mercredi 23 octobre 2019

La joie de plonger en soi




Le shivaïsme du Cachemire n'est pas basé sur des dogmes, 
des mystères auxquels il faudrait croire dans l'attente de la grâce.
Le shivaïsme du Cachemire est basé sur l'expérience ; 
non pas l'expérience exceptionnelle de tel ou tel sage, mystique, avatar ou yogi, 
mais sur l'expérience présente, sur l'expérience commune. 
Autrement, il s'agirait d'un culte ésotérique. 
Fascinant, exotique, mais lointain.

Or, non, c'est basé sur la reconnaissance de ce qui est donné ici et maintenant. 
Et cette reconnaissance a le pouvoir de changer la saveur de l'expérience.
C'est cela : une joie intime, indicible, ineffable, divine sans doute, mais intime. 
Une présence donnée, gratuite, qui précède toute recherche, 
tout geste, toute pratique, toute opinion.

Cela se trouve déjà suggéré 
dans le Vijnâna Bhairava Tantra
source de tout le shivaïsme du Cachemire 
et en particulier de la philosophie 
de la Reconnaissance (pratyabhijnâ) :

dikkālakalanonmuktā deśoddeśāviśeṣinī |
vyapadeṣṭum aśakyāsāv akathyā paramārthataḥ || 14 ||

antaḥsvānubhavānandā vikalponmuktagocarā |
yāvasthā bharitākārā bhairavī bhairavātmanaḥ || 15 ||

"La Déesse de Dieu est cet état de pleine divinité
affranchi des considérations de temps et de lieu,
qui ne peut être indiquée par un enseignement,
qu'on ne peut transmettre, indicible en vérité :
elle est la joie de l'expérience de soi, à l'intérieur,
libre de toute hésitation et de toute exclusion."

Vijnâna Bhairava Tantra

La Déesse est la présence dont nul ne peut se débarrasser,
que rien ne peut exclure. Elle n'a ni opposé, ni contraire.
Mais elle n'est pas non plus prisonnière d'elle-même,
puisqu'elle peut se réaliser sous d'innombrables formes,
y-compris l'oubli et l'inconscience.
Elle est l'expérience, là, maintenant, instant après instant,
tout simplement.
La Déesse est l'expérience que le divin fait de soi.
Elle est la conscience, l'adhésion au mystère,
le mystère qui jaillit à chaque instant.
Toujours nouveau, à jamais insaisissable.
Évident et insondable.

Tout ceci au cœur de toute expérience,
comme le cœur qui bat dans une chair vivante.
Pas de dualité dans la dualité.
Elle est l'expérience indicible de l'indicible.
Elle est l'expérience ici et maintenant.

C'est cela, la reconnaissance :
reconnaître ici et maintenant
le divin conçu comme loin, cru comme transcendant.
C'est reconnaître le transcendant dans l'immanent,
le divin dans l'humain,
le surnaturel dans le naturel,
l'éternel dans l'ici-et-maintenant.
La joie, même au cœur de la souffrance.

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