Le capitalisme fait bon ménage avec la spiritualité contemporaine. Pierre Rabhin a ses entrées chez Carrefour, Mathieu Ricard est sponsorisé par Vinci, le marché du développement personnel est un moteur de la croissance française et mondiale.
Cette spiritualité alerte sur le "réchauffement climatique". Même Edouard Philippe dit être préoccupé par un effondrement (du Marché). Mais ça ne l'empêche pas de mener une politique de démantèlement du patrimoine public. De même que la crise de 2008 n'a fait qu'accélérer la marchandisation, de même la bio-spiritualité ne fait que nourrir le Marché. Carrefour fait sa pub en invoquant désormais le "durable", le "renouvelable", l"éthique" et le "responsable". Avant d'aller plus loin, je vous propose d'écouter cette critique de Rabhi par un communiste du Monde Diplomatique :
Je ne suis pas d'accord sur tous les points de cette critique. Comme tout bon communiste, Malet croit que le bonheur est chose purement matérielle. De plus, je crois que le capitalisme est inhérent à la nature humaine.
Mais je le rejoins sur l'essentiel : la spiritualité est une idéologie au sens marxien. C'est-à-dire une diversion, une façade, un maquillage, un opium. En clair, le milieu dit "spirituel" n'a aucune conscience politique et ses marottes sont là pour faire oublier ce qui se passe au plan social.
Mais, me dira-t-on, le sort de la planète, l'avenir de nos enfants, ne plus prendre l'avion, ne plus manger de viande, c'est de la politique, non ?
Non, je ne crois pas. L'écologie, en plus de son ambiguïté fondatrice (gauche ou droite ?) n'a jamais été une véritable doctrine politique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce mouvement est présent dans tous les partis politiques. Et le slogan "sois le changement que tu veux voir dans le monde" m'a toujours paru suspect.
De fait, Macron est les puissants de ce monde adorent cette nouvelle spiritualité car elle possède une qualité qui vaut de l'or, littéralement : son rejet des conflits, de la critiques, de l'affrontement, de toute forme de confrontation, de rapport de force. Cette "sagesse de l'instant", toute en souplesse est un cadeau inespéré (ou pas) pour le Marché qui cherche de son côté à nous rendre toujours plus "flexibles". La déconstruction de l'identité, que l'on trouve dans la mouvance non-duelle, est une aubaine pour le Marché qui nous veut "ouvert", et qui en plus, peut ainsi à peu de frais se présenter comme un facteur anti-raciste, contre toutes les frontières, les nations, les identités, les repères, les hiérarchies. C'est merveilleux. Macron est contre les hiérarchies ! Son but ultime ? La fin de toute limite autre que celles imposées par l'offre et la demande du jour (vyavahâra, en sanskrit). La fin de l'humanité, de ces vieux "Gaulois" qui résistent, encore et toujours, crispés sur leur "essentialisme" invétéré. La fin des nations. La fin des peuples. La fin de tout.
La fin du monde ? Non, la fin de l'Ancien monde, totalement et totalitairement remplacé par le Marché-monde, l'arche finale, vaisseau qui nous portera à l'infini vers "moi-m'aime".
Vous croyez vraiment que la Pleine Conscience constitue le moins du monde un semblant de menace pour le Marché ? Que le fait de manger bio, végan, empêche de dormir les loups qui bronzent à Saint Barth ? Que les innombrables produits de "développement personnel" vont changer quoi que ce soit à l'accélération de la consommation des ressources humaines et planétaires ? Que le "yoga" va "révolutionner" le monde ? Mais enfin, quelle naïveté !
Le monde de la spiritualité, au sens le plus large, est actuellement le meilleur atout (aset) du Marché. Voilà. C'est l'ultime phase de la digestion, de l'assimilation. Je ne vois plus rien hors du Marché. Un en-dehors devient même de plus en plus difficile à se représenter.
Non seulement ça ne change rien, mais au contraire, ça nourrit le système. Les patrons de supermarché sont ravis d'ajouter de nouveaux rayons, bio, responsable, culturel, "un temps à soi", etc. Ils n'ont absolument rien contre. Et pour cause. Power. Unlimited power.
Voilà pourquoi, quand on parle des scandales dans le monde spirituel, je rechigne à condamner les individus jugés responsables.
A mon sens, cela ressemble trop à ces scenarii hollywoodiens ou tout est de la faute du Méchant psychopathe. Cela permet d'éviter de questionner le système qui a produit le méchant. C'est comme pour les terroristes. C'est pratique de les étiqueter "déséquilibrés". Ça permet d'éviter de questionner la religion qui les fabrique en série depuis des siècles.
