samedi 5 juin 2021

Les deux sortes de désir



 Le désir est au cœur du Tantra. 

Mais il faut distinguer entre LES désirs, désirs de ceci ou de cela, et LE désir, le désir essentiel, élan universel vers l'universel. Autrement, on pourrait croire que le Tantra prône un culte du désir, une sorte d'hédonisme (recherche des plaisirs) ou de consumérisme ("je consomme, donc j'existe"). 

Soyons clairs : Le Tantra voit dans les désirs des manifestations confuses du Désir unique, qui est l'énergie primordiale. Dans la mesure où ils manifestent ce Désir, les désirs sont une voie pour remonter à la source. A condition d'être informé de cette possibilité et de savoir comment remonter des désirs multiples au Désir unique. Sans cela, il n'y a pas de Tantra, mais seulement des plaisirs évanescents et fragmentés qui ne mènent qu'à d'autres désirs et à des déceptions.

Madame Guyon, une mystique française du XVIIe siècle, résume bien cette distinction essentielle, qu'elle fait aussi entre les extases intenses, mais auxquelles il ne faut pas s'attacher, et l'amour vrai, plus subtil et qui peut passer pour un vide aride :

"Il y a deux sortes de désirs : il y a un désir muable ou élans de désirs aperçus ou distincts. Il y a un désir immuable qui est essentiel à l'homme, de retourner à sa dernière fin.

Il y a un amour agité qui qui a des flammes et des ardeurs ; et comme cet amour est distinct, il est accompagné d'un amour aperçu [=conscient].

Il y a un amour reposé dans sa fin, par la mort de la volonté propre ; et le désir de cet amour est plein de repos et ne s'aperçoit pas de l'âme, à cause de sa tranquillité et de la mort de la volonté propre.

L'amour renferme nécessairement le désir, mais le désir est conforme à l'amour. Quand l'âme est éloignée de son Dieu, l'amour est impétueux aussi bien que le désir ; il y a l'agitation qui le meut vers sa fin ; plus il approche de sa fin, plus son impétuosité diminue.

Mais quand l'amour unit l'amant à l'Aimé, l'amour et le désir sont pleins de repos, et sont comme morts et tombés dans le tout, qui est un amour parfaitement tranquille, quoique il soit le plus fort." (Œuvres mystiques, Edition critique par D. Tronc, p. 346)

Dans ce passage, elle essaie d'expliquer à Bossuet que l'amour qui ne se manifeste pas par des émotions grossières est, au contraire, plus subtil. 

Il y a des gens qui croient que le Tantra est exclusivement intense et, donc, "puissant". Mais ce qui est plus aperçu, plus "intense", n'est pas nécessairement plus puissant, au contraire. Les gens sont souvent empressés de raconter une expérience "puissante", car riche en visions, en sensations et perceptions qu'ils peuvent décrire facilement. Mais ce genre d'expérience est superficielle par rapport à la vibration du cœur essentielle, laquelle est subtile et dépasse les possibilités du langage ordinaire.

Dès lors, Madame Guyon distingue deux voies :

"Il y a une manière d'aller à Dieu par voie d'élévation au-dessus de soi, et celle-là est accompagnée d'extases et de ravissements. Il y a une autre manière de sortir de soi [=extase] par voie d'anéantissement et de nudité, et celle-là n'a point d'extase : c'est une voie toute de mort et, par cette mort, l'âme sort de soi et passe par une extase permanente en son divin Objet. Qu'on puisse dès cette vie [=jîvanmukti] entrer en Dieu, s'y perdre par une entière mort de volonté en ce qu'elle a de propre à l'âme, et dissemblable à celle de Dieu, nul de qui ont de l'expérience n'en peut douter."

Il faut donc bien distinguer les désirs, les plaisirs et les extases, d'un côté. Et le Désir, l'amour pur et l'extase permanente, de l'autre. Cette extase, je la découvre en moi. Et, peu à peu, par des plongées répétées, je m'immerge constamment en elle. 

Cultiver les désirs est légitime, à condition de remonter à travers eux jusqu'au Désir essentiel, permanent et toujours orienté vers la Source. Voilà pourquoi le Tantra valorise les désirs, l'excitation et la sensualité. Il s'agit de revenir à la cause à partir de l'effet, comme le saumon remonte à contre-courant. 

2 commentaires:

  1. Mais alors une fois que ce désirs s’installe les autres désir cesse ou se surimpose dessus ?

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    1. En réalité, il n'y a qu'un seul désir. Mais il oublie son véritable Objet et se perd dans la multiplicité. Quand le Désir se réveille, les désirs apparaissent comme des facettes de ce Désir unique. Les désirs s'unifient et s'épurent. Les valeurs changent.

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