lundi 16 septembre 2019

De la difficulté d'être intègre



Je regarde cette vidéo de Tim Freke, un philosophe original, en ce qu'il essaie, un peu comme moi (mais avec bien plus de talent) de marier les opposés : l'éveil à la conscience universelle et la valorisation de l'individu, la spiritualité et la science, l'intuition et la raison, la théorie et la pratique, l'esprit et le corps, bref Shiva et Shakti :



Dans cette sorte de petite confession, Freke fait part de ses soucis. Ses premiers livres, sur les origines gnostiques du christianisme, ont connu un grand succès. Mais depuis qu'il s'est engagé sur la voie de "l'éveil élargi", qui transcende l'individu sans l'exclure, il constate que moins de gens semblent intéressés. Au vu de l'énergie et des moyens investis, cela donne a réfléchir. 

Dans d'autres vidéos, il évoque sa "rébellion de l'âme". Il veut partager ses idées, et donc il a créé une organisation, petite mais quand même une organisation, avec ses problèmes de budget et tout. Et il a le sentiment, en plongeant dans ce monde, fatalement commercial, basé sur les stratégies, les stratagèmes, la compétition, la séduction, de vendre son âme. Qui se révolte. Il fait ici part de ses problèmes de conscience. Et je vous avoue que ça me touche en profondeur :



Et manifestement, le fait de partager son trouble ne le rend pas plus populaire. Certains personnes apprécient son honnêteté. Mais les clients fuient.

De plus, il n'est pas le seul à rencontrer ces difficultés. Ken Wilber et sa philosophie intégrale (qui réconcilie science et spiritualité) sont passés de mode, son "université" ne semble pas avoir grand succès, en France ses livres ne se vendent pas. Marc Gafni et sa "voie de l’Éros" (qui réconcilie le meilleur de l'Orient et de l'Occident) se sont heurté à des campagnes de diffamation.

Je partage son trouble, à mon échelle et avec mes moyens, qui n'ont rien à voir avec les siens bien sûr. Mais je vois les difficultés et les multiples pièges qui se dressent dès que l'on entre dans l'arène du partage en public. Tout tend à se simplifier, à s'appauvrir. D'un autre côté, il y a le plaisir irremplaçable du partage avec des personnes en chair et en os. Mais subrepticement, je constate que je tends à passer de la recherche de la vérité à des discours de séduction. Et insensiblement, je me retrouve à me vendre. L'air de rien. Et ça change tout. Et ça peut être si subtil. Et si puissant. Et là, me reviennent à l'esprit les vieux contes qui nous avertisse. Il y a des tentations. Des cadeaux empoisonnés. C'est un combat entre soi et soi. 

Et donc, ces gens sont "dans le circuit" du bizness mondial de la spiritualité d'avant-garde. Des célébrités dans leur domaine.

Alors pourquoi cet échec (relatif) ?

La première raison est que les gens aiment ce qui a l'apparence de la simplicité. Simple comme un bon slogan. A l'opposé, l'idée de synthèse semble complexe, difficile et donc elle rebute. Les messages simplistes du genre "il n'y a que" ceci ou que cela, réductibles à des slogans faciles à mémoriser, du type "il n'y a rien à faire", "tout est parfait", "penser moins, sentir plus", "le pouvoir du présent", etc. 

Et dans cette veine, je crois que nous sommes habités par une profonde tentation de nous amputer : couper, couper le corps, l'esprit, la raison, l'intellect, les émotions, l'ego... La pulsion du sacrifice salvateur est très, très profondément ancrée en l'homme. Je vais arrêter ça, ou ça, et ça, et ça ira mieux. Au plan logique, nous restons dans le binaire, le "ou bien... ou bien...". Malgré la propagande relativiste (en laquelle je vois un poison), la relativité des points de vue et, surtout, leur complémentarité, reste bien étrangère à la culture populaire. Nous restons rigides, paresseux.

Ce qui nous amène à la seconde cause de l'échec des approches intégrales : l'aversion pour l'intellect, pour la pensée, pour la spéculation. Et derrière cette aversion, je vois une peur viscérale de la liberté. De la solitude. Malgré la révolution individualiste, nous restons des créatures sociales, des animaux grégaires, anxieux de nous "intégrer" dans un groupe, n'importe lequel et au prix de notre liberté. 

Et cela s'oppose à l'approche intégrale, qui intègre une dimension intellectuelle et donc, critique. Or la foule et son esprit borné détestent la critique. L'égrégore collectif fait donc tout pour rejeter l'esprit critique.

Comme le fait remarquer Bergson, l'intelligence tend à fragiliser la cohérence du groupe. Toute réflexion introduit le doute et donc la dissension. Et donc tout groupe va, instinctivement, repousser et exclure tout ce qui peut menacer sa cohésion. 

C'est pourquoi les groupes et les idéologies s'arment contre l'intellect. Dans toute idéologie, la pensée autonome est l'ennemi à abattre. Par la rhétorique et des formules faciles à comprendre : "Ne pas juger" ; "C'est intellectuel" ; "Trop dans la tête, descendre dans le cœur" ; "Pas de concept, des percepts" ; "Trancher l'ego" ; "C'est que des mots" ; "Les livres ne servent à rien" ; "Je le sais par expérience" ; "Ça c'est ton avis", "C'est des croyances" ; "Mon maître..." ; "L'enseignement oral..." ; "C'est un concept", etc. Tous ces "concepts" sont employés dans les milieux spirituels pour réduire au silence toute tentative de critique, de discernement. 

Il faut amputer, il faut se suicider pour être heureux : tel est le message que nous assènent les média du bien-être. Nulle part il n'est question de former son jugement, de s'entraîner à réfléchir, à se cultiver, à travailler son intellect. Il y a bien quelques approches pseudo-scientifiques ou "intellectuelles" en surface, mais ce ne sont que des religions avec un verni de jargon scientifique. 

Nous nous heurtons là aux limites de la nature humaine. 

Au-delà des révolutions d'un soir, la liberté n'est pas vendeuse.

Pour ma part, je crois que je continuerai à critiquer, à penser, à conceptualiser. Et à plonger au centre, dans le mystère et l'extase d'être. Et à savourer le silence absolu. Je continuerai à sentir et à penser, à cultiver la logique ternaire du "à la fois... et..." contre vents et marées, la voie de la transcendance qui intègre, bref le chemin de la dialectique, de notre bonne vielle méthode de la dissertation. Et si ça plait pas, grand bien en fasse ! 

Alors que l'enseignement de la philosophie au lycée vient lui aussi d'être amputé, je veux rester intègre, entier dans ce chemin de réconciliation. Je suis philosophe, toujours amoureux de la sagesse. Plus que jamais, je pense que c'est la voie la plus vaste, une voie qui intègre l'intérieur, mais aussi la poésie, la science, la nature, la sensualité, la politique. Je ne me suis jamais senti aussi bien. Pour moi, être philosophe c'est explorer cette attitude intégrale, qui accueil et évalue, qui hiérarchise et qui évolue, qui construit et et qui remet en question. C'est la liberté la plus vaste. 

Or, quoi de plus précieux que la liberté ?  

2 commentaires:

  1. évidemment david, la Vraie Liberté ne s'obtient pas en un claquement de doigt!
    sentir pour soi..et si cela ne convient pas aux autres.. et bien ma foi c'est leur affaire a eux ! :)

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  2. encore un petit mot..on ressent fort chez vous david cette liberté..un peu sauvage.. mais tellement accessible aussi..et si Précieuse !

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