lundi 12 avril 2021

Deux sortes d'éveil



 Dans son livre S'éveiller, Steve Taylor distingue deux sortes d'éveil, l'éveil étant une sorte de réveil de la conscience :

- un éveil qui est un état d'équilibre des énergies vitales, un état d'équanimité, d'égalité, d'homéostasie. Selon moi, cet état correspond à la dimension de silence intérieur de la vie spirituelle, un état de nudité, de simplicité. C'est la dimension cognitive, de connaissance.

- un éveil qui est un état d'expansion des énergie vitales. Selon moi, cet état correspond à la dimension de vibration ou de premier instant du désir, de la vie spirituelle, le "je suis", un état de félicité et d'amour. C'est la dimension affective, d'amour.

Je note cette convergence entre son interprétation et la mienne avec intérêt et je la vois comme une confirmation qu'il existe bien deux dimensions irréductibles dans l'expérience spirituelle.

Toutefois, je ne suis pas totalement à mon aise avec l'emploi de l'expression "éveil", comme, du reste, avec les mots "ego" et "mental". Je les trouve simplistes et flous, comme "énergie" et "ressenti". Ce lexique forme l'ossature d'une rhétorique populaire, mais vague et dépourvue de rigueur, qui finit par évoquer tout et n'importe quoi. En outre, le mot "éveil" est associé à l'idée d'un "basculement" décisif, d'un évènement irrévocable sans plus de retour en arrière possible, ce qui favorise une angoisse contraire à la détente et un culte des êtres considérés comme "éveillés". Enfin, il y a dans la notion d'éveil l'idée d'une perfection des actes, des paroles et des pensées, d'un progrès achevé, opinions qui me paraissent ruineuses d'un point de vue moral, politique et humain.

Taylor note d'ailleurs les problèmes qui en découlent, mais sans aller jusqu'à en tirer les conséquences qui s'imposent. Ainsi, il observe que l'éveil est à la fois radicalement différent de l'état de conscience ordinaire, et en même temps, il note que l'éveil est "naturel" et qu'il était sans doute l'état "naturel" des peuples préhistoriques. Il développe cette thèse dans son livre La Chute. Selon lui, l'ego est apparu à un moment précis de l'histoire, c'est un évènement historique. De même, l'éveil se produit à un moment précis de l'histoire de la vie de l'individu, c'est aussi un évènement. Il parle de l'accès à un état transcendant, mais qui peut être temporaire. Il parle aussi de cet éveil comme d'un "état de conscience supérieur", au pluriel. Du coup, il ne s'agit plus vraiment de l'éveil, mais plutôt d'expériences, ou de dimensions de la vie intérieure. Tout cet embarras vient peut-être du fait que l'éveil est, à l'origine, dans la langue sanskrite, une métaphore : bodha est une métaphore d'une compréhension, intellectuelle ou intuitive. Or, nous employons aujourd'hui ce terme dans une acception très élargie. D'où une certaine confusion. 

Quoi qu'il en soit, Steve Taylor fait d'intéressantes remarques sur ces deux types d'éveil : les états d'expansion sont plus complets, porteurs de sens, mais moins stables. Les états d'équilibre sont plus... équilibrés, mais ils sont moins complets, plus arides, il peuvent à terme déboucher sur des dissolutions de l'ego qui peuvent être source de troubles. Ces états d'équilibres ("je n'existe pas, il n'y a pas de moi") ne sont donc pas si équilibrés que cela. Leur stabilité apparente est porteuse d'une profonde instabilité. 

Taylor évoque une relation dialectique, tendant à une synthèse, entre ces deux sortes d'éveil. Mais il n'entre guère dans les détails. Par exemple, il ne voit pas clairement que le silence peut mener à une expansion, et que l'expansion permet, à son tour, d'approfondir le silence. 

Sur le fond, il croit dans les techniques et l'effort personnel seuls (un "effort prolongé") : une force plus vaste que nous intervient, mais l'essentiel n'est pas de s'y abandonner, de se laisser faire. Il faut plutôt "gérer" et "construire" le bon dosage, en vue de "passer en permanence" à un état d'éveil, définit donc comme un état de "forte concentration d'énergie" (amour et félicité) et pourtant "vide et calme".

Je suis d'accord avec lui, mais il me semble que l'abandon à l'énergie vitale "je suis" joue un rôle essentiel. D'ailleurs, Taylor évoque sans cesse l'éveil comme un "état naturel" connu des peuples préhistoriques, mais il croit que ces état "naturels" étaient surtout accessibles par des techniques, du type ayahuasca, plutôt que de manière instinctive et naturelle. Selon moi, nous avons tous un instinct d'éveil, une intelligence spirituelle innée.

Enfin, Taylor est d'avis que les états de plénitude, d'expansion, sont les seuls à être vraiment "spirituels", car ils sont les seuls à être porteur de sens, même si ce sens est intuitif, ineffable. Les états de vide, de dissolution, vécus à l'état pur, sont dangereux. Autrement dit, sans le "je suis", point de salut. En revanche, le vide ou le silence intérieur me semble être le complément indispensable du "je suis", de l'absorption dans l'énergie vitale. 

Ces deux dimensions sont nécessaires. 

Mon amis José Leroy est en train de traduire un autre livre de Taylor :


La notion d'éveil étant si floue, je l'emploie pour désigner une expérience décisive, c'est-à-dire capable de changer le cours de notre vie, et qui consiste dans une reconnaissance précise de notre essence.

Ainsi, j'emploie parfois le mot "éveil" pour désigner les "expériences" du Vijnâna Bhairava Tantra et textes apparentés. Mais ce texte lui-même n'emploie pas ce terme, mais plutôt les mots "expérience spéciale" ou "perception qui distingue" (vijnâna), ou encore "recueillement" (dhâranâ). Le mot "éveil" (bodha), dans la tradition, est plutôt réservé à ce qui comporte une compréhension, discursive ou purement intuitive.

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