samedi 15 février 2020

L'adoration intérieure du Soi

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"Le Seigneur dit :

Je vais maintenant te dire l'adoration (pujâ) intérieure du Soi qui est la purification des purifications, destruction de toutes les ténèbres. [purification = pâvanam litt. "la ventilation", l'aération suprême] VI, I, 39, 1
...
"Je suis la plénitude même,
pleine de tout" :
telle est l'adoration divine,
pure, miracle du Soi/ émerveillement de soi.
...
En vérité, il adore cette conscience divine, transcendante,
cette pure et simple conscience avec tout ce qu'il obtient,
avec un intellect égal.
Il adorera avec tout ce qui se présente.
Que l'on ne fasse aucun effort 
pour obtenir ce que l'on n'a pas.
Que l'on célèbre chaque jour le Seigneur resplendissant
avec ce corps et selon ses pouvoirs,
qu'on le vénère entièrement à travers le désir et le plaisir (kâma).
Qu'on l'adore avec ce que l'on mange,
à travers tous les états d'âme,
en se couchant,
que l'on vénère ainsi Shiva selon ce qui arrive.
Que l'on adore le Soi
en pleine intelligence (sambuddhyâ)
avec la bien-aimée, avec la nourriture,
se divertissant en des débordements de pleine jouissance 
à travers toutes les formes de plaisir !
Qu'on l'adore par la maladie et par la santé,
par l'égarement et par nos projets,
à travers pertes et profits,
tels qu'ils arrivent !
..."
Etc., etc.
(Yoga selon Vasishta, alias Le Livre qui est le Moyen d'atteindre la Liberté)


N'est-il pas évident que cette oeuvre, composée au Cachemire, est pleine de l'esprit "tantrique" du shivaïsme du Cachemire ?
Quelques versets plus loin, le "Seigneur" nous enjoint de l'adorer avec tout, pur ou impur, sans se soucier de ce qui est permis ou non, mais aussi avec les qualités d'un cœur noble, droit (riju, ârjava).

Voilà le shivaïsme du Cachemire. Un tantrisme sans tabous, mais sans vulgarité. Un Tantra nourrit d'art, de poésie et de tout ça. Rien à voir avec le tantrisme, en fait. Ni avec le néoTantra.

Quand on écoute les maîtres de ce shivaïsme, puis qu'on lit ensuite les tantras et les satires de Kshémendra, on ne peut qu'être frappé par les contrastes. Spendeur d'intellegence d'un côté ; nef des misères de l'autre. Mais tout s'explique si l'on voit que le "shivaïsme du Cachemire" s'inspire d'une certaine liberté de mœurs du tantrisme, mais en le purgeant de sa grossièreté, de son obsession des pouvoirs, de l'occultisme et de ses délires ridicules. 

Voilà pourquoi ceux qui, aujourd'hui encore, cherchent en Inde le "shivaïsme du Cachemire" dans les milieux sâdhus, aghoris, etc. ne trouveront jamais rien d'autre que déceptions et tromperies. S'ils ont de la chance. Car le shivaïsme du Cachemire s'inspire de la culture tantrique, mais dans un tout autre esprit, c'est-à-dire dans un esprit de beauté, de finesse, d'intelligence, de raffinement, bien loin des pitreries des sâdhus et autres sdf de l'Inde. 

Qui sont fort sympathiques, pittoresques. De même ces "brahmanes" pseudo védântistes et pseudo tantriques, ces pandits dégoûlinants et ces panda décadents, ces pûjârîs décatis et ces baba croulants. Si nous allons à leur rencontre, ça n'est certes pas dans l'espoir d'une quelconque "transmission" de ganja diarrhéique ou d'une shakti pourrie, non merci. 

Si nous allons batifoler à Bénarès, c'est pour rencontrer, parler, échanger, embrasser. Qui ? L'humanité. Celle qui n'est pas encore entièrement aseptisée, juridicisée, numérisée, celle qui n'a pas encore été gâtée par les ateliers de "Communication Non Violentes", de touche-pipi et autres pathologies. Celle qui a été préservée de la peste du "en conscience" et autres "conscientisations", de la rage de la "Bienveillance du Cœur" et autres épidémies de connardvirus kundaliniens.

Om camatkritivapushe namo namah

vendredi 14 février 2020

Atelier éveil et méditation à Valence



Les traditions nous promettent que nous avons "tout en nous".

Mais comment le vérifier ? Est-ce vrai, ou bien juste une promesse ?
Est-ce un fait ou une croyance ?

Je crois que c'est un fait. Mais nous vivons endormis, nous vivons sans vivre, comme dans un rêve d'ivrogne. S'éveiller, c'est se réveiller de cet état où nous sommes comme prisonniers de la surface de notre conscience.

Comment ?

Par des expériences, des jeux d'éveil direct.
D'une part, les instructions de la tradition des éveillés du Cachemire.
D'autre part, les expériences inventées par Douglas Harding.

Grâce à elles, nous pourrons tester immédiatement les promesses des traditions, sans avoir à croire ou à adhérer à une religion, à un courant quelconque.

Je vous propose dans cet atelier de faire ces expériences.

A Valence les 28 et 29 mars 2020

A dix minutes de la gare, dans le centre historique
Samedi de 10h à 18h
Dimanche 10h à 17h

A l'Art du Soi
19 côté des chapeliers
26000 Valence

www.lartdusoi.fr

Pour s'inscrire :
0610075782
artdusoi26@gmail.com

Tarif : 80 euros

jeudi 13 février 2020

L'expérience du corps dans l'éveil

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La plupart des cultures rejettent le corps, sauf pour le commerce et la reproduction.
Comme aujourd'hui le commerce a tout envahi, le corps est idolâtré. Mais c'est un corps construit par des armées de publicitaires en yoga, en ayurvéda, en "médecine quantique", etc.

L'éveil est un réveil de la conscience, qui passe en un mode "par défaut" dominé par le bavardage, à un mode "silence", dominé par une sorte de transparence insaisissable.

Cependant, dans les traditions d'éveil aussi, le corps est rejeté. Non pas, comme dans les traditions abrahamistes, par culpabilité à l'endroit d'un père morbide, mais à cause des limites du corps. Le corps n'est plus le repère du Moi. Je suis, et pourtant je suis bien plus que ce corps ou que n'importe quoi d'autre. Le corps éveillé est alors le corps libéré du bavardage. Un corps apaisé, délivré de toute fièvre et comme guéri. Un corps apaisé. 

