samedi 30 mars 2019

Le corps, source d'esclavage ou de liberté ?

Mâyâ Circé


Conspué ou célébré, le corps est au centre de toutes pratiques, que ce soit pour le mortifier ou pour le satisfaire. 
Comme le Vedânta, la Reconnaissance (Pratyabhijnâ, shivaïsme du Cachemire) affirme que la véritable liberté consiste à voir la source et l'arrière-plan des activités du corps. Mais, à la différence du Vedânta, la Reconnaissance ne consiste pas à voir dans le corps une illusion et une source d'impureté face à laquelle on peut, au mieux, rester indifférent. La Reconnaissance voit plutôt dans le corps un mandala de pouvoirs, les shaktis ou yoginis, qui sont soit bonnes, soit mauvais, selon que les reconnait ou non.

Selon les Oupanishads et la Bhagavad Gîtâ, commentée par Abhinava Goupta, les facultés des sens (y-compris le mental) sont des divinités. Tant qu'on ignore leur source véritable - la conscience - ces divinités se jouent de nous, elles font de nous leur bétail (pashu). Mais quand nous reconnaissons leur source - la conscience - nous devenons maîtres (pati) des facultés qui, comblées par le nectar de la conscience, créent un monde de liberté.
Dans son Commentaire sur le Tantra de la Suprême Triple souveraine (Parâ-tri-îshikâ-vivarana), Abhinava décrit ainsi les énergies vitales mentales, souffle, parole et pensée :

Quand leur/notre vraie nature n'est pas reconnue, bien que l'essence sans pensée, qui est émerveillement, soit présente jusque dans les pensées, elles égarent [les êtres] et engendrent la prison du samsâra en prenant possession d'eux à travers toutes les peurs qui sont des pensées et des divinités, qui sont terrifiantes mais qui ne sont qu'un assemblage de sons et de phonèmes variés... Mais quand leur/notre essence véritable est reconnue, ces mêmes [énergies du corps] procurent la liberté en cette vie même. (p. 43, KSTS 18)

Dans ce contexte, l'adoration à travers le plaisir devient légitime : l'absolu est plaisir (ânandam brahmâ, disait déjà les Oupanishads), l'absolu est conscience. La douleur est conscience contractée. A travers les plaisirs des sens et du mental, la conscience entre en expansion, elle se détend. 

Mais l'essentiel est que les énergies sont ambivalentes :

reconnues et satisfaites, elles sont source de liberté et de jouissance ; méconnues et méprisées, elles sont source d'esclavage et d'angoisse. 

Cette dernière situation est celle du consumérisme et du néo-tantra : tant que le vrai Moi ne se reconnaît pas soi-même, il reste le jouet de ses pouvoirs, quand bien même il adopterait une posture hédoniste. Il faut donc se voir au-delà du corps pour jouir véritablement du corps et célébrer l'absolu à travers le corps. Autrement, on ne goûtera que quelques plaisirs évanescents et décevants, comme n'importe quel consommateur.

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