Prenez le cas Sogyal, cet entrepreneur tibétain qui avait fait fortune dans le bouddhisme ésotérique avant de tomber à cause d'un coup de poing donné en publique à l'une de ses bénévoles. La plupart des réactions ont condamné l'homme (décédé depuis), sans presque jamais questionner le système qui l'a fabriqué. Quand Sogyal était présentable, tous se réclamaient de lui. Tous allaient vendre dans sa belle vitrine, bien bio comme il faut. Kouchner, Bruni, le Dalaï Lama. Des grands patrons. Des starlettes. Des journalistes. Des magazines qui, en leur temps (l'éternel présent du Marché) avaient encensé le livre à succès-que-Sogyal-n'avait-pas-écrit. Tout le beau monde l'a célébré comme un sage exemplaire (un produit à ne pas manquer). Mais aussi les entrepreneurs les plus en vue du business à la tibétaine. Tous les maîtres de la "tradition" dzogchen (comprenez : la franchise "dzogchen") sont passé chez lui. Puis, quand son image s'est cassée, ils se sont cassés. Je ne nie pas qu'une part de ce qui s'est passé s'explique par la personnalité et les choix individuels de Sogyal. Mais ça n'est que la surface de la profondeur.
Et cette profondeur est une idéologie, avec une manière d'organiser les rapport entre les humains, etc. Qui paie ? Combien ? Comment ? Qui gagne ? Combien ? Comment ? Dans quelles conditions ? Avec quels droits ? Par exemple, combien de jours de congés pour le deuil d'un enfant ? Combien d'argent pour un enfant tué par un "déséquilibré" ? A quel âge le départ à la retraite ? Comment sont partagés les bénéfices ? Ce genre de questions. Pas juste les niveaux vibratoire et les chakras et les blocages intestinaux. Non. Les coulisses. L'infrastructure. Je ne suis pas marxiste. Mais quand même. Je préfère la liberté dans la jungle, que la sécurité en prison. Mais quand même.
Prenons un autre cas. Après Sogyal, périmé et jeté aux oubliettes par un Marché aussi efficace qu'impitoyable, voici le jeune prodige de entrepreneuriat spirituel : Bentinho Massaro.
Il allie "la transcendance de l'individu avec le développement de l'individu". 400 000 abonnés sur FB, autant sur Insta, etc. Parfaitement intégré à Internet, BM n'est plus ce gourou des années 70, un peu kitsch, avec sa secte et son sillage de massacres. Non, lui-même fils de nuageux, il est très malin. Il connaît les limites pour se développer sans limites. Il ambitionne de créer une nouvelle civilisation (avant de repartir dans le paradis extraterrestre d'où il prétend venir), il affirme qu'il change la météo, qu'il déplace des feuilles d'aluminium, mais il sait très bien jouer des règles du Marché. Son business concept est un habile mix de Nisargadatta ("Avant la conscience") et du Nuage ("Si je veux, je peux"). Il a des épigones en France, en plus d'une belle clientèle. Sa présence est principalement picturale, graphique, avec quelques reliques de langage verbal sous forme de Tweets et quelques séminaires à 10 000 euros dans des Resorts courus des "Green Millenials" fortunés, genre Costa Rica. Voici un aperçu de son "satsang" ("vraie compagnie", à l'origine) du Nouvel An. Evidemment, les tarifs varient selon la proximité à la "vérité" :
L'avantage des images du Marché, c'est que tout y est dit. Pas besoin de commenter. De toutes façons, il est là pour sauver la planète. Il est l'éveillé du futur. Et déjà du présent. L'Avatar du Marché cosmique. Non-duel.
Mais ce qui m'intéresse, ça n'est pas le personnage (vous trouverez plusieurs articles à son sujet sur Internet), mais bien le système qu'il incarne. Et les présupposés et les implications de sa réussite. Il est un pion au service du Marché. Le pion parfait du moment, pour activer les autres pions. Il n'est pas une exception. Il est un modèle. Il incarne le paradigme de l'éveil spirituel au XXIème siècle, la parfaite fusion du samsâra et du nirvâna, du fantasme et de la réalité marchande, à tous les plans de conscience : corps, âme, esprit.
La grande question est :
Y a-t-il une véritable alternative, je veux dire, une alternative au Marché qui n'alimente pas le Marché ?
Faisons un pas de plus :
Contrairement à Marx, à Michéa et à d'autres, je ne pense pas que la capitalisme soit radicalement nouveau.
Il n'est qu'un prolongement du procès de la vie, qui veut que pour vivre, il faille tuer ou exploiter une autre vie. La couenne est l'ancêtre direct du capital. Et le "beau cycle de la vie qui se perpétue" n'est rien d'autre que la théorie du ruissellement chère à notre Président. Les esprits romantiques ont beau se dire que "tout se transforme, rien ne se perd", il reste que chaque être est unique et que ce qui est détruit ne revient plus. Cela s'appelle l'entropie, je crois. Essayez donc de reconstituer un œuf brisé. Cela s'appelle le temps, la flèche du temps, l'irréversibilité, la Mort, comme on voudra.