Dans le Vedânta ancien, cette détente est toutefois limitée, car Shankara estime que la connaissance (l'éveil) est absolument incompatible avec aucune sorte d'activité. Selon lui, toute activité est basée sur le désir, qui est lui-même nécessairement nourri par une vision fausse des choses, celle qui voit autre chose que la Vision éternelle qui est l'absolu. Il donne une illustration qui donne à réfléchir : si je sais que l'eau que je veux boire, là-bas, n'est qu'un miroir sans la moindre goutte d'eau, comment donc irai-je courir après ? 

Pour Shankara, non seulement l'action n'est plus désirable après l'éveil, mais encore elle n'est plus possible. L'éveil entraîne, à terme, la mort du corps, car celui-ci s'éteint, faute de vouloir-vivre, de cette énergie qui est son moteur et son âme. La position, radicale, du Vedânta ancien est proche de celle du bouddhisme ancien : l'éveillé continue de vivre, mais "comme une machine" (yantravat), tel un pot qui tourne encore un peu sur son tour, après que le potier ait cessé de le faire tourner. Il y a une inertie du corps, mais ça n'est pas une vie véritable, car elle n'est plus alimentée par le désir, privé de cet aveuglement (avidyâ) qui est son indispensable aliment. 

Aux yeux de Shankara, la marque extérieur de l'éveil (car il y en a une selon lui), c'est la disparition des activités, à l'exception de l'alimentation etc, et encore, ça n'est là qu'un compromis. L'éveillé se laisse mourir. Il est bien plus un mort-vivant qu'un "libéré-vivant". La fable d'un Shankara s'en allant mourir dans les glaces minérales de l'Himâlaya à l'âge de 32 ans en est le modèle. A suivre, littéralement.

La tradition védântique a ensuite mis de l'eau dans son vin, si j'ose dire. Ce "greater advaita", comme on l'appelle parfois, s'est considérablement éloigné de Shankara et l'a rapidement contredit. Cette tradition a exploré d'autres possibilités à propos du désir et de l'ignorance. Certains désirs sont compatibles avec l'éveil, qui n'est plus le réveil définitif du rêve, mais plutôt un rêve lucide. Il y a de bons désirs, des désirs sattviques, compatibles avec la vie éveillée. Seuls les désirs incompatibles diparaissent. Dès lors, le corps a sa place, ne serai-ce qu'à titre d'outil privé de conscience propre.

La source la plus populaire de cette autre vision de l'éveil, c'est bien entendu la Bhagavad Gîtâ, qui prône un éveil intérieur au milieu des actions naturelles, imposées par notre naturelle individuelle et sociale. Le guerrier peut ainsi être éveillé, sans cesser ses guerres. Le corps est alors, véritablement, un outils. Il n'est plus un maître, mais un serviteur.

Cependant, derrière cette vision réductrice, demeurait la possibilité d'explorer l'idée d'un corps délivré du mental. Et donc la possibilité de nouvelles jouissances (bhoga), d'une expérience renouvelée. C'est ce qu'à exploré le Yoga-vâsishtha, basé sur l'ancien Moksha-upâya-shâstra

La vie éveillée y est décrite comme un règne plein de plaisir.

D'abord, l'éveillé n'est plus affecté par le corps :

"L'(éveillé), installé dans l'état suprême, vit en roue libre :
alors même qu'il règne sur la cité du corps, 
il ne s'en trouve pas souillé." (IV, 23, 1)

Nous avons ici la vieille image négative des liquides qui "collent", "polluent" et "souillent" la personne, l'âme immaculée en elle-même.

Mais ensuite se fait jour une vision moins passive de la liberté en cette vie éveillée des songes :

"Pour qui connaît la (réalité), la vaste cité de son corps
est comme un jardin de jouissance et de liberté (bhoga-moksha) :
il existe pour le plaisir seulement, 
jamais pour la souffrance." (IV, 23, 2)

Le corps est même "charmant" (!) :

"Pour qui connaît la (réalité), cette cité du corps est certes charmante,
dotée de toutes les qualités, riche de plaisirs sans fin, 
illuminée par le soleil de sa propre lumière/ de son propre regard." (IV, 23, 4)

Plus loin, l'Auteur explique :

"Pour qui connaît son propre corps et son mental,
tout est paré de tous les bons augures.
(Le corps) est alors seulement source de plaisir,
pas de souffrance. Il concoure au bien ultime." (IV, 23,17)

"Pour qui ne connaît pas (son corps, son mental, et leur réalité),
ce même corps est un réservoir inépuisable de souffrances.
Mais pour qui le connaît, il est un trésor inépuisable
de plaisirs." (IV, 23, 17)

L'éveillé ne craint pas ce qui lui arrive. Il jouit des bonnes plaisirs et il sait, sans le moindre doute, que les souffrances liées au corps (qui sont inévitables, nous dit l'Auteur), sont aussi réelles que des rêves ou des hallucinations. Débarrassé des désirs superflus, l'éveillé est "un jouisseur infini" (mahâbhoga), un "grand homme d'action" (mahâkartâ) qui goûte à tout sans être l'esclave de rien ni de personne. La vision qui s'esquisse est, ici comme dans le shivaïsme du Cachemire, la vision d'un esthète, à des années-lumières de celle d'un Shankara. D'ailleurs, la version primitive de ce livre-maître n'a t-elle pas été composée au Cachemire par un ou des contemporains d'Utpaladeva ? Ils connaissaient le Krama, l'enseignement du Spanda et la tradition poétique qui s'épanouit autour du lac Dal à cette époque bénie.

L'expérience du corps dans l'éveil est l'expérience d'un corps libre, disponible pour le plaisir, ouvert aux souffrances inévitables et affranchi des soucis. 

mardi 11 février 2020

L'éveil est-il source de pouvoir ?

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vouloir faire entrer le Grand dans le Petit

Parfois, spiritualité et politique s'opposent, comme la physique classique et la physique quantique : tout se passe comme si les lois étaient différentes selon l'échelle. Ainsi, qui irait faire de l'excellente sagesse stoïcienne de l'amour du réel une doctrine politique ? Le résultat en serait inhumain.

