mardi 4 février 2020

Le meilleur moyen d'atteindre l'éveil

Image associée

Dans Le Secret de la Déesse Tripurâ, Dattâtreya explique le moyen suprême d'atteindre l'éveil, le "moyen de gagner la connaissance" (jnâna-sâdhana).

Ce moyen de réalisation est en fait double, "pour soi" et "pour autrui". 

"Pour soi", il consiste en une totale dévotion à la Déesse, c'est-à-dire une attention entièrement tournée vers la conscience. Tâtpâryam : "le fait d'être tourné vers". Ce qui, à son tour, peut signifier deux choses : une conscience tournée vers l'intérieur, vers elle-même ; ou une conscience entièrement détendue, déprise de toute limite. Se retourner vers soi ou ouvrir l'attention sont en effet deux geste équivalents, car le but est la conscience sans limites, vierge de toute objet. Ensuite, la conscience pourra se reconnaître dans les objets, reconnaître ses pouvoirs dans les activités. Mais il faut d'abord qu'elle se voit à l'état indifférencié.

"Pour les autres" : en expliquant cette évidence aux autres. C'est le moyen suprême pour affermir notre compréhension, dit la Déesse. En effet, en nous obligeant à expliciter notre intuition, cette pratique met au jour les doutes, dilemmes et hésitations, les "croyances limitantes" ou présupposés qui demeurent à l'état latent, les "nœuds du cœur", c'est-à-dire les blocages intellectuels. 

Je suis donc invité à me retourner vers moi, au-delà de tout "mien", à me détendre sans conditions et à faire l'effort de partager.

La Déesse dit (à travers Dattâtreya) :

"Entièrement tourné vers la divinité, 
sans presque aucune autre moyen,
il connaît le Soi/ se connaît soi d'une manière (qui transcende cause et effet).
Il décrit alors (le Soi) aux autres.
En décrivant encore et encore, 
il pénètre complètement (dans le Soi)." (21, 13-14)

"D'une manière", kathamcit, le même terme est employé par Utpaladeva dans le verset inaugural de son Chant pour la Reconnaissance. Abhinavagupta explique que cet adverbe indéfini ("d'une certaine manière") suggère une opération divine, transcendante, au-delà de la relation de cause à effet. Seule la conscience peut éveiller la conscience, car éveiller, c'est manifester, mais rien ne peut manifester la conscience puisque, au contraire, c'est elle qui manifeste tout et qui se manifeste librement ainsi. Seule la conscience elle-même peut s'éveiller elle-même, librement, de même que c'est librement qu'elle fait mine de s'oublier dans son auto-manifestation.

A quoi sert de décrire (nirûpana) le Soi encore et encore ? C'est un exercice (abhyâsa) qui permet de passer de la connaissance (jnâna) du Soi à l'absorption totale et entière dans le Soi (samâvesha), c'est-à-dire, en clair, de réaliser non seulement que la conscience transcende tout, mais encore que tout est conscience. Voyez : pour faire l'expérience directe de la conscience, je n'ai guère besoin de réfléchir, c'est-à-dire que je n'ai pas besoin de mots. C'est un silence, une parole muette, indifférenciée, une intuition. Mais à cause de cette absence d'articulation, de discours, de raisonnement, je vais très probablement avoir le sentiment de "perdre" cette expérience quand l'activité mentale/mondaine va reprendre. Je vais croire que ces mouvements "cachent" le silence, comme des reflets qui "cachent" le miroir". C'est ce qui se passe le plus souvent. Pour aller plus loin, pour m'affranchir de cette erreur, je vais devoir réfléchir, avoir recours au discours, aux mots, comme dans l'exemple du roi Janaka décrit au chapitre précédent. Si je reste purement et exclusivement dans le silence, sans questionner mon impression de "perdre" ce silence, alors je serai dans une impasse. Pour aller plus loin, l'intuition doit être articulée. Et pour cela, rien de tel que de partager avec les autres.

Décrire ce qui est indescriptible est le meilleur moyen de "stabiliser" l'éveil :

"Ainsi, quand l’absorption complète est stabilisée
grâce à ces moyens, à commencer par l'acte de décrire (le Soi),
alors ce psychisme atteint l'état de Shiva,
affranchi  de l'enthousiasme excessif comme de l'abattement.
Où qu'il aille, tout cela est rendu identique à Shiva.
Ce meilleur des éveillés est habite l'état de liberté dans la vie.
Le meilleur des moyens est donc la vraie dévotion
et le fait de décrire (le Soi) aux autres.
Il n'y a pas d'autre moyen aussi puissant,
il n'y a pas d'autre moyen aussi puissant
que la pratique de décrire (le Soi aux autres)
en étant plein de dévotion." (15-18)

C'est exactement ce que fait Utpaladeva dans son Chant de la Reconnaissance (Pratyabhijnâkârikâ). En explicitant son intuition, il ne la perd pas, il l'absorbe au contraire de manière plus complète, il la digère car cette pratique le force, en quelque sorte, à reconnaître que la parole est aussi le dynamisme du silence. Or, c'est cela le plus difficile. Contrairement aux choses de ce monde, l'éveil se multiplie quand on le partage. C'est bien naturel, puisque la conscience n'a pas de parties.

L'éveil n'est pas une expérience occulte réservée à quelques êtres mystérieux élus par je-ne-sais quelle grâce. Non, c'est le mystère évident dans lequel nous baignons tous.

2 commentaires:

  1. Superbe article.
    Merci.
    Vous m'avez régalé.

    RépondreSupprimer
  2. Pour qui sonne le glas, le gong,
    La cloche, la clochette, le tambour,
    Le damaru de calottes crâniennes ?

    Où vibre le silence ?

    L'idéogramme chinois gong signifie le vide, le sunyata indien, qui loin d'être vide est synonyme de plein.

    C'est aussi la cloche de l'église
    Dans cet Au-loin, plus près,
    Dans nos contrées.

    Lieu sans lieu de La rencontre :
    La danse de la peau tendue
    du corps sans corps,
    La vibration du silence,
    La rencontre de laquelle émergent
    Le son-forme, la parole-sens,
    Le mot-image...

    La vibration honore,
    S'honore, sonore,
    Révèle,
    Sublime le silence.

    Entends-tu ?
    Es-tu écoute ?
    Es-tu présence ?

    Un même son, une même vibration,
    Dont les multiples échos sont
    Cosmos, univers,
    Régal des sens,
    Réjouissance !

    Voir c'est entendre,
    Écouter c'est entendre,
    Sentir c'est entendre,
    Entendre c'est comprendre,
    En-tendement, en-tendre,
    C'est faire un avec la peau tendue,
    C'est être,
    La vibrance, la vivance,
    La danse.
    C'est être,
    Dansé, bercé... tendrement,
    La parfaite détente.

    Et vibre le tambour !
    Et sonne le glas, le gong !
    Un ding, pour les dingues,
    Le réveil, Dong !

    La conscience,
    Lumière de l'intellect.
    L'homme,
    Home de l'om.

    Le son né du silence,
    Paroles-enfants de la clarté.

    RépondreSupprimer

Pas de commentaires anonymes, merci.