées ?



Je ne l'aime pas trop, ce mot de "gérer".
Mais bon, on se comprend.

Quand une pensée a cessé, 
se révèle un silence vivant, vibrant mais doux,
une transparence lumineuse.
On peut l'appeler "pure conscience", "conscience" ou "présence", "le Soi", "notre essence", "Moi profond", "espace impersonnel", peu importe.
Ce qui compte est de reconnaître clairement "cela"
qui n'est pas une chose.

Mais ce silence ne dure pas. 
Même si vous êtes une grand yogi/yogini
plongé en samâdhi, 
tôt ou tard une autre pensée apparaît
et semble rompre le silence.

Un conte de yoga le rappelle :
un grand yogi vivait avec sa servante
dans sa grotte.
Il était accro aux soupes à l’oignon.
Un grave péché pour un yogi,
mais nul n'est parfait.
D'autant qu'il était fort en méditation.
Par la force de son entraînement,
il plonge donc en samâdhi,
un état de pure présence sans pensées.
Puis il en ressort,
savoure sa soupe,
puis il replonge,
dans l'espoir qu'un jour,
plus aucune pensée ne vienne 
jamais le déranger de son état
de pure conscience.
Il connu un certain succès.
Ses samâdhis étaient de plus en plus long.
Si bien qu'un jour il plongea pour de bon.
Son corps devient comme une branche
desséchée. Il resta ainsi,
parfaitement immobile,
pendant douze ans,
identifié à l'espace impersonnel.
Quand il réémergea,
il ne put s’empêcher de demander 
une soupe. Juste une, pour la route.
Sa servante se faisait vieille,
elle avait de plus en plus de mal
à déterrer les oignons (ou les radis,
selon une autre version).
Le yogi avait le sentiment d'être proche du but.
Il se disait que,
s'il plongeait assez longtemps,
son mental ne réapparaîtrait plus.
Plus de pensées, plus de désir de soupe.
Il replongea.
Cette fois, pendant des siècles.
La terre changea, des montagnes furent rasées,
d'autres apparurent.
Mais le yogi ressorti de son samâdhi.
Et il senti un irrépressible besoin de soupe.
Enragé contre la colère même
qu'il sentait monter en lui,
il s'écria "Où est cette maudite soupe ?
Elle est où ? Je VEUX ma soupe !"
La servante, qui était aussi une yogini,
et qui était donc toujours vivante,
lui sourit et dit : il n'y a plus de soupe.
Mais son parfum semble immortel
en toi...

Le mot pour parfum est vâsanâ en sanskrit. C'est la trace laissée par les actes. Autrement dit, les habitudes. Qui, comme chacun sait, ont la vie dure.

De fait, quelle que soit la qualité de "notre" expérience de la pure conscience sans pensées, des pensées vont réapparaître. Comme si de rien était. Comme de frais poissons surgis hors de l'eau limpide de la présence.

Si donc nous aspirons à être libre,
ça n'est pas tout de savoir être sans pensée.
Il faut encore savoir que faire
lorsqu'une pensée surgit.

Tant que nous n'aurons pas vécu le "bruit" de la pensée
comme silence, nous ne serons pas libres.
Même si nous sommes par moments
sans pensées, nous ne sommes pas libres des pensées.
Et il ne suffit pas de plaquer sur les pensées une autre pensée, vague, du genre : "Mais les pensées ne sont que des objets qui apparaissent dans l'espace impersonnel que je suis". Ce verni ne résistera pas à la vie quotidienne. Les tensions et la souffrance révéleront que cette stratégie est factice. 

Comment être libre alors ?

D'abord réaliser qu'à toute conscience, des objets apparaissent. Pensées, sensations, etc. Même au plus grand des yogis. Nul ne peut totalement et définitivement faire cesser toute pensée. Le corps et l'esprit sont un. Tant qu'il y a un corps, il y a un esprit. Tant qu'il y a du souffle, il y a parole, donc mots, donc pensées.

Mais alors, quelle est la différence entre un "éveillé" et un profane ?

La différence est dans la manière de laisser les pensées revenir au silence.

Quand je suis inconscient du bavardage mentale, je suis pris à son jeu : une pensée mène à une autre pensée, un mot à un autre, comme en un labyrinthe sans fin.

Quand "je" (la conscience) me suis éveillé à moi-même (comme pure conscience silencieuse), alors l'attention se déplace : au lieu de mettre l'accent sur les pensées, l'attention s'ouvre, se détend et vient reposer dans le silence sans limites.

Mais comment ?

Concrètement, quand je médite, au lieu de mettre l'accent sur l'apparition des pensées, en restant comme un chat qui guette les souris, ce qui va entraîner un choc à chaque fois qu'une pensée/souris se présente,
je mets l'accent (=je place l'attention) sur la disparition de la pensée. De fait, je ne peux empêcher les pensées d'apparaître ; mais je ne peux non plus les empêcher de disparaître, l'une après l'autre. C'est le bon côté de l'impermanence. 

Comme des dessins tracés sur l'eau, chaque pensée commence à s'évanouir dès qu'elle se présente.

La clé n'est pas dans l'apparition des pensées, 
mais dans leur disparition. 
Ne faites pas attention à l'apparition des pensées,
mais à leur disparition.
Ne craignez plus l'impermanence.
Faites-en votre alliée.

Dès lors, chaque pensée est ressentie comme une détente.
Essayez et voyez par vous-même. Sinon, ce ne sont que des mots.
Placez votre attention sur le fait que les pensées sont évanescentes, en fuite, sur le fait qu'elle s'évaporent
dans la vaste immensité silencieuse.

Ce yoga de l'impermanence est un yoga de la liberté, un yoga de l'offrande des pensées au feu du silence éloquent.
Me revient ici l'image de la Bhagavad Gîtâ : le yogi offre ses sensations et ses pensées dans le feu de la Présence allumé par l'éveil.

Bien sûr, cela ne vaut pas que pour les pensées, mais pour tout ce qui se présente : au lieu de mettre l'accent sur l'apparition de la sonnerie de téléphone, ressenti comme une agression (même petite, cela s'accumule), mettre l'accent sur la disparition de cette sonnerie.

La méditation, au lieu d'être une cessation factice et donc transitoire du bavardage mental, devient une libération, une détente, comme un long, long bâillement...

Et cette méditation peut être pratiquée en toute circonstance, puisque les pensées et autres dérangements ne sont plus des ennemis.
Ainsi, le mouvement fusionne vraiment avec l'immobilité.
Cela ne reste pas une idée vague, mais une expérience directe. Une expérience libre car non conditionnée, non parfumé par l'angoisse du retour du mental et des tensions.  Autrement, notre yoga reste une fabrication superficielle. Même si nous sommes les rois de l'âsana et du prânâyama, l'énergie reviendra et démasquera ce personnage du parfait yogi.

Voilà, en bref, comment gérer les pensées.


1 commentaire:

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