Pourtant, il y a parfois des analogies troublantes.
Prenez la "politique de l'apaisement". Dans les années 30, les politiciens on cherché à "apaiser Hitler", un peu comme aujourd'hui certains politiciens cherchent à apaiser certaine "minorités", aux projets dominateurs pourtant clairement affichés. Et, de même que les politiciens des années 30 ont eu la guerre, la guerre mondiale, de même il est fort à parier que les politiciens actuels auront (pas eux, mais les petits européens, disons ceux qui sont "trop pauvres pour la droite, trop blancs pour la gauche") des massacres inouïs.
Comme si, quand on fuyait le problème, il vous rattrapait avec plus de force encore. Rien de nouveau.

Or, il en va de même au plan spirituel. Dans "The Seventeen Theses" (dans The Turning Point, p 121), Douglas Harding propose justement cette même comparaison entre "politique de l'apaisement" (avec Hitler), et stratégies spirituelles du contournement et de la sempiternelle préparation : purifier, transformer, déplacer, élever, etc. 
D. Harding constate qu'il y a eu des éveillés. Certains, comme Ramana Maharshi, on eu des milliers, des millions d'adeptes. Mais presqu'aucun n'a revendiqué l'éveil. Aujourd'hui encore, je connais beaucoup de gens qui vénèrent Ramana. Presque aucun ne se dit "éveillé".

Pourquoi ?

D. Harding donne trois raisons. Premièrement, la douleur : comme Ramana a souffert, on croit que nous aussi, nous devons souffrir. C'est l'erreur classique d'attribution de cause à ce qui n'est pas cause. Ramana a souffert, mais il ne s'est pas éveillé parce qu'il souffrait. C'est juste une coïncidence, que l'erreur à vite fait d'ériger en "loi spirituelle". Deuxièmement, le poids de la tradition. Troisièmement, la tentation du compromis. Et c'est là qu'il compare cette stratégie spirituelle à la politique de l'apaisement envers Hitler. Mais bien sûr, cette apparente habile diplomatie n'est qu'un leurre. Le monstre grandit, puis il passe à l'attaque, pendant que les gentils se terrent. Et, comme dit Harding (qui a reçu les bombes nazies durant son enfance), les mots gentils se traduisent par des actes bien réels, et moins gentils. La dictature de la bienveillance prépare la dictature tout court. 

Et donc, pour venir à bout du nazisme et de ses équivalents d'aujourd'hui, arrive un jour où les mots ne suffisent plus : il faut des armes concrètes pour des cibles concrètes. 

Ces armes spirituelles, ce sont les expériences, par exemple "à partir de quoi regardez-vous cet mots, en cet instant ?" Pointez avec votre doigt. N'en restez pas au mots. Allez au-delà. Passez outre la diplomatie des sempiternelles négociations. Frappez directement au cœur du problème. "Qui suis-je ?" Ne tergiversez pas. Frapper, toucher. Non amadouer ou persuader. Arrêtons les méthodes Coué, les raisonnements tordus et perdus d'avance, du style "D'abord, je clarifie mon mental, ensuite il sera toujours temps de voir". Non. "Ensuite", il n'est jamais temps. C'est maintenant que ça se passe. Stop. Regarder.

Et voici une autre raison, que D. Harding ne mentionne pas dans cet article. Une raison qui est, à mon avis, la raison principal de l'échec des "méthodes d'éveil". Voici :

associer éveil et pouvoir

Ça, c'est un poison terrible.
L'antidote : réaliser que chacun a pleine autorité sur soi, sur soi en tant que ce que je vois ici, maintenant, espace infini qui englobe et embrasse toutes les idées et tout le reste. 
Dire "je suis éveillé", ça n'est pas revendiquer une once de pouvoir sur les autres. Non, pas une once. C'est même le contraire. En revanche, on peut partager. Sans cacher la lumière sous le boisseau. Donc, voilà la grande cause de toutes les dérives spirituelles : faire de l'éveil une source de pouvoir moral et politique. Confondre l'évidence que je suis pour moi, avec une sorte d'autorité sur autrui. Voilà la racine du mal. Et donc voilà à quoi nous devons veiller et travailler : bien séparer éveil spirituel et pouvoir politique. Examinez la chose, vous verrez que c'est le mal même. Si donc vous êtes témoins de cette confusion, fuyez ! Ou dites simplement la vérité.

L'éveil n'a aucun rapport avec aucun pouvoir. C'est l'anti-pouvoir. Il n'apporte, relativement à nos relations aux autres, qu'une responsabilité, celle de témoigner, de décrire. Ni plus, ni moins. Cela ne confère aucune autorité, absolument aucune, sur quiconque. Au contraire, je réalise que je disparais, que j'explose, que j'accueille. Alors oui, j'ai un pouvoir, absolu, sur moi. Je réalise que tout pouvoir est mon pouvoir, en tant que je suis source de tout. Mais cela ne donne aucun pouvoir à l'individu, sauf pour témoigner de ce qu'il voit : espace limpide, immensité vivante, vie de toute vie. Mais aucun pouvoir sur les autres. Aucun. Croire le contraire serait la pire des perversions, une abomination sans nom, la source de toutes les horreurs.

Je peux décrire ce que je suis, où je suis.
Ensuite, à vous de voir.

Marché ou pas Marché ?

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Les lecteurs attentifs auront remarqué que, d'un côté, je parle du Marché comme d'un monstre alors que, de l'autre, j'appelle une spiritualité du laisser-faire.

N'y a-t-il pas contradiction ?

C'est que, en fait, le Marché actuel, ce monstre, ne me semble pas tout à fait libre. Loin de là. C'est grâce à des politiques de "dérégulation" qu'il a, depuis le début des années 80, connu une réalisation sans précédent. Mais ce Marché, comme au Monopoly, a eu tôt fait d'engendrer des monopoles qui sont devenus des lobbys, qui n'ont de cesse de réduire les libertés. Jamais il n'y a eu autant de règles, souvent créées sous la pression des lobbys, c'est-à-dire dans l'intérêt des gagnants du Monopoly mondial. Il ne s'agit pas d'un "libre" Marché. Bruxelles n'est pas l'arbitre du Marché, mais le bras juridique des gagnants. 
Donc, le monstre que je condamne n'est pas le Marché idéal, mais le Marché des accords gagnants entre gagnants, le Marché de la fausse concurrence et des véritables ententes entre puissants. La "démocratie" qui est sa justification est une oligarchie, un jeu de chaises musicales à l'intérieur d'un sérail qui détruit les nations, les Etats, la citoyenneté et toute forme de démocratie locale, en faveur d'un pouvoir impersonnel procédurier, technocratique pseudo-scientifique, qui ne peut que des consommateurs endettés (des "consommacteurs" tout au plus) pour gonfler la bulle.

