lundi 11 novembre 2019

Sans l'autre, le Soi est incomplet



La Brihad Âranyaka Upanishad, peut-être le plus ancien texte philosophique du monde.

Une collection de koâns.
Un trésors de mystères.

Il nous rappelle ce que nous savons, intuitivement, mais obscurément. 
C'est un réminiscience. Un réveil.

D'abord; l'absolu réalise qu'il est un. Et cette unité, après la peur, engendre la paix :

so 'bibhet tasmād ekākī bibheti |
sa hāyam īkṣāṃ cakre, yan mad anyan nāsti kasmān nu bibhemīti |
tata evāsya bhayaṃ vīyāya |
kasmād dhy abheṣyat |
dvitīyād vai bhayaṃ bhavati || (BrArUp I, 4, 1)

"Il prit peur. Voilà pourquoi on a peur quand on est seul.
Puis il s'examina : "Il n'y a rien d'autre que moi, de quoi aurais-je peur ?"
La peur le quitta, car de qui aura-t-il peur ?
Oui, c'est d'un second dont on a peur".

Donc la réalisation de l'unité sauve de la peur. 
Mais elle manque de plaisir :

sa vai naiva reme |
tasmād ekākī na ramate |
sa dvitīyam aicchat |
sa haitāvān āsa yathā strīpumāṃsau sampariṣvaktau |
sa imam evātmānaṃ dvedhāpātayat |
tataḥ patiś ca patnī cābhavatām |
tasmād idam ardhabṛgalam iva sva iti ha smāha yājñavalkyaḥ |
tasmād ayam ākāśaḥ striyā pūryata eva |
tāṃ samabhavat |
tato manuṣyā ajāyanta ||

"Il ne sentait aucune joie" (= aucune délectation, na eva reme)
"Voilà pourquoi, quand on est seul, on n'éprouve aucune joie.
Il désira (aïcchat) un second.
Car du moins il embrassait en lui le féminin et le masculin.
Alors il se sépara en deux.
D'où le mari et l'épouse.
Voilà pourquoi le sage Yâjnavâlkya dit que 'nous-deux sommes comme deux parties d'un tout'.
Voilà pourquoi l'espace est comblé par la femme.
Il s'unit à elle.
De là naquît l'humanité."

Tout est dit.
L'unité apporte la paix, certes.
Mais elle ne suffit pas.
Il y faut encore la relation, la dualité dans l'unité, seule féconde, car source de joie.
Comme dit Platon, c'est la joie qui rend fécond. 
L'un désire donc la dualité, le "second" pour être comblé.

Plus loin (11), la même Oupanishad résume ce mystère :

brahma vā idam agra āsīd ekam eva |
tad ekaṃ san na vyabhavat |

"Au commencement, il n'y avait que l'absolu ("l'être-en-expansion"),
absolument un.
Etant un (seulement), il ne s'était pas déployé."

L'absolu ne devient le tout que quand il actualise son potentiel infini.
Mais ceci est impossible sans désir, sans dualité, sans joie, sans fécondité.
Pour être fécond, il faut se réjouir. Pour se réjouir, il faut être deux. 
Pour être deux, il faut désirer l'autre. Pour désirer l'autre, il faut être un.

Donc l'absolu n'est pas un seulement, mais aussi désir, autre, joie et fécondité.

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