mardi 24 novembre 2020

Peut-on aspirer au néant ?

"Puis-je aspirer au néant ?"



 Le bouddhisme ancien est-il un "culte du néant" ?

Si tel était le cas, il ne serait pas le seul.

En effet, la plupart des écoles anciennes de l'Inde, disons celles qui précèdent le tantrisme qui émerge vers le IVè siècle, aspirent à un état qui n'est guère différent du néant, pour autant que cette notion ait un sens.

Pour le Sâmkhya, le yoga de Patanjali et le Vedânta, notre essence indestructible et réelle, notre Soi, est une conscience pure, si pure qu'elle est absolument immuable, passive, inerte comme une enclume (kûtastha). Après la délivrance, il n'y a plus rien, plus aucun mouvement, plus aucune sensation, ni émotion, ni sentiment, ni désir, ni conscience de quoi que ce soit. Le Vedânta compare d'ailleurs cette condition ineffable au sommeil profond, à l'inconscience. 

L'école du Nyâya va jusqu'au bout de cette logique du néant : selon elle, il n'y a pas même de conscience dans l'état de délivrance. C'est à ce prix, affirme-t-elle, que l'on ne souffrira plus. La délivrance de la souffrance. Donc une condition purement négative, sans aucune contrepartie positive. Le néant. Pour échapper à la douleur, il faudrait donc se suicider entièrement. Par une technique de destruction progressive des affects et de la cognitions, comme celle du yoga de Patanjali, on s'éteint, comme la flamme d'une bougie privée de combustible. Il n'y a plus rien, plus d'être, plus de mouvement, plus de vie, plus de conscience. 

Or, peut-on vraiment aspirer à une telle autodestruction ?

Bien sûr, chaque être conscient (ou vivant, ce qui revient au même), aspire cycliquement au néant : quand je suis fatigué, repu ou comblé, je plonge avec délices dans le néant du sommeil profond. Seulement, cet état est provisoire. C'est une mort pour mieux renaître, un jeûne pour mieux savourer, et non une fin ultime, une fin en soi. C'est une partie du tout, et non pas le tout lui-même. C'est le creux d'une vague, et non pas une vague, et encore moins l'océan. C'est un expir dans le cercle du souffle spirituel, un pas dans la danse du mystère. Réduire ce pas au total de sa chorégraphie est une erreur. Une erreur que ces philosophies commettent.

Dès lors, il n'est guère étonnant que ces doctrines, nihilistes en ce sens, parlent aux matérialistes contemporains. En effet, selon les uns et les autres, la personne n'est qu'une illusion, réductible à un flux d'objets, d'atomes, de cognitions, à un néant de pure inconscience. La vérité est dans l'instant du néant. En outre, ce genre de déconstruction de la pensée sert les visées du Marché : plus d'identité, plus de limites, plus de frontières, plus rien qui s'oppose au flux des marchandises. Un flux infini dans le néant informe. 

L'opposé de cette erreur est l'occultisme : prenant l'état de rêve comme vérité absolue, ses partisans ne jurent que par les miracles de l'imagination. Selon eux, ce qui n'est pas émotions, ce qui n'est pas charnel, sensuel, coloré et goûtu, est sans vérité ni valeur. 

Mais la vérité est pourtant dans le tout. c'est ce qu'il faut réaliser. La vie est cycle, inspir du jour et expir de la nuit. Quand je salive pour une chouquette, c'est un aspect de la vérité, non son total. Quand je suis comme repu et dégoûté des chouquettes, un autre aspect se présente, qui n'est pas non plus le total de l'être, mais seulement l'une de ses facettes. la vérité est dans le Tout, un Tout qui se dévoile progressivement en une marche faite de jeu entre des opposés ou des complémentaires.

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