Mais, me dira-t-on, le Marché a-t-il jamais été autre chose qu'un Monopoly ? Et, comme ce nom l'indique, ce jeu est fait pour concentrer les richesses, non pour les distribuer... Quant à la démocratie, a-t-elle jamais été digne de ce nom, dès lors qu'elle était "représentative" ?

Certes, ces questions se posent. A mon sens, la démocratie représentative doit être un moment de l'Histoire. Les innovations techniques obligent à d'autres formes de citoyenneté, plus participatives, voire davantage directes. 
De même, le Marché est comme un réacteur nucléaire : il doit être régulé (tel est le sens de la fonction "régalienne" de l'Etat, à mon sens) et les richesses redistribuées en partie. Un libéralisme social : contradiction féconde, tant qu'elle est tenue en équilibre, équilibre aujourd'hui brisé.

Ou alors, il faut chercher en direction de pouvoirs plus locaux, revenir du commerce vers la communauté. Je ne dis pas communisme, mais davantage de communion. Une juste distance entre individu et société, comme nous l'enseigne la fable des hérissons en hiver : trop éloignés, ils ont froid ; trop proches, ils se piquent. 

Comme je l'ai dit avant, je n'ai pas la réponse complète et achevée. 
Néanmoins, je suis convaincu d'une chose : la liberté d'abord. Libérale, libertaire ou libertarienne, je ne sais pas. Mais la liberté au-dessus de tout, au-dessus de la sécurité. Cette dernière n'est acceptable que si elle est une forme de liberté. Autrement, elle n'est pas même sécurité. 

Que ce soit en spiritualité ou en politique, je suis pour la liberté. Comme cela laisse le champ (libre !) à de nombreuses possibilités, je dis que je ne sais pas. Mais cette formule doit être complétée : "je ne sais pas dans les détails, mais je sais que je veux la liberté". 

Pour la spiritualité, je suis contre le commerce et la marchandisation universelle à laquelle nous assistons à la faveur des innovations techniques. Mais je ne suis pas contre le Marché, pour peu qu'il soit régulé afin de protéger la société et la décence. Commerce et communauté sont deux forces contradictoires, mais nous avons besoin des deux, et nous devons sans cesse veiller à leur équilibre.

Mais actuellement, je constate que le Marché, divinisé, est en passe de détruire toutes les formes de sociétés, y-compris animales. Voilà pourquoi j'en parle comme d'un monstre. Voilà pourquoi je tiens et j'assume ces contradictions. Nous avons besoin de ce Léviathan, mais nous avons besoin également de nous en garder. Nous devons réveiller toutes les formes de société, tout en sachant porter haut la bannière des libertés individuelles.

Au fond, je suis et je reste pour la liberté, spirituelle ou politique. Une liberté critique, éduquée, instruite, éveillée, dialectique, sans langue de bois. Une liberté libre.

jeudi 6 février 2020

Le yoga du Cachemire ?

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Guhyakâlî, dans le style tibétain


On me demande régulièrement s'il existe un "yoga du Cachemire" dans le shivaïsme du Cachemire.

J'ai déjà répondu plusieurs fois je crois, mais voici à nouveau ce que je peux en dire, en bref.

A ma connaissance, il n'existe aucune prescription de yoga postural de type Patanjali ou Hatha Yoga dans le corpus du shivaïsme du Cachemire. 

Au contraire, à chaque fois que de telles pratiques sont mentionnées, c'est pour les ridiculiser en faveur d'un "yoga" sans postures, un yoga facile, sans effort ni contraintes, sans règles ni postures. C'est ce que dit Abhinavagupta dans le chapitre IV du Tantrâloka. Et c'est la ligne suivie par son disciple Kshemarâja dans son Pratyabhijnâhridaya, la référence la plus diffusée. 

Mais alors, quelles sont les pratiques du shivaïsme du Cachemire ? Voici le passage (ad sûtra 18) dans lequel Kshemarâja décrit les deux pratiques principales du shivaïsme du Cachemire, toujours en critiquant le yoga "classique" :

prāgupadiṣṭapañcavidhakṛtyakāritvādyanusaraṇena sarvamadhyabhūtāyāḥ saṃvido vikāso jāyata ity abhihitaprāyam | 
"Le message principal [de notre tradition] est que l'expansion de la conscience qui est le centre de tout, est engendrée en cultivant ce qui a été enseigné dans [les sûtras] précédant à propos de la quintuple activité, etc."

Le Pratyabhijnâhridaya est articulé autour de 20 sûtras, commentés par l'Auteur lui-même qui suit scrupuleusement l'enseignement de son maître Abhinavagupta. Sur ces 20 sûtras, 17 concernent le "message principal" (abhihita-prâya) de ce système, à savoir, l'enseignement philosophique de la Reconnaissance, inspiré par l'enseignement ésotérique du Kâlîkrama. Il consiste à examiner les opinions communes, pour les éliminer et permettre de reconnaître dans l'expérience ordinaire le libre jeu de la conscience divine. C'est ce divertissement souverain qui est ici désigné par le syntagme "quintuple activité" (panca-vidha-kritya-kâritva). Ce sont cinq aspects de chaque instant de l'expérience. 

Dans cette voie purement philosophique, ouverte à tous sans aucune initiation ni discrimination, il n'est pas nécessaire de méditer ni de faire du yoga. A fortiori, il n'est question d'aucune règle, ni alimentaire, ni autre. Il n'y a pas de manière de vivre prescrite. Il n'y a pas non plus de doctrine anti-intellectuelle. Bien au contraire, la thèse (bouddhiste) qui oppose "percept" et "concept" est détruite. En outre, il n'est nulle part question d'une "vie impersonnelle" ni d'une disparition des affects, ni de dénoncer une "illusion du libre-arbitre". Il n'y est pas nécessaire de supprimer les concepts, sauf les doutes qui s'opposent à la reconnaissance. Il suffit d'observer l'expérience courante pour y reconnaître la libre activité qui est notre véritable identité et l'essence de toute chose. Les percepts et les concepts continuent comme avant, mais dans la claire conscience que "je suis la source et la substance de tous ces percepts et ces concepts". 