De même, la vie n'est qu'une cristallisation du procès de la conscience : pour prendre conscience d'une chose, la conscience doit devenir cette chose ; puis pour en percevoir/imaginer/penser une autre, elle doit dévorer celle qui précède. Comme le Marché, elle engendre les chose puis se nourrit d'elles. Elle capitalise sous forme de traces, imprégnations, habitudes, désirs (samskâra, vâsanâ). Et rien n'existe en dehors d'elle. L'objet n'est qu'un aspect du sujet. Elle intègre et dévore tout ce qui est en elle. Rien n'est hors d'elle. Il suffit d'imaginer un en-dehors, si vague soit-il, pour que, de par cet acte même, cet en-dehors devienne conscience. Même le néant est conscience, même l'irréel, l'impensable, l'indicible et l'ineffable sont conscience. Tout n'est pas concept, mais tout est conscience, de même que tout est transaction marchande. Dès lors que quelque chose est, il est potentiellement désirable, donc marchandisable. De même que l'opposé de la conscience n'est que dans et par la conscience, de même ce qui s'oppose au Marché ne vit que dans et par le Marché (la CAF, etc.). Finalement, le Marché, n'est-il pas le Soi, la conscience universelle, le brahman (de la racine brihm- "croître, se développer"), le sacrifice dont parle Krishna, la Nature de Bouddha, la Claire Lumière transparente qui accueille tout et prend soin de tous ?
Les alternatives au Marché sont les prochains secteurs de croissance du Marché. Pour un seul fétiche, sans forme, à la puissance illimitée, sans odeur ni couleur, de plus en plus subtil, immatériel, rapide comme la lumière, vaste nuage aussi incontrôlable qu'omniprésent.
Le bouddhisme Yogâcâra et l'hindouisme non-dualiste proposent des voies de renoncement au Marché, de transmutation du Marché, à ce Marché tout-puissant que ces traditions nomment samsâra "le flot" ou vyavahâra, "le commerce".
Mais y a-t-il quelque chose, même le néant, en dehors du Marché ? Y a-t-il une réalité ou même une irréalité en dehors de ce Sans-limite ?
Malet reproche surtout à Rabhi de pas être de gauche, en fait. Néanmoins je suis d'accord avec l'argument de la conflictualité. Le problème fondamental de notre époque à mon sens, c'est que «le politique» est absolument partout, mais «LA politique», nulle part. Réduite à une pure partisanerie, elle n'existe plus que comme caricature, alors que paradoxalement on politise absolument tout, des sentiments aux rapports hommes-femmes en passant par ce qui devrait constituer notre ciment culturel en tant que nation. L'écologie, c'est effectivement un des derniers exemples de politique qui devrait être transpartisane, car concernant le Bien Commun. Mais même ça, ça se politise dans des Greta Thunberg, des Nicolas Hulot, donc encore des idoles, des diversions.
RépondreSupprimerLe passage de LA politique AU politique est un peu comme le passage de la spiritualité authentique à la spiritualine-antalgique hors réalité, distribuée par des gourous à l'image lissée lors de conférences hors de prix, ou à des guéguerres de clocher qui n'encouragent que la bigoterie. Ce sont deux domaines différents, mais je trouve que le processus et le résultat sont les mêmes. C'est un genre de dépossession, de désubstantialisation. Dans ce cadre, tout mouvement structuré finirait je pense phagocyté par le Système.
En outre, il ne faut pas confondre causalité et corrélation. Monsieur Malet, qui croit sans doute au mythe de la révolution prolétarienne, nous dit que les acquis sociaux l'ont été grâce aux luttes - parce qu'on a fait plier les élites, ou parce qu'elles se sont aperçues qu'envoyer l'armée pour mater les mineurs devenait plus coûteux et plus dommageable pour leur réputation que d'accorder quelques faveurs aux ouvriers, augmentation de la production aidant ? Ceux qui changent vraiment les choses sont rares, ce sont les authentiques leaders, des Hommes d'État avec un grand «H», souvent ceux d'ailleurs que les politiques/politisés vilipendent comme étant des monstres, des populistes, des méchants (à moins que ça ne serve leurs intérêts).
Malgré tout ce qui se passe, je pense qu'échapper aux logiques du Marché, du point de vue du mental, de l'être, est toujours possible, de même qu'allier la pensée et l'action. Pour un Pierre Rabhi, il y a dix paysans qui ne passent pas à la télé, qui font des Zads ou des Bads en essayant d'offrir une meilleure vie à eux et à leurs proches. Pour une Greta Thunberg, il y a dix personnes sur le terrain, et ça, ça les rend infiniment supérieurs à tous ceux qui ne font que radoter (y compris moi, alors que je tape ce commentaire)
Oui, il y a les silencieux. J'en connais ici, dans la montagne. Je suis d'accord avec ce que vous écrivez.
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