samedi 4 mai 2019

La conscience est nécessairement consciente d'elle-même


La conscience de soi implique-t-elle nécessairement une dualité dans la conscience ?

La conscience peut, certes, être conscience de "moi" en tant qu'objet. Par exemple, conscience de la couleur de mes yeux quand je me regarde dans un miroir. Cette conscience implique une dualité entre le sujet (la conscience) et son objet (la couleur des yeux), car c'est ici d'un objet dont je prends conscience, et non de moi en tant que conscience. Ca n'est pas une conscience immédiate. Elle passe par les yeux, et la conscience des yeux implique une exclusion de tout ce qui n'est pas les yeux. En ce sens, la perception des yeux est un concept.

Mais si je prends conscience de moi en tant que conscience, il n'y a pas la moindre dualité. La conscience de soi est immédiate, sans intermédiaire. Elle peut s'exprimer dans des gestes ou des mots ou autres actions, mais en elle-même, la conscience de soi est une action intérieure, subtile. 

Même la conscience de l'objet n'implique pas réelle séparation entre le sujet et l'objet, car c'est encore la conscience qui se manifeste comme objet. 

Autrement dit, la non-dualité n'est pas l'exclusion, l'annulation ou la correction de la dualité, mais plutôt la reconnaissance que la dualité, c'est moi qui me manifeste ainsi. La non-dualité n'est pas l'absence de dualité, mais la conscience qui se manifeste à la fois comme unité et comme dualité et qui le réalise pleinement, alors que la conscience ordinaire n'a conscience que de la dualité, bien que, même dans ce cas, rien ne se manifeste hors de la conscience.

Donc la conscience de soi est l'essence même de la conscience, de l'absolu. Ce pouvoir de sortir de soi tout en restant en soi, de se réaliser soi-même comme étant autre que soi, est l'essence de l'absolu. C'est l'absolu même, le cœur du cœur, l'essence de l'essence, la quintessence.

Comme disait Hara Bhatta SHâstrî en expliquant la Démonstration du sujet comme conscience :

nirvimarśasya prakāśasyāpi sphaṭikādivad viśvāvabhāsane 'py asvatantratvāt svātmany asatā jaḍena ca bhāvena sādṛśyam eva syāt parasparavṛttaparijñāne 'nelamūkaprāyatvāt, etena śāntabrahmavādanirāsaḥ kaṭākṣitaḥ || 
Ad Ajadapramâtrsiddhi, 9

nirvimarśā saṃvit svato ' labdhasattākā paraṃ vyavasthāpayituṃ nālaṃ gaganakusumam iva saurabhādijanane ||Ad Ajadapramâtrsiddhi, 10

"Privée [du pouvoir] de prendre conscience [de soi], la Lumière consciente [ne serait pas consciente], comme un cristal par exemple. Même si en elle se manifestaient toutes les choses de l'univers, elle serait comme si elle n'était pas, elle serait tout à fait comme un objet privé de conscience, car elle serait alors privée de liberté, et aussi parce qu'elle serait comme sourde et muette, c'est-à-dire inconsciente quand aux opérations des choses variées [même si elle les manifestait]. En disant cela, on réfute aussi la théorie de l'absolu statique [des partisans du Vedânta].
...
Une conscience sans conscience de soi serait incapable de savoir qu'elle existe : elle serait incapable d'établir l'existence de quoi que ce soit d'autre, à l'image, par exemple, d'une fleur imaginaire, incapable de produire un [réel] parfum."

Ce qui n'a pas conscience de soi ne peut avoir conscience de rien. Une conscience sans conscience de soi est une conscience... inconsciente. Ça n'est pas une conscience du tout. 
De même "conscience" est synonyme de liberté, de désir, d'action et de création. Il est impossible de réaliser l'un sans les autres. Si je réalise que "la conscience transcende les chose" sans réaliser le reste, c'est alors une réalisation partielle de la conscience par elle-même, une conscience inconsciente. De plus, la dualité entre la "conscience pure" et les choses, considérées comme réelles (comme dans le Sâmkhya) ou non (comme dans le Vedânta) est... une dualité. Cette réalisation de la conscience comme transcendance qui exclut la dualité est donc dualiste. Le Vedânta, comme le Sâmkhya (et donc Patanjali) sont donc des philosophies dualistes.

Pas de non-dualité sans reconnaissance que la dualité est une libre manifestation de la conscience. 
 

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