Pas de yoga, ni de postures, ni de prânâyâmas, mais une "voie nouvelle" (nava-mârga) et facile (sukha-upâya), accessible à tous les êtres (sarvajanam api), fondée sur un "yoga de la raison" (tarkam yogângamuttamam) et de la contemplation esthétique, douce, hédoniste, paisible, sans rien exclure, sans rejet de la démocratie ou de la modernité, à propos desquels le shivaïsme du Cachemire ne dit absolument rien. Rien d'ésotérique nulle part non plus, en dehors d'une inspiration Kalîkrama, pas d'initiation, pas de mantras ni de mandalas, juste une philosophie. Pas de castes ni de traditions, juste l'expérience commune et la raison commune, le bon sens. Rien sur une façon de vivre "fonctionnelle", rien sur la nourriture ou le sommeil, sur l'Inde ou sur l'Occident.

Mais cette philosophie est-elle la seule pratique du shivaïsme du Cachemire ? En fait, il y a bien une sorte de pratique contemplative dans le shivaïsme du Cachemire, mais elle est aussi enseignée dans la philosophie de la Reconnaissance, qui est la philosophie du shivaïsme du Cachemire. C'est cette sorte de "méditation" que Kshemarâja enseigne ensuite :

upāyāntaram api tu ucyate, 
"Cependant, un autre moyen est enseigné [dans la Reconnaissance et, donc, dans le shivaïsme du Cachemire] :" 

prāṇāyāmamudrābandhādisamastayantraṇātantratroṭanena sukhopāyam eva, 
"C'est un moyen très facile car il rompt avec toute la doctrine (tantra) et la machinerie (yantranâ) des prânâyâma, mudrâ, bandha, etc."

Au passage, notons que, si Kshemarâja parle des "mudrâs et des bandhas", c'est peut-être parce qu'à son époque, ces pratiques existaient déjà. Or, si ces pratiques définissent le Hatha Yoga, alors il n'est pas interdit de penser que le Hatha Yoga existait déjà à l'époque de l'Auteur, soit vers 1025, soit environ un siècle avant le plus ancien texte de Hatha selon le Hatha Yoga Project. Bref, passons. 

En tous les cas, la pratique du yoga postural est ici rejetée de la manière la plus abrupt : il s'agit d'une "rupture" (trotana, de la racine trut- "rompre, casser") vis-à-vis d'une doctrine, d'un dogme, d'un système, d'un modèle, d'un paradigme (tantra, ici employé dans un sens moins connu mais bien avéré dans la littérature sanskrite) qui est une "machinerie" au sens littéral et, au sens figuré (lakshanâ, rûdhi), une contrainte, une limitation et, de plus, souvent inutile, un fardeau, une "pustule sur une tumeur" pour reprendre une autre métaphore employée ailleurs par Abhinava dans un autre contexte. On peut difficilement être plus clair, plus explicite, plus net. 

Mais, demandera-t-on peut-être, cet Auteur ou un autre prescrivent sans doute ailleurs une autre forme de yoga, un "yoga du Cachemire" ? Oui, bien sûr. Le mot yoga est employé. Mais ce yoga, encore une fois, n'a rien à voir avec ce qui est enseigné aujourd'hui sous l'appellation "yoga du Cachemire" : dans ce yoga, il n'est nulle part question de posture, de prânâyâma, d'une façon spéciale de se nourrir ou de dormir. La tradition, kaula en l’occurrence, donne une seule "règle" : tout est bon qui est source de plaisir, car le plaisir est expansion, et l'expansion est conscience. Le seul ingrédient que prescrit cette tradition est le vin, rouge ou blanc. Ainsi que la viande, humaine ou animale, et des sécrétions corporelles. En dehors de cela, je le répète, la seule "piste" donné est celle du plaisir.

Et, en guise de méditation, si l'on voudra utiliser ce terme, la tradition propose "l'attitude de Shiva/Bhairava" (bhairava-mudrâ, etc.) qui est ce "moyen très facile d'obtenir le plaisir/l'expansion qu'est la conscience", et que donc notre Auteur décrit maintenant, à la suite de son maître :


hṛdaye nihitacittaḥ uktayuktyā svasthitipratibandhakaṃ vikalpaṃ
akiṃciccintakatvena praśamayan, avikalpaparāmarśena
dehādyakaluṣasvacitpramātṛtānibhālanapravaṇaḥ acirād eva
unmiṣadvikāsāṃ turyaturyātītasamāveśadaśāṃ āsādayati |

"Quand le yogî/ la yoginî dépose son attention (citta) dans le cœur grâce à cette pratique, il apaise les doutes qui l'empêchent de vivre dans le Soi. [Comment ?] En ne se souciant de rien. Celui qui, par une réalisation dépourvue de toute hésitation, se dévoue à la contemplation intense de sa subjectivité, c'est-à-dire de sa conscience non polluée par [l'identification] au corps, aux sensations, aux concepts ou ou à l'inconscience, celui-là réalise très vite l'état d'absorption complète appelé "quatrième", puis "l'au-delà du quatrième", états qui sont conscience en expansion."

Donc ce moyen est juste de "ne se soucier de rien". Cintâ, cintaka est le fait de se préoccuper, de faire attention à la réussite, au succès, à l'efficacité. C'est une attitude utilitaire. C'est le regard mondain sur les choses, un regard qui ne les considère que comme des moyens en vue d'un but. Ce regard est exactement à l'opposé de l'attitude esthétique prescrite ici, une attitude (mudrâ) nonchalante et pourtant pleine d'ardeur, l'attitude d'un mélomane ou d'un amateur de poésie, d'un rêveur, non d'un technicien calculateur. Pour autant que je sache, cette attitude, à la fois intense et désintéressée, est l'attitude induite dans le contexte du "yoga du Cachemire" ou "yoga de Jean Klein", lequel était manifestement un amateur de beauté. 

