vendredi 3 avril 2020

Le monde dans la conscience, ou la conscience dans le monde ?

Abhinavagupta dit :

"mahāsattā mahādevī viśvajīvanamucyate /" [=citation d'un tantra]

iti / sāram iti yat atucchaṃ rūpaṃ tat iyameva vimarśaśaktiḥ , grāhyagrāhakāṇāṃ yat prakāśātmakaṃ rūpaṃ tasyāpi aprakāśavailakṣaṇyākṣepikā iyameva iti śrīsāraśāstre'pi nirūpitam

"yatsāramasya jagataḥ sā śaktirmālinī parā /"

"Je dis que l'existence infinie est la Déesse absolue,
la vie de toute chose."

L'essence est ce qui est vraiment (atuccha). C'est elle, l'énergie de conscience. C'est elle aussi la manifestation lumineuse, essence à la fois du sujet et de l'objet, différente ce qui ne se manifeste pas (par soi-même). Elle est aussi décrite dans le Traité de l'essence :

"L'essence du monde 
est la déesse de l'alphabet, la déesse suprême."

"Je dis" : Shiva dit. Le sujet absolu dit. Pierre, Paul ou Jacques ne peuvent rien dire. Ce "dire" est Shakti, qui "dit" le monde en le percevant, car rien n'existe en dehors de la perception, de l'expérience, de la conscience.

"L'existence infinie" : infinie, car elle pénètre aussi l'inexistence. C'est elle qui rend possible le "Ah, il n'y a rien", la conscience de l'absence. Elle est la lumière qui infuse tout, aussi bien le "réel" (ce qui est perceptible par plusieurs sujets limites) que l'imaginaire (ce qui est perceptible par un seul sujet limité). Elle est conscience de tout. Tout est donc conscience. Elle est donc l'essence, le moelle, la substance (sâra), la condition de possibilité de tout.

Elle est, enfin, la "déesse-alphabet", car la conscience est parole (elle "dit" en percevant, en prenant conscience de, en pensant, etc.). Les éléments de la parole sont les mots, formés eux-mêmes de phonèmes : les sons de l'alphabet.

Et l'alphabet est contenu en a-ha (alpha-oméga), en aham "je".
Abhinava dit, un peu plus loin : 

sarvasya hi mantra eva hṛdayam , mantraśca vimarśanātmā, vimarśanaṃ ca parāvākchaktimayam

"Le coeur de tout est le Mantra.
Or le coeur du Mantra est la conscience/le ressenti.
Et le coeur du ressenti est la suprême énergie de la parole."


Abhinavagupta, Vimarshinî, I, 5, 14

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Mais d'où vient la conscience ?
Des choses, sans doute.

Donc tout dépend de la conscience.
Et la conscience dépend de tout.

L'univers émerge de rien.
Dans l'univers émerge la conscience.
La conscience réalise l'univers.
L'univers émerge de la conscience.

Même d'un point de vue naturaliste, tout ceci demeure valide... à condition de laisser tomber l''hypothèse selon laquelle il n'y a "qu'une seule conscience", démentie par l'expérience. La clé de l'interprétation du shivaïsme du Cachemire est qu'il est une description de l'expérience en première personne. Le reste est superstition obsolète.

L'univers contient la conscience.
La conscience contient l'univers.
Je suis dans le monde.
Le monde est en moi. 

Cette antinomie (deux visions apparemment opposées)
est décrit comme "emboîtement" dans le shivaïsme du Cachemire. Métaphore sexuelle, symbolisée par les deux triangles. Autre métaphore traditionnelles : l'objet face au miroir. Tout se reflète à l'envers. La conscience contient l'univers, mais l'univers contient la conscience.
Mystère.

Cette relation, qui engendre le flot de l'expérience d'instant en instant, est décrite en termes mythologiques, comme union de Shiva et Shakti. 

Puissante interprétation de la Râginî Todî à la vînâ de Shiva, par Bare Ustad Zia Mohiuddin Dagar :

1 commentaire:

  1. "Mon coeur m'a dit: "Je veux savoir, je veux connaitre! Instruis-moi, Khayyâm, toi qui as tant travaillé!" J'ai prononcé la première lettre de l'alphabet, et mon cœur m'a dit: "Maintenant, je sais. Un est le premier chiffre du nombre qui ne finit pas…"
    Omar Kayyham

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