jeudi 31 janvier 2019

Qu'est-ce que la Matrice selon le shivaïsme du Cachemire ?

la méchante sorcière


Depuis Matrix, tout le monde a entendu parler de la Matrice. C'est une idée hybride, un mélange de l'allégorie de la caverne (souvenir du lycée ?) et de la notion indienne de Mâyâ, l'impalpable illusion dont nous serions tous prisonniers sans le savoir.

Selon le shivaïsme du Cachemire, il existe vraiment une Matrice qui est "la Mère du monde" (vishva-jananî). Selon cette tradition, elle est la Matrice (mâtrikâ en sanskrit) en plusieurs sens qui se complètent. La Matrice est en effet la Mère, la Parole et la Conscience :

-La Matrice est la Mère (mâtrikâ<mâtâ) de tout et de tous, la puissance créatrice, la Shakti.

- elle est l'alphabet, de "a" à "ksha" en sanskrit. Elle est l'Alpha et l'Oméga, la gamme de tous les sons possibles qui, en se combinant, vont engendrer les représentations. Ce sont ces jugements qui vont nous convaincre, nous, la Conscience, que nous sommes incomplets, limités, gros ou minces, jeunes ou vieux, heureux ou malheureux, que nous faisons la vaisselle ou que nous répondons à un mail... La Matrice est le langage, la parole mentale et physique qui façonne le faux Moi auquel nous nous identifions et qui ainsi semble prendre le contrôle. 

- mais qui est cette Matrice ? En réalité, elle est la Conscience elle-même, la Source. Absolument libre et souveraine, elle joue à s'identifier à tel ou tel individu, jusqu'à s'y oublier. Comme un joyau caché par son propre éclat, sa liberté se transforme en aliénation. Nous sommes prisonniers de la Matrice, mais la Matrice, c'est nous, la Conscience infinie comme l'espace. La Matrice est le Soi, le sujet ultime, le sujet qui ne peut jamais devenir un objet (mâtrikâ<pramâtâ) et qui est la condition de possibilité de tous les objets. 

Autrement dit, la Matrice est notre créativité, notre énergie, dont nous devenons nous-mêmes les victimes parce que nous ne reconnaissons pas ce pouvoir comme notre pouvoir. Et pourquoi pas ? Parce que nous nous identifions non à la Conscience, mais au mental. Être le faux Moi, c'est être la Conscience qui est trompée par ses propres pouvoirs. Être le vrai Moi, c'est être la Conscience qui reconnait ses propres pouvoirs.

Comment se libérer de la Matrice ?
En prenant conscience du mental, des voix dans notre tête, des réactions et tensions dans notre corps, durant la méditation formelle où dans le quotidien. Mais c'est plus puissant dans le quotidien. Le mental est nourri par la peur et lui-même alimente la peur. On peut court-circuiter ce cercle vicieux au niveau du mental ou au niveau des tensions corporelles. Au lieu de se laisser emporter, on ressens les pensées et les tensions, sans chercher à les "comprendre" ou à les manipuler. Elles se révèlent alors comme des vagues dans l'océan de la Conscience. 
Embrassée avec le pouvoir de l'attention la sorcière redevient princesse.

La Matrice redevient liberté.

8 commentaires:

  1. bonjour david :)
    pourriez vous me dire ce que vous entendez, lorsque vous dites..' dans ' l'orbe ' de votre regard ?

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    1. Bonjour :) vous faites sans doute allusion à un autre billet, car là je ne vois pas le mot "orbe" ?

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  2. c'est dans votre livre,60 exp de vie intérieure, dans le chapitre 'ne faire qu'un avec le ciel ' vous dites deposer toute votre attention dans l'orbe de votre regard.. :)

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    1. Oui, l'orbe du regard, c'est le champ visuel, cette sorte d'ovale formée par le champs visuel. Il s'agit de poser l'attention sur ce champs visuel en mettant l'accent sur les rebords. Cela permet d'ouvrir la conscience. ET quand on pose le regard sur le ciel bleu, c'est encore plus fort.

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  3. Bonjour !!
    Merci pour votre magnifique poste.
    Pourquoi utilisez-vous le mot conscience ? Pourrions-nous pas dire Présence? Conscience qui prend conscience du mental, ça reste dualiste non ?
    Belle soirée

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    1. Bonjour, tous les mots sont dualistes et tous ceux que l'on pourrait employer à la place de "conscience" ont au moins le même défaut : faire croire que la conscience est une chose, une chose limitée. Je garde "conscience" car ce que je veux dire (même si c'est difficile) est bien ce qui est signifié par ce mot, et parce que c'est une bonne traduction du sanskrit "cit". Mais c'est discutable. J'ai écris plusieurs articles à ce sujet.

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    2. Bonjour,
      Merci pour votre réponse.
      La conscience, en Occident, a été pensé comme la faculté de se représenter les choses, c'est intéressant de voir qu'avec l'arrivé des spiritualités chamaniques d'orient, comme vous le dîtes dans votre blog, le sivaïsme, étant si je vous ai bien lui une tradition chamanique au sens où l'on se laisse posséder par l'Eveil, la conscience est rudement mise à l'épreuve... Si la conscience est ce qui se représente des choses, une table, un verre, comme la conscience peut-elle se représenter l'Eveil ?
      Impossible me direz-vous ?
      Enfin, je découvre votre blog, je ne connaissais rien au shïvaisme, par contre nourrit depuis des années par le bouddhisme, je suis enchanté de pouvoir remonter à ses origines grâce à vous,
      merci,
      et en partage, peut-être que cela vous intéresse, voilà d'où je pose ma question sur la conscience :
      https://vimeo.com/271857179
      cordialement
      Guillaume

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