Y a-t-il une posture ? Oui et non. Non, aucune posture physique n'est prescrite. En revanche, il y a bien une "posture", si l'on entend par là une expression, en particulier du visage : celle que l'on voit dans l'iconographie de Bhairava, c'est-à-dire les yeux et la bouche ouverte, dans une expression d'étonnement, d'émerveillement. Il s'agit de rester complètement ouvert, détendu, les sens et les facultés intérieures totalement relâchées, coulantes, dans un parfait silence intérieur, mais sans rien forcer. Comme dit Utpaladeva, on reste comme un (jeune, très jeune) enfant, sans entrer dans des discours conventionnels, articulés. Kshemarâdja renvoie d'ailleurs à Uptaladeva :

yathoktam :
vikalpahānenaikāgryāt krameṇeśvaratāpadam |
iti śrīpratyabhijñāyām |
"Comme il est dit [par Utpaladeva] dans la Reconnaissance : on atteint progressivement l'état de souveraineté grâce à une concentration qui amenuise les concepts/les dilemmes".

Pour plus de détails, je conseille d'aller voir ma traduction du Chant de la Reconnaissance chez l'Harmattan, parue en 2005 sous le titre Les stances sur la reconnaissance avec leur glose. Un nouveau livre sur la Reconnaissance paraîtra peut-être vers 2022.

Quoi qu'il en soit, le "yoga du Cachemire" n'existe pas dans le "shivaïsme du Cachemire". Le seul point commun est l'approche relativement douce, esthétique (au sens d'une attitude contemplative, jouisseuse et non utilitariste) et détendue. Le reste est probablement une invention de la part des inventeurs du "yoga du Cachemire", nouveauté inspirée par le shivaïsme du Cachemire (pour l'attitude intérieure), par le Hatha Yoga de Krishnamâchârya (pour les bases techniques) et par les "pratiques d'expressions corporelle" occidentales des années 60 (pour le reste), le tout dans un esprit moderne qui pense que le meilleur n'est pas nécessairement derrière nous, n'en déplaise aux admirateurs de Guénon et de l'Action Française. 

Notez-bien que je ne donne pas mon opinion personnelle sur le "yoga du Cachemire", encore moins sur des personnes. Je répond juste à la question "le yoga du Cachemire existe-t-il dans le shivaïsme du Cachemire ?", de la manière la plus impartiale et selon mes connaissances. Et la réponse est négative. Il n'y a pas de yoga du Cachemire dans le shivaïsme du Cachemire. Ou alors, il y en a "en puissance", mais comme il y a aussi l'art du tricot ou de la pêche à la mouche. Doit-on, pour autant parler du "tricot du Cachemire" ? Et, tant qu'on y est, il n'y a pas non plus de "massage cachemirien" dans le shivaïsme du Cachemire, ni de "Danse Tandava", ni de "Danse de la vie", ni de Hatha Yoga, ni de pratiques Atlantes, Lémuriennes, Égyptiennes, Esséniennes, Tibétaines, Hawaïennes ou autres. Dans le shivaïsme du Cachemire, il n'y a que du shivaïsme du Cachemire. Ça n'est pas un jugement de valeur, juste un fait. Après, libre à chacun de croire ce qu'il/elle veut, si vraiment cette volonté est libre, c'est-à-dire informée.

Libre à chacun de s'inspirer du shivaïsme du Cachemire : il serait en effet dommage de jeter ce patrimoine aux oubliettes au motif que, de fait, cette tradition a disparue sous les coups de l'islam. Mais il serait peut-être bon (soyons fous) d'être un peu honnêtes. Pourquoi pas ? Cela a rarement été tenté. Les résultats pourraient nous surprendre. Juste dire les choses : "j'ai lu ça et ça, ça m'a inspiré ça et ça". Au lieu de raconter des... bah, des mensonges. Car c'est bien ainsi que cela s'appelle, n'est-ce pas ?

Si d'autres souhaitent apporter d'autres éléments susceptibles d'éclairer cette question, je suis curieux de les connaître.

mardi 4 février 2020

Pourquoi je ne suis pas universitaire

Résultat de recherche d'images pour "philosopher"

J'entends parfois dire que "David Dubois est un universitaire".

Il est vrai que j'ai quelques diplômes et titres universitaires. 
Pourtant non, je ne suis pas un universitaire.

Pourquoi ?
Pourquoi est-ce j'écris ici au lieu de publier des articles dans des revues universitaires ?

Parce qu'à mes yeux, la liberté est ce qui a le plus de valeur. L'indépendance. Sans cela, il n'y a pas de recherche de la vérité.

Or, il est presque impossible d'être indépendant quand on dépend d'un milieu, "spirituel" ou "universitaire".

Cela commence par l'argent, comme d'habitude.
Dépendre d'un salaire précaire en tant que vacataire, comme la plupart des chercheurs aujourd'hui. Donc d'une administration, ou d'un "management", devrais-je plutôt dire, qui ressemble de plus en plus à un patronat en bonne et due forme. Il faut "performer", poser des objectifs, rendre des comptes, gérer, apparaître, paraître, encore et toujours paraître. Les universitaires sont unanimes : être "chercheur", c'est être de plus en plus précaire, de plus en plus dans le paraître, et de moins en moins dans la recherche elle-même. 

De plus, pour avoir l'argent, il faut passer son temps à comploter et surveiller ce que l'on dit, à qui, où et comment. La liberté se perd dans ces fines manœuvres comme la mythique Saravatî dans les sables du Thar.

De plus, le milieu est snob, pétri de tics visant à imiter le milieu des sciences de la nature, alors qu'il est bien entendu vain de chercher à mettre au point des "protocoles expérimentaux" à propos de textes ou de phénomènes difficilement productibles ou reproductibles. La rigueur, oui. Mais l'expérimentation ? C'est ridicule. Or, les universitaires sont contraints désormais de remplir des formulaires pour leurs demandes de subventions, des formulaires calqués sur les sciences de la nature. Il faut ainsi s'humilier et se ridiculiser en faisant la cour aux instances de l'Europe, aux bureaucrates, aux mécènes privés et j'en passe.

De plus, les livres sont devenus hors de prix, plus de 200 euros est devenu la norme. Pour un article de 30 pages, comptez 30 euros, qui vont dans les poches de multinationales aussi claires que le Gange. Et pour publier, il faut encore payer, souvent plusieurs centaines d'euros. Le tout sur fond d'angoisses, de stratégies aussi puériles que savantes, d'alliances et de coups tordus qui ont vite fait de vous transporter à des années-lumières de la quête de vérité qui devrait être le seul et unique but de toute recherche. 

De plus, les cours, séminaires et autres diplômes sont devenus hors de prix. Si vous voulez réussir dans l'indianisme, il faut aller en Angleterre ou aux USA. Or, une année de troisième cycle à Oxford, c'est entre 10 000 et 20 000 euros. Plus le logement, la nourriture, etc. Il faut être Crésus ou avoir la chance (oui, la chance) d'avoir une bourse. 

De plus, tout ou presque dépend de relations de copinage, de pistons et autres tractations en coulisse, sans rapport avec la vérité. Presque tout ce que j'ai obtenu, dans ce milieu, je l'ai du à des rencontres fortuites et décidé par des gens qui ne savaient rien de ce que j'écrivais. Comme partout, les clés sont sociales et économique. Politiques. On se fiche du mérite comme de son premier slip. A l'inverse, presque tout ce que j'ai manqué s'explique par le même genre de causes. La vérité, la beauté, la justice ? En fait, c'est comme en politique. Il y a une majorité de gens sincères, exploités par une minorité de nantis. Et dès que l'on gagne un peu d'argent, on passe de l'autre côté. C'est aussi simple que ça. Je pourrais écrire un livre avec tout ce que j'ai j'ai vu et entendu. Et un autre avec les milieux spirituels. Mais tout cela serait triste et répétitif. Les moralistes du Grand Siècle ont déjà tout dit de ces mesquineries. On s'humilie pour des miettes. On se vend pour des fantasmes.

De plus, j'ai constaté encore et encore que ce milieu détruit ceux qu'il porte au sommet. A quoi bon "réussir", si c'est pour devenir timbré ? C'est du vampirisme pur et simple. Tout se passe comme si le système était fait pour tuer ceux qu'il place en son sommet. C'est trop cher payé.

Pouvoir, argent, pouvoir, pouvoir, pouvoir...
Je préfère rester indépendant, libre en ce sens, au prix d'une relative précarité matérielle et sociale. Enfin, je dis ça mais je m'en sors bien. D'autant que j'ai le sentiment qu'Internet change la donne. Grâce à ce blog gratuit, je peux m'exprimer librement. Je n'ai de comptes à rendre qu'à la vérité. Et j'observe que d'autres font de même, comme Joy Vriens, dont le blog Dans le sillage d'Advayavajra me paraît infiniment plus intéressant que bien des articles et livres "universitaires". 

Pendant longtemps, les philosophes furent des gens qui travaillaient et qui réfléchissaient. Je suis professeur de philosophie. Quelle chance ! Je n'arnaque personne, je n'ai pas de petit chef à écouter. Bien que cela soit en train de changer. Les "rendez-vous de carrière" ont remplacé le système républicain. Mon inspecteur a démissionné, et la philosophie n'existe plus (vraiment) au lycée. Mais je suis fier de faire partie de cette dernière génération de professeurs bien formés, cultivés, mal payés, au service du bien commun. Certes, cela n'attire plus les foules. Mais je suis heureux, car libre. Et grâce à des amis formidables, je peux désormais partager Nâgârjuna et Tchouang Tseu avec mes élèves. N'est-ce pas une chance extraordinaire ? Un dernier baroud d'honneur, en somme. Un chant du cygne, mais joyeux. Bien sûr, je ne refuserai pas d'enseigner à l'Université, d'autant plus que, le niveau baissant, les différents cycles tendent à se confondre. Je ne refuse pas non plus d'intervenir, ni d'écrire dans ce registre. Mais je ne vendrai pas mon âme pour cela.

Si l'on dois me mettre une étiquette, je préférerais simplement "philosophe".
Ou écureuil des Galapagos. Enfin, peu importe.

Voilà pourquoi je ne suis pas universitaire. 

Le meilleur moyen d'atteindre l'éveil

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Dans Le Secret de la Déesse Tripurâ, Dattâtreya explique le moyen suprême d'atteindre l'éveil, le "moyen de gagner la connaissance" (jnâna-sâdhana).

Ce moyen de réalisation est en fait double, "pour soi" et "pour autrui". 

"Pour soi", il consiste en une totale dévotion à la Déesse, c'est-à-dire une attention entièrement tournée vers la conscience. Tâtpâryam : "le fait d'être tourné vers". Ce qui, à son tour, peut signifier deux choses : une conscience tournée vers l'intérieur, vers elle-même ; ou une conscience entièrement détendue, déprise de toute limite. Se retourner vers soi ou ouvrir l'attention sont en effet deux geste équivalents, car le but est la conscience sans limites, vierge de toute objet. Ensuite, la conscience pourra se reconnaître dans les objets, reconnaître ses pouvoirs dans les activités. Mais il faut d'abord qu'elle se voit à l'état indifférencié.

"Pour les autres" : en expliquant cette évidence aux autres. C'est le moyen suprême pour affermir notre compréhension, dit la Déesse. En effet, en nous obligeant à expliciter notre intuition, cette pratique met au jour les doutes, dilemmes et hésitations, les "croyances limitantes" ou présupposés qui demeurent à l'état latent, les "nœuds du cœur", c'est-à-dire les blocages intellectuels. 

Je suis donc invité à me retourner vers moi, au-delà de tout "mien", à me détendre sans conditions et à faire l'effort de partager.

La Déesse dit (à travers Dattâtreya) :

"Entièrement tourné vers la divinité, 
sans presque aucune autre moyen,
il connaît le Soi/ se connaît soi d'une manière (qui transcende cause et effet).
Il décrit alors (le Soi) aux autres.
En décrivant encore et encore, 
il pénètre complètement (dans le Soi)." (21, 13-14)

"D'une manière", kathamcit, le même terme est employé par Utpaladeva dans le verset inaugural de son Chant pour la Reconnaissance. Abhinavagupta explique que cet adverbe indéfini ("d'une certaine manière") suggère une opération divine, transcendante, au-delà de la relation de cause à effet. Seule la conscience peut éveiller la conscience, car éveiller, c'est manifester, mais rien ne peut manifester la conscience puisque, au contraire, c'est elle qui manifeste tout et qui se manifeste librement ainsi. Seule la conscience elle-même peut s'éveiller elle-même, librement, de même que c'est librement qu'elle fait mine de s'oublier dans son auto-manifestation.

A quoi sert de décrire (nirûpana) le Soi encore et encore ? C'est un exercice (abhyâsa) qui permet de passer de la connaissance (jnâna) du Soi à l'absorption totale et entière dans le Soi (samâvesha), c'est-à-dire, en clair, de réaliser non seulement que la conscience transcende tout, mais encore que tout est conscience. Voyez : pour faire l'expérience directe de la conscience, je n'ai guère besoin de réfléchir, c'est-à-dire que je n'ai pas besoin de mots. C'est un silence, une parole muette, indifférenciée, une intuition. Mais à cause de cette absence d'articulation, de discours, de raisonnement, je vais très probablement avoir le sentiment de "perdre" cette expérience quand l'activité mentale/mondaine va reprendre. Je vais croire que ces mouvements "cachent" le silence, comme des reflets qui "cachent" le miroir". C'est ce qui se passe le plus souvent. Pour aller plus loin, pour m'affranchir de cette erreur, je vais devoir réfléchir, avoir recours au discours, aux mots, comme dans l'exemple du roi Janaka décrit au chapitre précédent. Si je reste purement et exclusivement dans le silence, sans questionner mon impression de "perdre" ce silence, alors je serai dans une impasse. Pour aller plus loin, l'intuition doit être articulée. Et pour cela, rien de tel que de partager avec les autres.

Décrire ce qui est indescriptible est le meilleur moyen de "stabiliser" l'éveil :

"Ainsi, quand l’absorption complète est stabilisée
grâce à ces moyens, à commencer par l'acte de décrire (le Soi),
alors ce psychisme atteint l'état de Shiva,
affranchi  de l'enthousiasme excessif comme de l'abattement.
Où qu'il aille, tout cela est rendu identique à Shiva.
Ce meilleur des éveillés est habite l'état de liberté dans la vie.
Le meilleur des moyens est donc la vraie dévotion
et le fait de décrire (le Soi) aux autres.
Il n'y a pas d'autre moyen aussi puissant,
il n'y a pas d'autre moyen aussi puissant
que la pratique de décrire (le Soi aux autres)
en étant plein de dévotion." (15-18)

C'est exactement ce que fait Utpaladeva dans son Chant de la Reconnaissance (Pratyabhijnâkârikâ). En explicitant son intuition, il ne la perd pas, il l'absorbe au contraire de manière plus complète, il la digère car cette pratique le force, en quelque sorte, à reconnaître que la parole est aussi le dynamisme du silence. Or, c'est cela le plus difficile. Contrairement aux choses de ce monde, l'éveil se multiplie quand on le partage. C'est bien naturel, puisque la conscience n'a pas de parties.

L'éveil n'est pas une expérience occulte réservée à quelques êtres mystérieux élus par je-ne-sais quelle grâce. Non, c'est le mystère évident dans lequel nous baignons tous.

lundi 3 février 2020

Le cas Michael Roach : un moine diamantaire devenu gourou

J'évoquais le cas de Bentinho Massaro, virtuose du nouveau Marché global de la spiritualité 3.0.
Dans la génération d'avant, en moins "performant" donc, il y a eu Michael Roach.

On dit que Michael Roach est le premier Occidental a avoir obtenu le titre de "Guéshé", le titre le plus élevé dans la hiérarchie de l'école tibétaine Guélougpa, "la tradition des vertueux", celle du Dalaï Lama. 

Le jeune Roach, adoubé par le Grand Abbé de Sera Mé en 1995 :

Michael Roach was awarded the geshe's cap

Cependant, quelques doutes pèsent sur l'authenticité de ce titre. Car ce qui est certain, c'est que Michael Roach est un diamantaire texan.

Michael Roach le millionnaire texan :

Geshe Michael Roach - diamondmanagement.eu

Je vous la fait en bref :
un jour, il a rencontré la belle Christie MacNally, prof de yoga au sourire angélique façon Sainte-nitouche kundalinienne. Il a créé un "centre de retraite" dans le désert arizonien. Là, ils ont vécu en concubinage tantrique, ce qui a un peu agacé le Grand Lama, vu que Roach est censé être moine, de son école "de la vertu" (gelug), avec en plus le grade de docteur. Mais bon. Business is business. The show must go on.

La belle, devenue "Lama" (gourou) entre temps, a quitté ensuite Roach pour le jeune Ian. Ils ont formé un couple fusionnel, ils ont enseigné un genre de yoga fusionnel (accro-bi-yogan, avec livre et vidéos), se sont mariés, et ne se quittaient jamais, faisaient leurs séries ensemble, etc., tout en continuant à vivre dans le "centre de retraite" de Roach, qui s'est consolé avec des escorts, principalement en Californie.

Un jour, la belle MacNally a planté son époux Ian avec un katana. Juste dix centimètre, pour "explorer sa Kali intérieure", dixit la yoginî. Elle s'en est excusée dans de longues lettres. Lui n'a pas porté plainte. Il est au contraire devenu encore plus fou de sa belle yoginî/gouroutte.

Roach et le staff du centre leur ont quand même demandé de quitter le centre. Eux ont refusé, ils sont juste partis s'installer dans une grotte des environs pour atteindre l'Eveil ensemble, à la vie, à la mort. Et ce fut la mort. La police a retrouvé la belle en piteux état, et son époux Ian fut retrouvé lui aussi, mais mort pour de vrai, de soif et de faim. On ne saura jamais s'il avait atteint l'éveil. MacNally s'est faite discrète depuis.

Un reportage de la tv locale et la couverture CNN :





En revanche, Roach a fait TEDx, l'Inde et la Chine pour enseigner aux clients "How to Get All You Want" :




Voilà. Tout ça pour dire que le Marché et la spiritualité contemporaine sont culs et chemise, même quand il y a corruption, agression, délire et affamation. Tout y est, et pas juste le bouddhisme tibétain, mais aussi le yoga, le féminin sacré, le respirationisme, tous les trucs occultes habituels, et plus encore. Le tout sur flyers et plateformes "Top Business".

Vous trouverez tous les documents afférents en allant sur la page Wiki de Roach et sur YT.

Bien sûr, il y a d'innombrables articles sur le scandale sexuel. Un moine de 43 ans avec une yoginî de 23, ça fait tâche dans ce secteur. En revanche, presque rien sur le moine millionnaire en diamants. Pourtant, son entreprise de diamants, Andin International, a quand même annoncé 200 million de bénéfices en 2009, selon Wiki. Elle a ensuite été rachetée pour une somme inconnue. Moine qui abîme ses clients, ça passe pas. En revanche, moine millionnaire, c'est super.

Un bon article sur Roach :
https://info-buddhism.com/geshe_michael_roach-Death-and-Madness-at-Diamond-Mountain.html